Lu par… Gaël

Retour de mauvais poil
Au départ, je voulais donner à ce roman 2 moustaches et puis en fait, j’ai réalisé qu’une de ces moustaches irait non pas au livre, mais à ce qu’il raconte. Je lui décerne donc une moustache. C’est sévère, mais juste, au regard de cette tentative d’abus de bien pileux.
Pourquoi, donc, cette sévérité ? Parce que le roman non seulement passe à côté, mais trahit, son projet affiché : rendre compte de l’Évènement que fut la prise de la Bastille en un hommage à son acteur principal, le peuple (la Multitude pour évoquer le concept à la mode qu’on entend en filigrane (oui, au Virilo on entend au filigrane ; pas de raison de laisser aux autres les métaphores bancales !)). Il s’écoute tellement qu’au final, l’évènement et le peuple ne sont qu’un prétexte. Les préciosités sont ainsi légion et lassantes, pour certaines vraiment maladroites. La plus caractéristique est un procédé répété à plusieurs reprises, consistant à aller dans une même scène du passé simple au présent en passant par l’imparfait alors que la narration reste exactement sur le même plan temporel. C’est gratuit et inutile. Pas tout à fait aussi digne d’une rédaction de classe de quatrième ayant pour consigne « utilisez un effet de style » que 99 Francs, mais on s’en approche.
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Aux armes, etc.
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Plus grave à mon sens, sur le plan de la trahison, la langue « du peuple » en elle-même (en tout cas celle qu’on lui suppose) est traitée comme un exercice de style. La nonchalance est permanente, quelques clins d’œil linguistique au « parler peuple » servant de marqueur de connivence bien plutôt que d’hommage. Aux pages 140 et quelques, c’est caractéristique : une délégation tente de pénétrer dans la Bastille pour négocier. Ils sont peut-être ridicules par rapport à la force de l’événement, peut-être ont-ils raison de vouloir tenter de sauver des vies et de faire tomber les privilèges sans effusion de sang (préoccupation constante, que l’idéologie furétienne a réussi à faire oublier, des révolutionnaires conséquents, Robespierre et Saint-Just en tête). On ne le saura pas et au fond, l’auteur ne prétend jamais être historien ni tenter d’analyser. Admettons qu’eu égard au projet, on s’en fiche. Là où le projet dérape, c’est que l’auteur tente de moquer cette délégation, composée de bourgeois, avec les fameux accents « du peuple ». L’exercice est au final terriblement méprisant et snobinard. La vérité de ce passage, c’est que les seuls personnages avec un peu de chair, ce sont les bourgeois.
Du peuple, il ne reste donc que de fastidieuses énumérations marquées au sceau d’un temps où les pauvres étaient les anonymes de l’histoire, à commencer par leurs états civils défaillants. L’auteur semble se délecter de cette découverte totalement waouh (de même que brille sans cesse sa cuistrerie qu’on dirait sortie d’un Que-sais-je sur l’art de la guerre au 18ème siècle : « ce trou qu’on appelait lumière », p. 138, exemple le plus frappant parce qu’il constitue une bonne description du livre). Cela ne suffit pas à rendre une grandeur à la force politique des masses. Au final, ce qu’on retient d’eux : des anonymes aux patronymes souvent un peu rigolos, avec des petits rêves (pensez, un foyer et une famille !), courageux mais un peu couillons et alcooliques, dépassés par la force d’un événement qu’ils ne semblent pas spécialement comprendre.
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Modernes contre classiques
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Voilà, comme réhabilitation, on fait mieux. Mais ça ferait sans doute un bon brief pour reporter en mal de sujet au 13 heures de TF1. Comme narration de ce qu’est une révolte, de ce que cela suppose à la fois de sens de l’injustice et de colère d’être prêt à se prendre une balle pour faire tomber un symbole d’autorité à l’air imprenable, également.
Au final, la dernière page lâche le morceau : pour Eric Vuillard, la révolution, c’est enthousiasmant et esthétique. Romantique, au sens le plus plat du mot. Mais sûrement pas politique, pouah.
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