Grasset
Lu par Gaël

Femme habilement déguisée en moustache pour sa survie au Québec
Ce très court ouvrage (150 pages écrites fort gros) est d’un genre relativement inclassable : il décrit en effet un fait divers, et la forme d’enquête que la romancière a menée à ce sujet postérieurement, mais sur un mode semi-fictionnel. Les noms des protagonistes, notamment, ont été modifiés, et il n’est à aucun moment précisé où se situe la limite entre enquête et invention. Peut-être pourrait-on qualifier cela d’enquête-fiction.
Les événements décrits, et dont part l’ouvrage, sont le massacre de 14 étudiantes de l’école Polytechnique de Montréal, en décembre 1989, par un homme (ici renommé Gabriel Lacroix) qui s’est immédiatement suicidé, et a laissé comme seule explication de son geste une lettre rédigée à la hâte dans laquelle il professe sa haine des féministes, qu’il taxe de tous les maux du Canada.
Cette tuerie a fortement marqué le Canada, ses débats politiques, la place qu’y occupe le féminisme depuis 20 ans (notamment en offrant aux « masculinistes » québécois un événement fondateur et identificatoire), et sans doute affaibli la quiétude du vivre-ensemble québécois. L’auteure s’attache dans son ouvrage à explorer plusieurs dimensions de cet fait-divers marquant : la vie de l’assassin, les conséquences de son geste pour sa famille et celles des victimes, certains aspects de la vie politique et intellectuelle québécoise, l’attitude qu’auraient pu avoir les témoins masculins de l’incident, notamment. Elle est fidèle en cela à la collection qui l’accueille ici, « Ceci n’est pas un fait divers ».
L’entreprise aurait pu être passionnante. Elle est malheureusement esquissée. Le format de l’ouvrage empêche d’explorer aucune des pistes réellement à fond. Plus grave, le non-choix entre enquête et fiction, au lieu de permettre un dépassement des seuls faits avérés par l’imagination de l’auteur, aboutit à un entre-deux désagréable. L’épaisseur des « personnages » est extrêmement ténue, se limitant le plus souvent à de courts propos d’interviews assortis d’un commentaire de l’auteure, qui n’ajoute guère en profondeur. Il en ressort une sensation de stéréotypie des réactions, parfois presque gênante tant on a le sentiment d’être face à des scènes de série télévisée, là où la réalité du drame aurait dû être amplifiée par l’art. De l’autre côté, le journalisme, l’analyse, Elise Fontenaille n’a guère creusé non plus, se contentant de rappeler quelques grandes lignes du débat. Il en ressort au final une impression brouillonne et fainéante, que l’on ne peut que regretter.
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