Lu par Gaël
Le Virilo a choisi de se singulariser en ne faisant pas figurer 2084, la fin du monde, de Boualem Sansal parmi ses finalistes. Le roman est pourtant partout : au jour où nous mettons en ligne, il figure encore sur les listes finales du grand prix du roman de l’Académie française, du Goncourt et du Femina ; il figurait également sur la première liste du Renaudot. Belle unanimité ! La rentrée littéraire est coutumière de ces engouements pour des livres qui seront oubliés quelques années plus tard. S’il ne s’agissait que de cela, il n’y aurait pas lieu de s’appesantir. Mais pour une fois, ces classements semblent en dire plus long sur l’état des esprits que sur celui des rapports de force entre grandes maisons du Faubourg Saint-Germain.
Epargnons-nous le synopsis du roman : on en trouve partout de très bons résumés. Evacuons également tout de suite le sujet des qualités littéraires de l’objet : elles sont maigres. L’ouvrage est lourd, à tel point qu’aucun juré n’a réussi à le terminer. L’humour est convenu, voire potache. Défaut fréquemment pointé, mais qui devrait être rédhibitoire à ce niveau de reconnaissance, la narration est entrecoupée de réflexions filandreuses sur la politique, la manipulation, le rapport à la vérité.
Mais en tentant de se jucher sur les épaules des géants, on peut en tomber ; le risque est alors grand de se faire fouler aux pieds par ces sommités inattentives aux affaires des hommes ! La comparaison est en effet cruelle car Boualem Sansal renonce à tout bout de champ à son point de vue, au profit de blagues potaches ou démonstrations susmentionnées ou, plus grave, d’un dévoilement non ancré dans le regard de son héros. On dirait que la leçon n° 1 de la théorie romanesque pour les nuls : « narrateur et personnage » mériterait d’être méditée.
Sur le fond, les mécanismes totalitaires décrits sont des classiques du genre. C’est Fahrenheit 481 saupoudré de Mad Max, où les pompiers seraient remplacés par des mollahs. Bref, le roman n’est pas très intéressant, ni bien construit.
La fusion entre totalitarisme à l’ancienne et intégrisme musulman, entre les imaginaires de Raymond Aron et de Ben Laden, est ratée. Un pays où Daesh parviendrait à durablement dominer ne ressemblerait sûrement pas à ce qui est décrit. L’auteur, très marqué à titre personnel par la montée de l’intégrisme religieux en Algérie et le drame que connaît son pays, se trompe sans doute de cible et d’analyse : si le FIS et Bouteflika ont tous deux concouru à la ruine morale de leur pays, l’union de leurs descendants serait un événement politiquement très improbable (la situation en Egypte le montre d’ailleurs très bien). En revanche, le monde décrit pourrait bien être celui que nous réservent Google et consorts, en remplaçant « religion » par « innovation ».

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