Lu par… Paul

Première pousse prometteuse
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Anguille sous roche est un très beau livre. Cela ne fait aucun doute. On se laisse vite emporter par cette marée montante que ne vient ralentir aucune ponctuation. Pour une fois les promesses de la 4e de couv’, qui crient au génie dans un unisson presque suspect, semblent tenues.
Et pourtant. Et pourtant, le juré du Prix Virilo ne peut s’empêcher de troubler cette belle unanimité en crachant d’un même mouvement et dans la soupe, et dans sa moustache..
Car face à un tel objet littéraire, situé à mi-distance entre le poème et le roman, on a l’impression que le monde de la critique a eu tôt fait de désarmer, victime d’un syndrome bien connu qui porte le nom de « Syndrome du restaurant japonais étoilé au Michelin ».
Quiconque, lors d’un voyage en Asie, a déjà croisé un restaurant mal éclairé dans un fond de gare routière sait ce dont il est question. On a parfois le sentiment que les auteurs du Guide rouge, lassés de frapper leurs compatriotes d’indignité nationale au moindre ramasse-miettes qui couine un peu en roulant sur la nappe, redécouvrent en Asie que la bonne cuisine peut aussi se passer du moindre décorum. Que certains gérants de bouis-bouis (dans lesquels, au passage, ils ne mettraient jamais les pieds si ceux-ci se trouvaient à Clermont-Ferrand) ont autant de génie qu’un Alain Passard. Bref il semblerait que leur impartialité de critiques soit mise à mal par un cocktail de décalage horaire, de choc culturel et d’une bonne dose de double standard.
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« Franchement j’hésite entre une et deux étoiles« , songeait le critique du Michelin
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Ici, on ne peut que se demander si le monde de la critique littéraire n’est pas à son tour pris en flagrant délit de double standard. La gouaille à la Mabanckou est bien là, les protagonistes se prénomment « Anguille », « Crotale », « Connaît-tout », on ne fait que tenter de s’accrocher à une longue phrase de 300 pages, sans point… Bref la critique est désorientée mais crie au « miracle » car au final, dans cet environnement mouvant, elle conserve au moins un point de repère : l’auteur s’acquitte avec talent du cahier des charges qui a depuis longtemps été établi pour lui. Il écrit exactement comme on s’attend, à Paris, à ce qu’un écrivain francophone africain écrive.
Que l’auteur soit talentueux est incontestable, mais clamer que son premier roman est « un miracle littéraire », c’est quand même pousser mémé dans les orties (ce qui est triste car « un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle »).
Espérons donc que son talent permettra à Ali Zamir de vite dépasser les catégories dans lesquelles on voudrait l’assigner.
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Exemple de personnalité d’origine africaine n’ayant pas fait ce que Saint-Germain des Prés attendait qu’elle fasse
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