Editions Allia
Lu par Philippe
Moins un titre qu’une vérité vraie
Ne nous le cachons pas, ce qu’aimeraient bien trouver les jurés c’est la petite pépite publiée dans une maison d’édition peu puissante, un livre passé inaperçu et à qui nous rendrions justice et honneur par notre prix. C’est avec cette espérance souvent déçue que j’ai acheté le court roman d’Elie Treese, attiré comme une pie par la très jolie couverture, bravo les éditions Allia.
La quatrième a cependant commencé à me faire douter : « Il a bu un coup et il a dit la vérité vraie ». La vérité vraie… Bien nul ça… Méfiance. Hélas, après quelques pages, j’ai compris que le titre de ce roman était avant tout une promesse au lecteur : Ni ce qu’il espère, ni ce qu’il croit. Encore moins ce qu’il souhaite.
Quat’ darons qui boivent du picrate lourd comme l’azur
C’est l’histoire d’une bande de quatre pieds nickelés un peu vagabonds, peut-être partiellement clodos, on ne sait pas trop, les indices spatio-temporels arrivent lentement. Ils volent, dans un chantier paumé en lisière de forêt, un bidon d’essence. Comme ils ont bu de la gnôle genre Destop, ça va être galère. Tout cela est raconté du point de vue d’un certain Maroubi tout au long d’une sorte de discours/pensée indirecte libre
« Et Low a dit nom de Dieu c’est la putain de cour des miracles ou quelque chose et Hadès a juste dit va baiser ta mère et le silence était autour de nous comme un songe sinueux avec la brume qui luisait un peu sur les engins (…); Puis Hadès s’est relevé, a fait quelques pas avec son fusil sous le bras, et j’ai dit ce sera bientôt fini les gars, et il faut juste qu’on se tienne encore un peu à carreau (…).«
L’intérêt réside dans ce mélange de grossièreté et de visions poétiques, mises en valeur par la narration. ça marche assez bien. Voilà tout. C’est dommage, certaines images sont très réussies. Mais même à six euros le livre, ça fait cher de la belle image poétique. Pour le reste, je comptais sur ces 76 pages pour se lire vite. Mais le temps mmh, attendez… s’étendait comme un songe sinueux après une gueule de bois.
Critique sévère pour un petit opus bourré de qualités; je m’étonne de ne pas trouver « bidon » parmi les traits d’esprits vertigineux de l’auteur(e). Sortir une image de son contexte ne rime pas à grand’ chose: chez quel écrivain n’en trouverait-on une un peu moins réussie? Le livre atteint son objectif; il fonctionne en flux tendu et nous plonge dans son univers nocturne avec un équilbre qu’on voit assez rarement atteint entre comique et tragique. Le parti-pris peut déplaire, mais du moins il en a un, et tout cela nous change de la masse d’ouvrages plats et posturaux à laquelle l’écriture à la française semble avoir abouti de nos jours. Encore faut-il souhaiter le dépaysement, bien sûr.
Bonjour Pierre,
Merci beaucoup pour votre critique, sincère et précise.
A la relecture, je suis d’accord avec vous sur l’équilibre de l’ensemble. C’est en effet très réussi, alors que c’était assez casse-gueule. Et le livre, c’est un fait, atteint son objectif, vous avez tout à fait raison. Je pense avoir fait trop peu honneur à cela dans ma critique, tout comme son originalité.
Toujours est il que, malgré ma recherche de dépaysement, je n’ai jamais vraiment réussi à rentrer dedans. Je ne sais pas pourquoi cela n’a pas fonctionné. Je suis resté très extérieur, je voyais l’exercice de style sans pouvoir l’apprécier, d’où la frustration, d’autant plus grande peut-être, et qui explique en partie ma sévérité.
Pour le reste, les traits d’esprit un peu lourds et les citations abruptes son notre parti-pris. Lui aussi peut déplaire… C’est le jeu.
Bref, je suis ravi de votre commentaire. Vous avez su trouver du plaisir dans la lecture. Plus chanceux que moi. J’espère que d’autres auront le même bonheur que vous.
Philippe
Cette réponse est tout à votre honneur. Pour ma part je n’avais pas trop cerné la « ligne » virilo en postant, j’ai mieux saisi en lisant d’autres critiques ensuite. Pour en revenir au bouquin, en littérature comme dans la vie il y a des rencontres qui se font ou pas, mais en l’occurrence après une accroche un peu râpeuse, sûrement du fait que la narration me sortait de mes habitudes « classiques français » pour me mettre en terrain (Faulknerien?) moins connu, j’ai vraiment mordu au truc. (genre songe sinueux, quoi).