P.O.L.
Lu par Paul
N’allez pas vous imaginer qu’Emmanuel Carrère est le grand favori du Virilo sous prétexte que l’un de ses premiers romans s’intitule La Moustache.
Au Virilo, nous sommes attachés à une certaine idée de l’impartialité, alimentée il est vrai par le fait que les éditions P.O.L. ne nous adressent plus de petite enveloppe depuis au moins trois ans. C’est donc en toute objectivité que nous avons ouvert Limonov. Et que nous ne l’avons plus refermé.
Edouard Limonov, c’est un poète-voyou, né en URSS durant la Seconde Guerre Mondiale. A tort ou à raison – Carrère lui-même en doute – il a, chevillée au corps, la conviction de posséder un destin hors du commun. Cette conviction le conduira de Moscou à New York, en passant par Paris et par les marges d’un empire soviétique en pleine dislocation.
Si Limonov fut un temps une icône underground célébrée du Tout-Paris, Carrère n’occulte rien de son engagement politique rouge-brun, ni de sa passion pour toutes les formes d’action violente. Alors Limonov, héros ou salaud ? Militant ou délinquant ? C’est la question que se pose sans cesse l’auteur et rien dans la vie de Limonov ne semble y apporter de réponse claire.
Mais cet ouvrage est également l’occasion pour Emmanuel Carrère de nous faire partager sa passion pour la Russie, atavisme familial qu’il a pris soin d’enrichir d’innombrables lectures et expériences personnelles.
Car Edouard Limonov, au bout du compte, n’est jamais qu’un Forrest Gump de l’autre côté du Rideau de Fer. Le putsch de Moscou, en août 1991, l’illustre bien : Limonov, c’est celui qui quitte le Parlement russe juste avant que celui-ci ne soit assiégé, et qui assiste en spectateur à ce qu’il aurait rêvé de vivre en martyr. De manière paradoxale, la violence des épisodes historiques retracés – dont certains sont très récents – ferait presque passer les retours sur la vie de Limonov pour d’aimables divertissements.
Bref, un ouvrage qui passionnera tous ceux qui s’intéressent à l’histoire du XXème siècle, mais qui décevra peut-être la cellule française du parti national-bolchevique.
Edouard Limonov est un salaud. Dissident, marginal, violent, cynique, porno… . Soljenitsyne dira de lui qu’il n’est qu’ « un petit insecte qui écrit de la pornographie ». Bref, peu recommandable. Pourtant E. Carrère l’a choisi comme héros.
Car Limonov « a tout vu, tout fait, tout usé », à la manière de Figaro, avec tout autant de panache, la légèreté et l’humour en moins. Il est l’URSS à lui tout seul et pleure à sa chute.
Peut-être le meilleur de la rentrée littéraire…
« Il est l’URSS à lui tout seul »… voilà qui est élégamment dit !
Merci Aurélie pour votre commentaire.
En dépit de la note maximale que je lui ai donné, je dois vous avouer que je doute pourtant de votre dernière affirmation… Car il y a dans cette rentrée littéraire beaucoup d’ouvrages extrêmement intéressants. Limonov en fait partie, mais sera-t-il le meilleur ? Carrère ne s’est-il pas parfois un peu relâché en terme de style ? Qu’en pensez-vous ?
Merci Paul pour votre réponse et vos arguments.
Il me manque encore notamment la lecture de L’Art de la Guerre d’A. Jenni pour me prononcer sur le « meilleur » roman de la rentrée littéraire. Et faudrait-il encore s’accorder sur les critères… Mais, disons qu’en termes de « ressenti » et de plaisir de lecture, Limonov est, selon moi, un très bon roman ; fouillé, intelligemment conçu et mené, parfois drôle, original à coup sûr.
Quant au style, je l’ai trouvé adapté au roman et à ce Limonov. Trop de rigueur ou de recherche stylistique auraient peut-être effacé les aspérités du personnage. Les passages de « confidences » de l’auteur ont, quant à eux, le ton juste.
Effectivement Aurélie, Limonov figure bien dans notre liste de finalistes du Prix Virilo 2011 (le prix récompensant le meilleur ouvrage de l’année)…
Mais pensez-vous que son seul compétiteur sérieux est « l’Art français de la guerre » ?
Voici la liste, n’hésitez pas à nous dire ce que vous en pensez :
http://prixvirilo.com/2011/10/28/liste-des-finalistes/
Félicitations à vous. Il ne me reste plus qu’à lire Dino Egger
(Vais-je valider votre choix et tomber sous le charme de Chevillard ? ou bien vais-je me ranger du côté des « nanas » du Femina ?!)
Liminov ne nous laissera pas choisir pour lui son statut : de mon côté, j’hésite toujours. il est vrai que cet homme passe toujours à côté de son but premier (sauf peut-être en allant en prison, où il acquiert une certaine renommée, même si ce n’est pas celle qui désirait : un néo-fasciste néo-bolchevik qui devient tout d’un coup héros des droits de l’homme, pas sûr que ça plaise forcément à Liminov), tout en commettant des actes ignobles comme de grandes choses digne d’un aventurier juste et bon. alors, on ne sait pas, et c’est tant mieux. de cette manière, on peut apprécier l’esprit provocateur du personnage, son génie et ses limites, et le suivre à travers l’Histoire.
Par contre, Carrère joue tout de même la facilité avec son « c’est plus compliqué que ça ». Il en est conscient et l’affirme, et c’est un peu vrai aussi, mais n’empêche que ça agace un peu, une phrase aussi banale pour un personnage aussi atypique.
Chère Constance,
Comme je l’ai écrit ci-dessus, j’ai cessé de chercher à comprendre qui était Limonov à partir du moment où j’ai compris qu’il n’était que le faire-valoir d’une histoire autrement plus intéressante que la sienne : celle du déclin de l’URSS.
Reprochez-vous à Carrère de vous affirmer une telle banalité sur son propre personnage, ou de ne rien cacher de ses interrogations ? J’ai pour ma part assez apprécié que son travail « d’enquête » s’accompagne de ses doutes et de ses découragements.
Paul
j’ai, comme vous, beaucoup apprécier que l’auteur nous montre ses interrogations, ses doutes et ses découragements. je trouve que ne pas chercher à atteindre une fausse neutralité de biographe, mais à l’inverse affirmer son implication dans une écriture remplie d’incertitudes, est une démarche intéressante.
c’est peut-être affirmer cette banalité sur son propre personnage que je n’ai pas apprécié, même si bien sûr c’est son droit et son choix d’écrivain qui compte et que, sans doute, cette affirmation est juste. elle m’a juste dérangé par rapport à l’image que je m’étais faite du personnage. mais l’auteur a bousculé mes propres certitudes, et le livre n’en est que meilleur.
*apprécié (oups)
Emmanuel Carrère et son héros tragique d’un autre temps nous raconte l’insoutenable légèreté de Limonov à qui il a bien su presser le « citron ».
Le portrait de ce despérados est bien dessiné ,le style est parfois vodkaïsé ,mais il me convient.
On ne peut pas caviardiser ce biographe mais simplement le saluer pour son excellent travail d’écrivain.
Il n’y a rien de tel qu’un peu de vérité !