Actes Sud
Lu par Gaël
Une tragédie corse (et donc reposante)
Jérôme Ferrari nous raconte l’histoire de deux jeunes hommes, Matthieu et Libero, qui décident de reprendre la gestion du bar d’un petit village corse, auquel leur enfance les lie. Il nous raconte surtout l’histoire d’une chute, non pas celle de Rome, mais celle d’un projet mal ficelé, aveugle à la violence et à la rancœur dont est faite la trame des jours et qui se terminera nécessairement en drame après avoir commencé dans l’insouciance, les douces soirées d’été, le sexe facile. Projet voué à la ruine, parce qu’il prend place en Corse, terre intrinsèquement dramatique, théâtre de poche où se sont accumulées les haines et les remords. Mais surtout parce que cela semble être le credo de Jérôme Ferrari : comme l’Antigone d’Anouilh, il pense que « c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir ».
C’est là que le parallèle avec le sermon de Saint Augustin prend son sens : les mondes, et le bar corse en est un, sont condamnés à choir, proférait l’évêque d’Hippone il y a plus de 1000 ans. Jérôme Ferrari s’amuse à tisser le passé des personnages avec Saint Augustin et avec l’Algérie où il a vécu, et à tisser sa langue – riche, ample, dont les phrases se déploient avant de s’effondrer en de brutales conclusions – de l’univers mental apocalyptique des premiers Chrétiens. Malgré le décalage des sujets, chute d’un empire millénaire versus fermeture d’un petit bar de montagne, la greffe prend très bien. On pouvait craindre la prétention à rapprocher ainsi grande et petite histoire, métaphysique et récit d’apprentissage, mais il n’en est rien, au contraire : l’ampleur du verbe rend compte de l’importance de l’expérience que vit Matthieu.
Vers une chronique des chiffes molles
Car malgré la symétrie apparente entre les deux amis, c’est bien lui le héros. L’histoire de sa famille est longuement développée, et au moins autant que de son projet avorté, le livre traite de son immaturité émotionnelle, de son isolement, incapable qu’il est de comprendre ce que tentent de lui dire ses proches et se réfugiant dans de fugaces amitiés de vacances. Intrinsèquement, Matthieu est un faible et c’est ce qui semble intéresser Ferrari : comment une mauviette traverse-t-elle l’histoire ? Comment se construit-elle l’impression d’être dominée par le destin, alors qu’elle n’a pas même cherché à le reconnaître, sans parler de l’affronter ? Car finalement, ce n’est pas pour son échec, pour la douleur qu’il aura semée, qu’on méprise Matthieu. Il n’y est pas pour grand-chose et l’ironie du roman est que le désastre ne vient d’aucun des nombreux avertissements semés au fur et à mesure ; il vient du destin, du collapsusprogrammé des mondes.
Mais en tant qu’homme, il s’est laissé balloter sans réagir. Le parallèle est évident avec les ancêtres de Matthieu, l’un, vieux gaulliste passé à l’OAS, déjà rencontré dans les précédents romans de Ferrari, l’autre, ancien administrateur de la France coloniale aux espoirs brisés. Dans la grande comme la petite histoire, l’homme doit toujours choisir la manière dont il échoue, si possible avec intégrité, et il n’a que ce choix. Un choix viril, s’il en fût.
On peut largement ne pas partager les partis-pris de ce soubassement tragique et métaphysique. La force de Jérôme Ferrari est de parvenir à y faire tenir d’aplomb un roman d’apprentissage subtil.
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Lu par Anne
« Jéjé », lui dirais-je, si je tenais Jérôme Ferrari en face de moi (ou si je le serrais dans un coin, soyons 21e siècle). « Jéjé, tu es comme tu es, mais j’accepte de t’épouser. Car en plus d’un homme à la pilosité fort décente, tu es un grand écrivain. Partons ensemble vivre dans ton village en Corse, tu écriras des livres formidables pendant que je garderai les chèvres. »
Ce monologue passionné et, qu’on se rassure, totalement fantasmé ne m’est pourtant pas venu immédiatement à la lecture du Sermon sur la Chute de Rome. En effet, je dois confesser avoir d’abord ressenti une certaine déception. Le fait de vouloir illustrer par un exemple contemporain la vacuité du monde décrite par saint Augustin dans le sermon éponyme m’a semblé un peu factice, voire un poil cuistre. La déréliction annoncée m’avait laissée un arrière-goût de facilité, le sentiment que Jéjé, pardon, Jérôme Ferrari reniait sa capacité formidable à dépeindre le monde en nuances de gris, qui faisait de Où j’ai laissé mon âme un vrai livre intemporel avec de vrais morceaux de condition humaine dedans.
Mais si l’objet de ce nouveau roman me touche moins que celle de son précédent, Jéjé reste un magicien de la langue, qui halète ses phrases, les fait vivre par son sens du rythme, se joue d’elles comme un jongleur surdoué. Là où la plupart des auteurs français semblent craindre la métaphore, la période ample et l’hyperbole, Ferrari les manie avec un art consommé. Et le lecteur époustouflé de s’écrier : Ferrari, c’est vraiment la Rolls de la littérature française !!! (Savourez bien ce calembour douteux car je crains qu’avec lui ne s’envolent mes chances de convoler… )
j’adore la photographie des jurés qui s’en****.
on fait comment pour recevoir les invit’ de la partouze à poils du prix virilo…. tout un programme.
Alors, vraiment, le meilleur roman de la rentrée littéraire pourrait avoir pour cadre un modeste bistrot ? Vraiment. Toute l’oeuvre de Jérôme Ferrari converge vers ses banquettes. Un café servait déjà de décor à Dans le secret (Actes Sud, 2007), qui s’interrogeait sur les destins que l’on se choisit en mettant en parallèle histoires de zinc et souvenirs coloniaux ; celui, précisément, du Sermon accueillait ses habitués dans Branco Atlantico (2008), qu’il faut lire pour savoir ce qui a rendu Virginie Susini , la fille de la propriétaire, si apathique et désespérée. Autre preuve de la cohérence du Sermon avec le reste de l’oeuvre « ferrarienne » : il est traversé par la silhouette d’André Degorce, l’un des deux officiers d’Où j’ai laissé mon âme, victime devenue bourreau, brisé par ses propres agissements. Il est le beau-frère et le modèle de Marcel Antonetti .
Quel concert de louanges! Dans un éclair de lucidité, peut-être pourrions-nous parler…littérature? Elle est bien malmenée, dès la première page de cette « œuvre »: une traduction approximative de Saint-Augustin, bourrée de hiatus disgracieux (ben oui, la littérature, quoi), ça continue avec une description interminable d’une photo, d’une banalité à pleurer, avec des expressions stéréotypées » bras figés le long du corps », « mèches désordonnées », phrases longues et lourdes (n’est pas Proust qui veut), et ça se poursuit allègrement avec des métaphores catastrophiques « placard truffé de naphtaline » (même un mauvais élève de terminale littéraire n’aurait pas osé) etc. Ce style qu’on nous vante tant est ampoulé, lourd et scolaire, salmigondis pseudo poético-philosophique. Quant au sujet, on peut rêver à ce qu’aurait fait un Mérimée ou un Maupassant de la situation actuelle de la Corse; en fait d’épopée, Ferrari nous livre un sujet d’une banalité totale, maladroitement inspiré de Giono, desservi par une absence de style et surtout de réflexion littéraire: narrateur bêtement omniscient, enfin bref…toutes ces considérations techniques (mais on parle littérature, non??) ne seraient rien si l’émotion était là: mais rien ne touche, les aventures de ce héros au prénom en forme de tricot de peau laissent de marbre…Ce n’est pas de la littérature, le roman n’est pas écrit, bref, du papier gâché…
Aaaaah ! Enfin quelqu’un qui dit du mal de ce livre ! ça fait du bien ! Sans être aussi dur que vous (j’ai été tout de même happé par la narration), pas mal de détails m’ont un peu agacé… Vous les pointez du doigts avec justesse et une belle envie d’en découdre, merci !
Lizzie, faire partie du Prix Virilo ça vous dit ?
Philippe
Merci à vous d’avoir publié mon commentaire énervé et oui, ça me dit…