Lu par… Gaëëëël

Heureuses de ces retrouvailles
Thématique de la rentrée : les attentats perpétrés par des islamistes. Nous sommes donc le 11 septembre 2001. Lucy, qui vit à New York et travaille au World Trade Center, et William, responsable de la sécurité de l’aéroport Logan à Boston, sont frère et sœur. Leur père vient de leur téléphoner pour leur annoncer qu’il va mourir mais, très rapidement, ce souci est effacé par quelques autres plus pressants, liés aux failles de la sécurité aérienne. Lucy, encore dans les sous-sols au moment de l’effondrement des tours, est piégée. William est aux premières loges de l’enquête immédiatement déclenchée par les services de renseignement.
Ces deux personnages sont bientôt rejoints par un troisième : Mohammed Atta, le coordonnateur des attentats. « Rejoints » de manière très métaphorique car l’unité de temps est respectée : tout se déroule le 11 septembre, les trois ne se croisent évidemment que par l’effort d’abstraction conduisant à envisager les attentats comme un tout, et nous n’accédons au passé de ces personnages que par les longues méditations qu’ils conduisent sur eux-mêmes, à l’occasion de cette journée pleine d’angoisse mais surtout de vide. La vie de Mohammed Atta, quant à elle, fit l’objet d’une enquête extrêmement fouillée des mêmes services de renseignement et c’est par le biais d’un anonyme Agent spécial qu’elle est retracée. Ces trois trajectoires sont tendues vers le même but : se sauver soi-même. Pour le meilleur et bien-sûr pour le pire.

Juré embarqué dans la rentrée littéraire en train de se crasher
Et le cœur du livre, c’est ça : pas tant les attentats, le pourquoi du comment ils se sont déroulés et ces trois personnages y ont été mêlés, ni même un abstrait « pouvoir des images » que suggèrent le titre et la quatrième de couverture, mais la longue méditation de ces trois intériorités, des blessés de la vie, qui partagent d’ailleurs leurs souffrances avec les mondes qu’ils ont traversés. Car Fanny Taillandier est une géographe et elle en a la sensibilité : les espaces et les territoires vivent, d’une vie propre qui n’est que symbiotique et jamais confondue avec celle des humains.
Les vies des personnages, retracées avec une très subtile sensibilité – Atta lui-même n’est pas décrit comme un monstre, ni comme un paumé qui n’aurait pas compris ; car Fanny Taillandier a compris que chercher à comprendre, c’est tout sauf excuser – sont ainsi entremêlées de subtils motifs de réflexion, sur la carte, l’image, le statut des ruines et d’un monde où tout peut être recomposé, sur les statistiques et le risque. D’exercices de style parodiques aussi, et on se délectera de la parodie de diatribe talibane autour des télévisions, comme on s’était délecté des exercices de style qui faisaient Les Etats et empires du lotissement Grand Siècle (Prix Virilo 2016). C’est subtil, c’est très intelligent, un peu trop khâgneux parfois – une bibliographie, Fanny ? – mais qui sommes-nous pour juger ? Plus profond et beaucoup plus humain que Les Etats et empires… , moins amusant aussi évidemment, parfois un peu tiré par les cheveux quand le motif ne sait plus où se tourner pour se renouveler, mais en tout cas très original et conforme à ce qu’on attend de la littérature : déplier le monde, même lorsqu’il paraît simple comme un discours de George W. Bush.
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