Une femme avec personne dedans, de C. Delaume

7 Oct

Fist-fucking glabre

Lu par Philippe

Seuil

Un des livres qui m’a le plus marqué de la rentrée. Car j’ai trop longtemps hésité entre profonde sympathie et agacement. C’était 1 ou 4 moustaches. J’ai tranché.

Un titre de mauvais film français

Un robot avec un homme dedans, et il n’a pas écrit d’autofiction que je sache

Chloé Delaume nous offre un récit d’auto-fiction évolutif. On y découvre plein de choses : Comment elle traversa l’épreuve d’une lectrice suicidée, comment elle vécut ses amours complexes, comment elle accepta son féminisme, comment elle défend l’idée d’une femme non-procréatrice (nullipare, d’où le titre)… Elle nous parle également de « La Clef », personnage bi et rencontre épiphanique pour l’héroïne… Avec humour, elle termine par une sorte de pastiche de tests de journaux féminins censé mesurer si on est prêt à écouter son histoire, et nous propose donc différentes fins.

Principal grief : ce titre est mensonger puisque l’on assistera à une formidable scène de fist-fucking lesbien. Maintenant que je vous ai bassement vendu la sauce, passons au cœur du bousin.

Forcément, l’autofiction d’une bipolaire…

Un livre avec Lacan dedans

A n’en pas douter, Chloé Delaume est un être brillant qui manie une plume dense, poétique, musicale, capable d’humour et servant un propos vigoureux : Elle n’aime pas les phallocrates et leurs outils (les couillidés) ; elle est pour une entière liberté du corps de la femme ; elle souhaite une trucidation systématique des relais de domination masculine. En plus, elle fait rimer Exil avec Vodka-Lexomil ce qui nous la rend d’emblée sympathique.

Là où ça se gâte, c’est que c’est de l’autofiction écrite par une bipolaire qui s’auto-analyse constamment. Avec des citations de Lacan dedans. Tu voulais une narration facile pour lire dans le métro, tiens ! Ramasse !

Cela donne un récit hésitant entre l’introspection douloureuse, le carnet de malade, et les gender studies. Ceux qui aiment diront que ça foisonne, on pourrait dire que ça brouillonne. Une pensée bipolaire pour une écriture bipolaire elle aussi -malheureux alliage fond/forme pour une fois- qui claque des termes comme hétéro-normativité au milieu de jolis poèmes en prose. Entre un symbolisme à la truelle (rajouter des cartes de tarot, des Hécate et des Lilith…) et la « pensée indirecte libre » (j’écris comme je pense, et non comme je parle, avec des ellipses de partout et sans ponctuation), voilà le lecteur pris dans un bourbier laborieux de mots.

Un exemple peut-être ? Allez au pif, page 83, sur la pression familiale face à sa nouvelle homosexualité « Mon Je se convulse. (…) Ils veulent que j’analyse mon changement (…) pour s’assurer ainsi que tout cela est. Quoi. Peut-être bien inéluctable, ça les consolerait sûrement. Ma psyché était-elle entortillée stigmates Cassandre à l’invertie, ça je l’ignore moi-même, aussi. » 

De l’autofiction à l’auto-solennité

Un homme avec une femme dedans. Et pourtant les gender studies en parlent peu, de Goldorak.

L’auteure semble en avoir sacrément bavé dans la vie. Il est difficile de ne pas avoir de l’empathie et du respect pour son intelligence brute malgré son hermétisme frôlant la cuistrerie. Cette sympathie est renforcée par la sincérité du propos, jusque dans ses maladresses (certaines attaques dignes d’une ado en crise contre « Le Bonheur™« ). Mais in fine, l’oeuvre ne se relève pas des règles qu’elle s’impose : Onanisme intellectuel, exhibitionnisme et architecture du récit prétentieux. Là où seule l’auto-dérision aurait été pertinente, même l’humour sert une auto-solennité navrante. C’est normal, elle écrit (aussi) un manifeste de pensée féminine. Le Prix Virilo ne peut donc que s’offusquer.

Chloé Delaume en a une bonne paire : C’est un bouquin coup de poing (ou plutôt fist donc) dans le lecteur qui ne méritait pas tant d’ingratitude, le pauvre, après 140 pages de symbolisme léger comme un parpaing. Chloé décompense avec brio mais décompense quand même, dans un livre agréable à lire comme le journal intime d’une ado malade de sa propre intelligence et qui se scarifie pour  attirer l’attention.

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