Editions Gallimard
Lu par Claire
C’est foutu. Je n’ai toujours pas compris ce qu’était un protocole TCP/IP, j’ai sauté l’explication des théories de Shannon, Brown, Kepler et leurs petits copains. J’ai préféré les passages qui parlaient de sex shop, de minitel rose et de rupture amoureuse à ceux qui abordaient la fabrication – pourtant géniale – d’un modem. C’est foutu. Je me sens blonde, futile et encore plus inculte qu’avant. Moi, pourtant brune, aimant les romans russes et fière diplômée d’un parcours académique honorable.
Rendons à Aurélien ce qui est à Aurélien (il n’y a pas eu que des César parmi les empereurs romains), son roman parvient à retracer avec une objectivité qualifiée de wikipédienne (on dit wikipédoise ?) des années d’évolution technologique du 3915 ULLA à Google translate. Le lecteur néophyte, homo sapiens 2.0 perdu dès qu’il s’éloigne de facebook ou de gmail, se découvre, tout étonné, suivre avec intérêt cette grande marche du progrès.
Et d’un, le Pascal Ertanger avatar romancé de Xavier Niel suscite une sympathie inattendue. Et de deux, la lecture d’un roman de la rentrée littéraire équivaut pour la première fois à un master professionnel de six mois type « entreprenariat et nouvelles technologies de l’information et de la communication » que l’on aurait payé 3000 euros au lieu de 22,50.
Et pourtant, pourtant, si on reconnaît bien volontiers que ce premier roman représente un pur produit de sa génération, novateur et ironico- encyclopédique, on ne comprend pas bien où il veut en venir. Après 450 pages de faits plus ou moins réels sagement documentés, Aurélien Bellanger nous catapulte une fin de science-fiction dont le message messianique, s’il y en a un, brouille définitivement l’esprit d’un lecteur qui tente depuis des heures de comprendre des théories scientifiques qu’il oubliera tout aussi vite. Erreur 404.
« Les milliardaires furent les prolétaires de la posthumanité. Objets de curiosité et de haine vivant reclus dans des capsules de survie étanches, ils virent l’humanité s’éloigner d’eux sans réparation possible. (…) Google fut en réalité sur le point de simuler la totalité des protocoles humains, et aurait pu devenir l’équivalent d’un dieu si Pascal Ertanger, un autre enfant prodige de la révolution informatique, n’avait pas écrit à son tour un chapitre crucial de l’histoire posthumaine. »
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Lu par Gaël
Roman balzacien, ou produit d’un épigone houellebecqien ? La polémique fait rage entre les critiques officiels mais elle paraît douteuse. Il y a bien sûr des deux : récit d’une irrépressible ascension, prétexte à dépeindre les travers d’une époque, le livre l’est. Délire techno-métaphysique aux accents apocalyptiques, il l’est également. Dire cela, c’est à peu près ne rien dire. Rien de poilu, en tout cas.
La théorie de l’information raconte, entremêlées, trois histoires : la première, celle de Pascal Ertanger, geek ultime dont le nom fleure bon l’anagramme vaseux, qui devient un PDG star des nouvelles technologies (une sorte de Xavier Niel, le patron de Free, beaucoup plus lunatique et qui aurait fait fortune dans le minitel rose). La seconde, celle, technique mais finalement très éclairante, de l’irrésistible poussée d’Internet, sur les décombres du minitel. La troisième , enfin, celle d’une époque : les années 1970 à 1990, temps d’effondrement moral et de foi technophile dans l’avenir.
J’ai beaucoup aimé ce livre, qui souffre pourtant d’évidents défauts. Le personnage principal est un ectoplasme, un prétexte à la traversée des deux autres histoires, que l’auteur a manifestement beaucoup plus envie de raconter. Il ne pense rien, n’a pas d’objectif, va de découverte de l’amour en crise techno-mystique sans qu’à aucun moment on ne le comprenne un tant soit peu, ni d’ailleurs qu’Aurélien Bellanger ne se donne la peine de chercher à nous y aider. Ensuite l’auteur est peut-être un peu débordé par sa matière : il a beaucoup lu et appris, sur l’histoire des sciences et des techniques, sur la théorie de l’information qui donne son titre à l’ouvrage et dont la description et les spéculations auxquelles elle a donnée lieu constituent un fil conducteur, d’abord froidement technique, puis de plus en plus vertigineux. Mais il tente de tout restituer, avec sans doute un défaut de point de vue unificateur. Enfin, sa langue, riche et précise, est pour autant relativement plate. Cette froideur, qui pour le coup sent son Houellebecq, est sans doute volontaire mais sur 450 pages, elle finit par rebuter.
Le livre est pour autant profondément attachant. Un premier aspect très intéressant du roman est la description précise de la matérialité d’Internet : câbles, fermes de serveurs, combat pour la maîtrise physique de la fibre optique. Techniquement, on apprend. Narrativement, c’est efficace bien que cela puisse paraître surprenant : le capitalisme est toujours plus impressionnant quand il déploie ses usines, ses centrales, ses réseaux de communication, que quand il se confine à l’image virtuelle et aseptisée que voudraient en donner ses prophètes contemporains. Mais le caractère vraiment plaisant vient du portrait qu’il fait de la France des années 1970 et 1980 : époque pleine de contrastes, où le minitel rose était défendu par le ministère de l’industrie, époque d’aventures pour les adolescents et d’égarements pour leurs parents. L’évocation est fine, pleine de détails véridiques, attentive sans être nostalgique et les 250 premières pages sont à cet égard un vrai plaisir.
La suite est malheureusement plus poussive, quand il faut commencer à substituer l’histoire du personnage à l’histoire et à la sociologie des techniques, et la conclusion donne l’impression que l’auteur s’est creusé la cervelle pour trouver une chute, sans être totalement convaincu lui-même. Elle a toutefois le mérite de jeter un regard ironique sur son personnage principal et ses semblables, prophètes hallucinés du capitalisme dématérialisé pris à leurs propres pièges intellectuels : Internet, ce n’est jamais que des câbles, des programmes, et de l’argent, pas l’invention d’un homme nouveau ou d’un dieu enfin incarné.
Je suis entièrement d’accord avec vous.
Et je trouve que vous avez raison de mettre les points sur les i de la critique littéraire française.
Est-ce que vous pourriez être publiés dans la presse, et non sur un site internet ?
Passer à la radio sur France Culture ?
Comment faire partie du prix virilo ?
Faut-il déposer un CV ?
Est-ce que vous acceptez les personnes âgées ?
A condition qu’elles partagent votre humour.
Comment vous faire parvenir mes fiches de lecture ?
Est-ce que vous accepteriez de devenir des personnages de roman ?
Merci de me répondre car je vous attendais depuis toujours.
J’aime beaucoup, je façon générale, toutes les photographies que vous publiez dans vos articles. Vous avez très bon goût en terme d’iconographie.
Michel
Cher Mich’,
Je vous ai en estime. C’est pourquoi, j’ai peine à croire que vous vous enfermiez dans une ironie aussi médiocre… Non, ce n’est pas possible, pas vous. C’est donc que vos louanges excessives sont sincères.
J’en suis ravi car nous pensons également que nous devrions être le seul prix littéraire résonnant, que tous se plient à nos vues supérieures et médiatiquement impérieuses.
Bref, nous devrions avoir le monopole du pilon et du pilori.
Votre acceptation de notre credo, pour pleine qu’elle est, n’apporte rien au site. Vous comprendrez donc que nous attendions vos nouvelles, vos critiques et vos peintures gouaches par mail plus que par commentaire.
Car oui, les personnes âgées sont acceptées lorsqu’elles portent des moustaches et votent en homme.
Adieu sur ce site, à bientôt ailleurs.
Philippe