Du domaine des murmures, de Carole Martinez

16 Oct

Editions Gallimard

Lu par Stéphane

Moustaches de légende

Legendary ! Jamais terme fétiche de Barney Stinson dans How I met n’avait paru si pertinent pour qualifier un roman de la rentrée, un roman de la collection Blanche chez Gallimard, un roman de Carole Martinez, un roman médiéval… En somme, un roman qui n’a absolument rien à voir avec la délicieuse et désormais ringarde série avatar de Friends.

Et pourtant, legendary, Du domaine est murmures l’est tout entier, moins d’ailleurs par sa qualité évidente que par son propos même : inventer une légende et en raconter la genèse.

Des murmures entre les murs

Minimisons l’exploit, car de bout en bout, Carole Martinez n’a cessé de choisir la facilité :
– placer son intrigue en 1187, une période sexy, que tous les lecteurs adorent et connaissent extrêmement bien,
– faire du personnage principal la narratrice et inventer pour elle une langue imprégnée de son époque, à la fois moyenâgeuse, compréhensible par un lecteur en 2011 et sonnant juste,
– enfin, enfermer la protagoniste (nommée Esclarmonde) dans une cellule de 6 m2 et ce presque 200 pages durant (soit le nombre total de pages du roman). Et lui imposer dans la dernière partie un voeu de silence, parce que c’est sympa, aussi, que l’héroïne ne puisse plus parler. Du point de vue narratif, c’est commode.

Barney te dit good job, Carole.

L’auteur avait donc mis toutes les chances de son côté pour publier une farce grotesque et chiante. Eh bien, c’est complètement raté.

L’histoire d’Esclarmonde – jeune fille qui fait, le jour de ses noces, le choix de refuser de se marier pour vivre en recluse, emmurée à jamais dans une pièce attenante à la chapelle du château de son père – a la valeur d’un mythe.

Avec une habileté qui force l’admiration, l’auteur a bâti une intrigue haletante dont la cellule d’Esclarmonde est le centre de gravité. Sans qu’elle ne quitte jamais sa prison, l’héroïne est au coeur d’événements qui s’enchaînent en cascade et forment, avec sa bénédiction silencieuse, l’armature d’une légende : celle d’une pucelle bénie de Dieu, communiquant avec lui. Une prophétesse.

Dans un style d’un grand raffinement, Carole Martinez montre l’élaboration, de coïncidences en non-dits, d’une parabole. La narratrice, qui elle sait démêler le vrai du faux, se place tantôt du côté de la démystification, tantôt de celui de la foi, si bien que l’on tire de cette lecture une conclusion complexe et profonde : celle de la nécessité existentielle du récit mythologique, même si ses conditions de naissance le renvoie à une réalité plus prosaïque.

Le choix du Moyen-Age comme époque du récit prend tout son sens : comme vous pourrez le lire dans l’extrait qui suit, la narratrice nous interpelle, nous, hommes et femmes d’un XXIème siècle où la spiritualité est réduite à néant.

« Le monde en mon temps était poreux, pénétrable au merveilleux. Vous avez coupé les voies, réduit les fables à rien, niant ce qui vous échappait, oubliant la force des vieux récits. Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l’oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n’imaginez pas que ce massacre des contes a chassé la peur ! Non, vous tremblez toujours sans même savoir pourquoi. »

7 Réponses vers “Du domaine des murmures, de Carole Martinez”

  1. lejardinduventstéphanie 18 octobre 2011 à 6 h 42 min #

    Je n »étais pas certaine d’avoir envie de le lire, votre critique me tente, cher prix virilo.
    Si ça se continue, je vais me laisser pousser la moustache.

  2. Prix Virilo 19 octobre 2011 à 18 h 32 min #

    Faites donc, chère Stéphanie, et n’hésitez pas à repasser pour partager vos impressions avec nous !

    Qu’il s’agisse de l’ouvrage ou de la vie avec une moustache, d’ailleurs.

    Félicitations pour votre blog.

    • stéphanie 20 octobre 2011 à 11 h 46 min #

      Etre félicitée par vous me rend toute chose

  3. constance93 27 octobre 2011 à 12 h 00 min #

    un critique capable de citer Barney Stinson dans sa chronique, et plus encore de le citer avec un roman qui se passe au Moyen-Âge : bravo ! fidèle à la réputation du prix Virilo, je crois que c’est encore une fois du jamais vu.
    au-delà, je suis très d’accord avec vous sur ce Domaine des Murmures : il est le-gen-da-ry !
    bon, je vais poursuivre la lecture de ce site bien fourni (au niveau de la moustache), et, qui sait, peut-être finirais-je par accorder une certaine valeur à votre prix (et pourtant, les prix de la rentrée n’ont à mes yeux, comme à ceux de beaucoup et même aux vôtres me semble-t-il, aucune intégrité, et j’ai le malheur de vous dire que l’on vous positionne parmi eux, au moins au niveau des dates : sans plus de connaissances du prix, on s’y trompe facilement)…

    • Prix Virilo 28 octobre 2011 à 11 h 50 min #

      Chère Constance,

      C’est nous faire trop d’honneur que de nous assimiler aux « prix de la rentrée », même si c’est pour leur adresser des reproches.

      Permettez-moi de vous résumer les règles cardinales du jury du Virilo :

      1) Acheter les livres.

      2) Les lire.

      3) Dire tout haut ce qu’on en a pensé (ici-même), sans attendre le vote final. Que l’ouvrage nous ait plu ou non, d’ailleurs, ce que peu de critiques se permettent. Quand un livre est mauvais, nous le disons franchement.

      4) Porter la moustache. Même pour les femmes.

      Sont-ce là des gages d’intégrité suffisants à vos yeux?

      Paul

      • constance93 1 novembre 2011 à 14 h 06 min #

        la quatrième assure incontestablement votre valeur, même si dire tout haut ce que vous avez pensé des livres est tout à fait louable, de même qu’acheter vous mêmes les livres (dans des librairies indépendantes, j’espère tout de même). non décidément, votre esprit m’enchante. j’attends avec impatience que vous nous surpreniez avec vos lauréats. bonne continuation !

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  1. [Citation] #3 - Carole Martinez - 25 avril 2012

    […] Du domaine des Murmures – Carole Martinez (Via le Prix Virilo) […]

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