Gallimard
Lu par Alys
Deus ex sodomie
Un drôle de titre, entre l’exclamation d’un enfant apercevant une merveille, et le son de celui qu’on dérange. Le « oh » de l’étonnement, de la curiosité. Connaissant le père Djian, le « oh » de l’orgasme, aussi, probablement. Si à premier abord le titre en dit peu sur le contenu du roman, il n’en symbolise pas moins un nouveau style d’écriture qu’étrenne ici Djian.
Le livre s’ouvre sur une scène étrange, une personne, qu’on imagine de sexe masculin tout comme son auteur, est allongé par terre dans son salon. Il/elle vient de subir une agression. La scène est posée, l’auteur ne nous en dit pas plus, en tout cas pas tout de suite. Alors, on fait ses suppositions, on se trompe, on change d’avis, et l’auteur s’amuse à nous perdre, à nous retrouver pour mieux renforcer les mystères qui jalonnent son histoire. Grâce à une écriture très maîtrisée, l’auteur distribue des clés, quelques mots disposés ça et là comme des indices.
On doute que cela fonctionne pendant les premières pages, surtout parce que le narrateur se trouve être une narratrice, contrairement à l’habitude de l’auteur. Comment Philippe Djian, spécialiste unanimement reconnu des ambiances « bières chaudes et moiteur de l’entrejambe », va-t-il réussir à pénétrer la psyché féminine ? La solution s’impose au lecteur à la 3e page. Par un viol, tout simplement. Avec sodomie.
Pas d’érection pointant sous le jean brut
La violence est très présente : une violence sourde, permanente. Dans les relations que l’héroïne entretient avec ses proches, dans les mots. On ne comprend pas bien cette violence, d’ailleurs. Elle est insupportable avec son fils, son ex-mari, sa mère. Et puis petit à petit, Philippe Djian nous explique.
On est un peu frustré de ne pas retrouver tout d’abord ce qui fait le charme des romans de P.Djian : l’érection qui pointe sous le jean brut, les filles qui ne portent pas de sous-vêtements, le lieu toujours indéterminé (qu’on imagine en Californie ou au Texas), les pratiques sexuelles étranges (comme la danse de l’œuf, qui consiste pour une acrobate à s’insérer un œuf dans le vagin au moyen d’un grand écart).
Ici, on est en banlieue, la banlieue chic des pavillons, et c’est l’hiver, donc il faudra repasser pour la moiteur. On se dit qu’il a vieilli, qu’il s’est embourgeoisé et qu’il ne baise plus. Erreur. Philippe Djian est bien là, plus subtil peut-être, mais tant mieux, son héroïne n’en est que plus crédible. Quelques interventions valent d’être soulignées : quand l’agresseur envoie à l’héroïne un texto pour le moins clair : « Je t’ai trouvé très étroite, pour une femme de ton âge. Mais bon« . Ou quand ladite héroïne, surprise par une visite de son amant sur son lieu de travail, raconte : « Il ouvre sa braguette et me dit que je peux le caresser. « Dans ce cas, mets-toi au dessus de la corbeille » dis-je « .
On regrette de lui enlever une moustache, mais on lui reproche une ligne, la dernière. Dommage d’avoir voulu terminer en justifiant le titre, c’était loin d’être nécessaire, bien au contraire. En résumé, Philippe Djian signe ici un beau roman, sensible et féminin, mais réalise aussi une petite performance : nous convaincre que les femmes aiment parfois se faire brutaliser. A défaut donc de candidater pour le Prix Trop Virilo, voici un quatre moustaches.
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Lu par Philippe
Mon premier Djian. Avec un titre qui fait très « je lis du Djian dans le métro, moi ». Je suis bien content.
« Je saigne un peu… »
C’est agréable à lire… L’écriture est maîtrisée, la narratrice a une voix crédible, ce qui constitue un vrai tour de force… Je fus surpris également par la pudeur face aux scènes décrites. Exemple : Viol avec sodomie donc, et bien « Je saigne un peu mais ça va« . Djian ne s’éternise pas avec des lunettes d’entomologistes comme d’autres passent trois pages sur une fellation au jambon (n’est-ce pas madame Angot). Cette retenue est au cœur du livre. Cette retenue, c’est l’héroïne, véritable bloc de pierre lézardé mais vaillant puis jouant avec ses failles. Une héroïne franchement sympathique, qui nous pousse à nous penser un peu plus libre. L’histoire est extrêmement casse-gueule et Djian donne à voir avec une une sensibilité psychologique et une économie d’esbroufe rare.
Je saigne too much ?
Mais j’ai fini par être un peu agacé par le côté too much. La bio de l’héroïne, too much, quand tu la résumes ça en devient risible. Les twists de scénario, carrément too much, je ne parle pas de la fin tellement c’est LOL. Les relations sexuelles, les petits-enfants, même les dîners familiaux sont too much… Djian a dû s’amuser comme un fou, mais cela sape en partie la projection du lecteur. Ce n’était pas la peine de faire un scénario aussi dopé. Ce n’est pas un problème pour un roman de gare, mais cela ramène cette histoire à une anecdote trop bien écrite dont on reste le spectateur amusé. Un livre pulp, agréable, qui montre des gens se vautrer en tentant d’être libres.
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