Lu par… Bérénice

brassée de fleurs du Haut-Jorat
Je ne connaissais pas Gustave Roud, poète suisse aux doigts vêtus de fleurs, aux yeux balayant les alpages et la sueur sur le corps des hommes due aux mouvements de la faux.
Bruno Pellegrino raconte les dix dernières années de ce vieil homme qui, toute sa vie, a vécu avec sa sœur Madeleine dans la maison familiale, habitée par les meubles des ancêtres, où la page de garde de la Bible transmise de génération en génération ne constate plus de naissance et ne retrace que des décès. Le jardin féérique vit, lui aussi, grâce et par Gustave. Ce sont les neuf dernières années de la vie de Madeleine.
Sommité littéraire en dehors des frontières de sa campagne vaudoise, c’est un poète qui n’écrit plus, qui se disperse, qui contemple ses fleurs, balaye les congères et regarde encore un peu les hommes, encore un petit peu jusque ce que, comme lui, ils meurent.
Homosexuel, chose reconnue (il prend des milliers de photos de jeunes hommes torse nu ; il est vu bras-dessus, bras-dessous avec un autre célibataire) mais jamais abordée (uniquement dans son dos, dans les murmures veules de la file chez la boulangère et dans le regard des autres au café du village), on comprend de ce que Pellegrino écrit qu’il ne s’est jamais (n’a pas pu ?) laissé vivre ses amours. Heureusement, Madeleine veille, « faisant peser la présence de son corps, le laissant diffuser juste ce qu’il faut de silence pour tenir à distance les mots qui ne savent pas de quoi ils parlent ».
Alors, il marche, il photographie, et il essaye d’écrire, vite distrait par les capillaires et les pulmonaires, le souvenir des trembles de Virginie, le bois-gentil, les ancolies, les esparcettes et le sainfoin. Madeleine et lui partagent des repas, quelques espaces communs, une complicité sans parole et le souvenir des tantes mortes dans cette maison, dans leurs chambres, dans leurs lits. Madeleine adore la science mais les correspondances de Gustave ne mentionneront que ses talents de cuisinière, une tarte au vin cuit et un mélange pour nourrir les abeilles.
Gustave, vieux monsieur, se plie à l’exigence d’un tournage : un film sur lui, le célèbre poète. On l’y voit marcher, et se verser du thé. Pellegrino suggère quelques notes de Schubert. Ich komme vom Gebirge her, Es dampft das Tal, es braust das Meer. Pas un mot d’André, pas un mot de Louis.
Et Madeleine, mon héroïne, nettoie le poêle et recherche des coupures scientifiques. Elle fume la pipe et attrape, rarement, un fou-rire. Quelle élégance que ces deux vieux talentueux. On voudrait bien qu’ils soient nos grands-parents.
L’ensemble est très beau mais pèche par le choix du sujet : dix ans d’un poète en crise de la page blanche, voilà qui manque un peu de tension. Madeleine meurt, l’urgence à écrire encore un peu renaît, et puis c’est la fin. Tout meurt, y compris les maisons, dans le Haut-Jorat. C’est une mélancolie un peu lasse, un peu longuette, qui fait malgré tout de l’ensemble un très joli livre.

Gustave Roud, à qui il manque une moustache.
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