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La Jouissance, de Florian Zeller

27 Oct
Moustaches (France)

Editions Gallimard

Lu par Anne

Moustaches d’Europe : ode à la diversité
Moustaches of Europe : an anthem for diversity
Whiskers von Europa: Ode an die Vielfalt
Bigotes de Europa: oda a la diversidad

En décidant de lire et critiquer La Jouissance, je dois confesser avoir éprouvé un plaisir coupable teinté de perversité : oui, j’allais pouvoir libérer mes pulsions sadiques en la personne de Florian Zeller et procéder à un Zeller-bashing dans les règles de l’art. Mais l’animal réservait des surprises… En effet, le début du roman n’est pas déplaisant, par l’emploi d’une ironie douce-amère et à l’originalité du propos : comparer l’intrusion d’une polonaise dans les fantasmes d’un trentenaire et l’élargissement de l’union européenne, voilà qui ne manquait pas d’audace. Et l’audace, au Virilo, on aime ça.

Malheureusement, passée la première scène, l’effet retombe comme un vieux soufflé au fromage allégé. La relation entre Pauline et Nicolas est ennuyeuse comme Vladivostok (Russie) un jour de grève ferroviaire,  la comparaison entre leur médiocre histoire et l’unification d’un continent se révèle aussi improbable qu’un porcelet courant en liberté sur l’Esplanade des Mosquées (Israël), et l’auteur s’avère finalement aussi cuistre (France) qu’on le redoutait.  Pour une raison qui échappe, il a choisi d’accompagner entre parenthèses le pays du lieu dont il parle, comme ci-dessus. Voyez plutôt, au mieux on n’en comprend pas l’intérêt, au pire ça agace.

Finalement, on a surtout l’impression que Zeller, adulé pour ses premiers romans, belle gueule de l’édition, s’est retrouvé prisonnier de la brillance qu’on lui a proclamée. Avec ses ambitions de grandeurs et sa volonté affichée de faire de l’esprit,  c’est un jeune présomptueux, frère en arrogance des jurés du Virilo. Grand prince, je lui accorde donc trois étoiles, car Dieu reconnaîtra les siens, et propose qu’on le coopte pour l’année prochaine. Lui comme nous devrions en être flattés et notre carnet d’adresses s’en trouverait fortement étoffé…

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Impuissance glabre

Lu par Stéphane

A défaut de temps, pas de critique. De simples citations. Chacun jugera sur pièce de la valeur de la prose.

Dans la catégorie « Ah bon ? » :

« Ici, un parallèle avec le plombier polonais s’impose. »
(fallait-il le préciser tant cela semble en effet évident !)

Dans la catégorie « Vérités éternelles » :

« Les hommes sont, du moins la plupart du temps, de grands enfants. »
(noter la prudence de l’auteur, qui nuance son propos)

Dans la catégorie punchline façon Rap Contenders :

« C’est la loterie de l’histoire. Mais contrairement à l’Euromillions, le ticket est gratuit. »
(toi même tu sais, gros)

Dans la catégorie « l’art du suspense » :

« Puis il s’était produit un événement déterminant : le chat de Pauline s’était blotti contre Nicolas. »

Dans la catégorie « métaphore acidulée » :

« Quand elle avait 20 ans, elle ne parvenait pas à guérir de cette étrange maladie qu’on appelle l’enfance. »

Dans la catégorie « un nouveau regard sur l’Histoire » :

« « Verdun », ce seul mot fait frémir d’horreur. C’est une des batailles les plus inhumaines auxquelles on se soit livré. Sous un déluge d’obus, les hommes, dont le but principal consistait à tenter de survivre, ont vraiment connu l’enfer. »
(on apprendra également plus tard dans le roman que si Hitler était mort enfant, le destin de l’Europe aurait « probablement » été différent, est-on jamais assez prudent avec l’Histoire ?)

Dans la catégorie « prenons le lecteur par la main, il serait tenté de s’enfuir » :

« En ce qui le concerne, Nicolas a toujours pensé que, s’ils étaient complémentaires, c’est avant tout parce qu’ils n’avaient pas le même rapport au temps. Mais comment définir ce rapport ? Dans l’immortalité, Kundera… »

Dans la catégorie GPS stylistique :

« Ce jour-là, après son travail, elle a rendez-vous avec Nicolas devant la cinémathèque qui a programmé une rétrospective sur Bergman (Suède) »

Hors catégorie

Terminons enfin par cette phrase, qui illustre bien et en peu de mots l’audace du projet littéraire (rapprocher un cours de terminale sur l’histoire de la CEE et la déroute d’un couple) et son échec inévitable (a-t-on jamais vu rapprochement aussi artificiel et dénué de poésie ?) :

« Dérouté par ce rêve européen, il essaie de se souvenir de la première fois qu’ils ont couché ensemble. »

Exercice à faire à la maison

Comme Florian Zeller (Paris), vous juxtaposerez deux faits sans rapport et en tirerez un roman.
Suggestions :
Consterné par la situation géopolitique au Moyen-Orient, il se fit des pâtes au beurre.
Préoccupé par la propagation de l’arme nucléaire, il noua ses lacets.
Amoureux de la littérature, il dévora le dernier roman de Florian Zeller.

Sarajevo Omnibus, de Velibor Čolić

25 Oct
Moustaches des Balkans

Editions Gallimard

Lu par Paul

Colic, c’est pas d’la…

Il est difficile de ne pas entrer du bon pied dans cet ouvrage dont l’auteur assume dès l’avant-propos le caractère foutraque de « roman omnibus », entre le récit historique, le conte slave et la biographie imaginaire. « Le romancier n’a de comptes à rendre à personne, sauf à Cervantès », un mot de Kundera qu’il met en exergue et que nous devrions plus souvent rappeler aux apôtres de l’autofiction et des récits visant à l’édification du lecteur. Ici nulle prétention de ce genre et il faut reconnaître que ça soulage.

Paysan équipé du rasoir traditionnel d’Europe centrale et orientale

Ce que Vélibor Čolić met en scène au travers de l’épisode de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, c’est l’Orient compliqué,  l’Europe difficile, et les Balkans coincés entre les deux. Les personnages s’insultent en turc ou en bosniaque, prient en slovène, complotent en hongrois, obéissent en allemand…  Le lecteur s’égare rapidement – mais avec un certain plaisir – dans cette cacophonie poétique, sans chronologie (ni même d’ailleurs sans logique tout court).

Et au fil des pages, le juré du Virilo se découvre une âme de Slave du Sud, les superstitions des Balkans ayant souvent à voir avec le poil :
– « L’homme savait que les seins de la serveuse avaient des moustaches, et que c’était très mauvais signe » (p. 144)
– « Il se rasa la moustache – un geste anodin qui allait rapidement s’avérer fatal » (p. 169)

Nous retiendrons donc cette dernière mise en garde en attendant que Velibor Čolić revisite les contes et légendes de sa nouvelle terre d’adoption, la Bretagne du Sud.

Mufle, d’Eric Neuhoff

8 Oct

Une moustache de trop

Albin Michel

Lu par Paul

Y a-t-il quelque chose à sauver dans ce nouvel ouvrage d’Eric Neuhoff ? La couverture, peut-être, pour les amateurs de gros chiens ?

L’odeur de la femme adultère 

Une couv’ qui a du chien

Lire Mufle est très agaçant, d’abord parce qu’on est persuadé de tenir le « Trop Virilo » de l’année entre ses mains. Une sombre histoire d’adultère, un titre qui en laisse entendre beaucoup, un narrateur qui jure de se venger de sa femme et au passage nous assène quelques belles trouvailles  :
« Les femmes qui vous trompent ne sentent plus pareil. Elles traînent après elles des relents d’arrière-cour, d’épluchures, de faux-semblants ». (p 16)
« Qu’avait-elle en tête ? Des rêves de boniche, des fantasmes puérils, des chimères de ménopausée » (p. 71)

Point de moustache sur ce mufle

On a envie de lui dire vas-y coco, lâche les coups. On y croit. On a envie de le voir se défouler 200 pages durant contre la gent féminine, qui n’en avait peut-être pas tant demandé, et remporter le Prix Trop Virilo au terme d’un feu d’artifice de testostérone.

Dépucelage marmoréen

Mais au lieu de ça, Mufle est un roman qui fait pschitt. Une fois ces deux ou trois débordements passés, le narrateur se complaît dans un long gémissement digne de la bibliothèque rose. Certes, il passe bien par une petite crise existentielle (« Devait-il à son tour se comporter comme une merde? »), mais rien en tout cas qui permette de décrocher un prix de machisme littéraire, ni accessoirement de retenir l’attention du lecteur.

Mais là où lire Mufle devient extrêmement, et je dis bien extrêmement agaçant, c’est lorsque l’on constate que l’auteur avait en fait bien plus d’ambition que celle de remporter un prix pastiche et postiche.
1) Il avait l’ambition d’être le nouveau Flaubert :
« Il voyagea. A Berlin, il s’ennuya. Il y avait plein d’Allemands et le zoo était en travaux. […] A Capri, une mouette s’était posée sur la piscine. […] A Belgrade, les nouveaux riches sifflaient un cocktail Coca-cola champagne. Dans les rues, pas un noir ni un Arabe. Encore des vacances de merde. » (page 85)
2) Ou une sorte de Nicolas Bouvier, qui sait :
« A Venise, elle avait embrassé un type devant chaque église. [..]
A Marrakech, un producteur de télévision l’avait invitée à partager sa suite de la Mamounia […]
A Delhi, elle avait dépucelé le fils d’un maharadjah. La chose s’était passée à même le marbre d’un palais. » (page 40)
Arrive fatalement un moment où le lecteur s’intéresse moins au récit qu’aux mille et uns morceaux de bravoure qui le jalonnent. On finit par lire Mufle comme on lirait des brèves de comptoir, en ouvrant au hasard et en lisant à voix haute pour faire rire ses petits camarades.

Bref, un ouvrage à déconseiller absolument.

La Réparation, de Colombe Schneck

5 Oct

Toupet reprisée

Grasset

Lu par Anne

En ouvrant La Réparation, surprise, il ne s’agit pas d’un énième roman autofictionnel d’un auteur autocentré qui ne parviendrait à se relever des dégâts infligés par le Nouveau Roman (ouais, je sais, je vais pas me faire que des copains, va y avoir débat à la prochaine réu, les cocos).

Jamais sans ma fille. Ou presque…

Si Colombe se met en scène – on ne se refait pas –, c’est bien pour étaler ses névroses mais pour une fois, on aurait du mal à l’en blâmer. Récapitulons : un beau jour, Colombe qui ne s’entend pas très bien avec sa maman décide pourtant de l’écouter et de nommer sa fille Salomé, comme sa petite cousine disparue dans les camps de concentration. Cette décision surprenante, accompagnée de cauchemars angoissés, va pousser Colombe Schneck à s’interroger sur les circonstances qui ont conduit à la mort de cette petite fille. Au prix d’une pérégrination physique et intellectuelle laborieuse, elle finit par comprendre l’impensable, à dévoiler le non-dit : la mère de Salomé a sacrifié son enfant plutôt que sa propre vie.

Grasset, ou la non-édition

Mais pourquoi, Grasset ? pour – quoi ? 

Alors que les derniers survivants s’éteignent peu à peu, il est une absolue nécessité de conserver en masse tous les témoignages de première ou de seconde main, les analyses académiques autant que la matière brute des récits. Bon. Mais l’on peut s’interroger sur la nécessité sinon historique alors littéraire du texte de Colombe Schneck. En lieu et place de la vision de l’auteur, qui sur un sujet aussi délicat aurait dû faire œuvre comme Daniel Mendelsohn avant elle, on découvre au mieux une enquête journalistique modestement rédigée, qui échoue hélas à émouvoir, à informer, à donner à réfléchir, à fasciner par un style, etc. Que Colombe Schneck ait ressenti l’impérieuse nécessité de relater cette histoire, on peut le comprendre. Qu’un éditeur ait décidé de le publier dans une collection littéraire, nettement moins, et que plusieurs jurys l’aient choisi pour figurer dans leur sélection, franchement pas. Les passages réellement littéraires apparaissent au mieux quand l’auteur, apparemment peu sûre de sa propre matière, cite Jorge Semprun ou Annie Ernaux. Pour le reste, malheureusement, Colombe Schneck semble bien peu inspirée.

Une Partie de Chasse, d’Agnès Desarthe

3 Oct

Pan! le duvet

Editions de l’Olivier

Lu par Anne

Ce matin, un lapin a tué un lecteur…

Pan ! le Panpan

Commençons toutefois par tempérer cette exergue mue davantage par l’amour du LOL que par un ressenti sincère : Une partie de Chasse n’a rien de fatalement ennuyeux, vous échouerez à trucider belle-maman en le lui mettant entre les mains.

Il relate l’histoire du jeune Tristan, dadais empathique, que sa sculpturale épouse a envoyé à la chasse en compagnie des hommes du cru autant pour l’aguerrir que pour l’intégrer à la communauté d’autochtones. Tristan refuse le meurtre et empoche le lapin assommé qu’il ne peut se résigner à tuer. Celui-ci, pas rancunier pour deux sous ou sérieusement pervers, va s’attacher à commenter les actes et les pensées de Tristan. Mais pas comme Léon Zitrone devant Intervilles, ce qui aurait pu être rigolo, plutôt comme une version chamanique et lapinesque de Candide, le Nanabozo de Yakari (on a les références qu’on peut). Le problème, c’est que l’opposition nature-culture trop appliquée évoque davantage un essai de khâgneux (bon niveau, hein, soyons juste) qu’un conte philosophique sous les auspices de Giono.

U r talkin’ to me ?

On aimerait souffrir avec Tristan qui a quand même vu sa mère mourir du SIDA devant ses yeux, le pauvre petit. Mais rien. On aimerait avec lui répugner à quitter les terres de l’enfance, du rêve, de l’empathie, pour celles, cruelles, de la virilité martiale. Sauf que pas. Peut-être cela tient-il à l’écriture d’Agnès Desarthes, sèche comme un coup de trique sur le postérieur desséché d’une rombière en mal d’amour.  Peut-être est-ce aussi dû au fait que l’auteur ne semble pas parvenir à choisir une voie, quelque part entre le drame social, la fable et le roman d’initiation. Peut-être enfin parce que dépeindre la façon dont les hommes naissent à la virilité aurait demandé plus que 150 pages ?

Rue des Voleurs, de Mathias Enard

2 Sep

Gentils barbus

Editions Actes Sud

Lu par Stéphane

Le titre « Rue des Sacripans » avait plus de gueule

C’est un genre nouveau : nous l’appellerons le roman iTélé. Pages après pages, c’est l’info en continu, la priorité au direct : dans le roman iTélé, les personnages ne sont pas, comme dans Tolstoï, les jouets de grands mouvements historiques qui les dépassent. Ils sont, comme dans l’édition permanente, les témoins privilégiés de l’actu et mieux encore : puisque la fiction le permet, ils en sont des acteurs.
Il faut imaginer Mathias Enard en rédacteur en chef, tenant sa conférence de rédaction imaginaire sous la pression des événements qui défilent à l’écran…
–       Toi Bassam, va faire un attentat à Marakech. Judit !
–       Oui ?
–       Tu seras à Barcelone, parmi les Indignés. Et toi Lakhdar, tu t’occupes du reste.
–       Du reste ?
–     Oui : révolution arabe et immigration clandestine vers l’Espagne. Tu peux t’occuper de Mohamed Merah aussi ?
–       Ah non, je peux pas tout faire.
–       Bon, eh bien démerde-toi pour y faire référence à un moment alors.

C’est vraiment dommage que ça ne fonctionne pas, car l’idée était plaisante, de saisir par la littérature ce qui anime ces jeunes gens que l’on voit aux infos, héros, victimes ou terroristes. Est-ce la distance temporelle qui manquait ?

L’amour français de la culture arabe

L’auteur, spécialiste de la culture arabe et habitant de Barcelone, était pourtant plutôt bien placé pour parler de tous ces sujets. Les références érudites au Coran, aux grands explorateurs ou poètes maghrébins, ainsi que la beauté régulièrement soulignée de la langue arabe constituent d’ailleurs un des principaux intérêts de l’ouvrage.
Mais l’intrigue pêche vraiment trop par son invraisemblance, si bien que la violence des événements décrits nous laisse aussi indifférents que nous avons l’habitude de l’être devant notre poste de télé.

Que dire du personnage principal ? Vagabond, chassé de chez ses parents à peine adulte, mais lettré, vite érudit ; pieux mais ivre de liberté ; amateur du Coran et des polars gauchos de JC Izzo ; ouvert sur le monde, fidèle à ses racines : c’est une synthèse bien pensante de l’Occident et de l’Orient, un fantasme ambulant de Tanger à Montjuic, qu’on finit par détester. Il faut l’entendre parler pour comprendre : « Je ne suis pas un Marocain, je ne suis pas un Français, je ne suis pas un Espagnol, je suis plus que ça. Je ne suis pas un musulman, je suis plus que ça. »
Plus que ça ? Un homme sans doute, si j’ai bien compris. Mais plus encore qu’un homme, tu es une chimère, car tu n’existes pas un seul instant pour les malheureux lecteurs qui tentent en vain, 250 pages durant, de te rencontrer.

Rencontre avec Ariel Kenig, un mec qui vit un miracle

28 Mai

Par Philippe et Stéphane

Peut-on écrire de l’auto-fiction sans être médiocre ? Peut-on décrire  la modernité avec décontraction et profondeur ? Plus ardu, peut-on caser dans une même page Mosey Sarkozy et un type qui se branle dans le fond d’une salle d’ordis ?

Les athées en seront pour leurs frais : l’auteur du Miracle existe, nous l’avons rencontré !

(Rires)

La moustache, c’est maintenant

Ariel Kenig, au talent duquel cette piteuse entrée en matière ne fait pas honneur, nous a donc accordé un petit entretien.

Qui es-tu, Ariel ? Ariel est jeune (1983), autodidacte et a déjà publié cinq romans. Le dernier s’appelle « Le Miracle », aux éditions de l’Olivier. Il écrit aussi pour la littérature jeunesse, le théâtre et le cinéma. Il fait des tee-shirts également. Bref, il s’éclate dans son métier d’auteur. Bien qu’il s’inscrive dans une école qui est loin de faire l’unanimité au Virilo – l’autofiction – la finesse et la cohérence du regard qu’il pose sur notre société nous ont séduits. Or rappelons-nous le mot de Marcel : « Le style pour l’écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de techniques mais de vision ». A ce compte, Ariel Kenig mérite toute notre attention.

Le Miracle

Dans Le Miracle, Ariel raconte une histoire largement vécue : une vieille connaissance le recontacte pour lui proposer des photos de vacances de Pierre Sarkozy, présent non loin d’une catastrophe naturelle au Brésil. L’auteur tente en vain de les revendre à la presse people, avant de s’apercevoir qu’elles sont visibles par tous sur le profil Facebook de celui que, dans le milieu de la night, on appelle affectueusement DJ Mosey. Au fil des péripéties de cet épisode anecdotique, Ariel Kenig expose sa perception des rapports de forces sociaux qui perdurent aujourd’hui et de la façon dont ils transparaissent dans les systèmes de représentations de notre époque (les médias et Facebook). Critique à venir sur le site du Virilo. Mais désormais, place à Ariel, dont vous pouvez découvrir le portrait sur le blog ami du Virilo, POTAJ.

Prisonniers de l’écran

Pourquoi l’autofiction ?

J’ai découvert la littérature via l’autofiction : Christine Angot, Guillaume Dustan, Michel Houellebecq… J’avais 17 ans et jusque là, la littérature était restée loin de moi. Je n’ai commencé l’autofiction qu’à partir du moment où j’ai pu dire d’où je parlais. Au début c’était compliqué car j’étais en pleine transgression de classe. J’ai écrit pour avoir le pouvoir et pour transgresser ma classe.

Quand j’ai lu Génie divin, de Dustan, j’étais fasciné, je me suis dit que j’allais écrire moi aussi. Je l’avais vu à la TV chez Ardisson, il était avec sa perruque et tout ce qu’il me disait me semblait incroyablement normal. (ndlr : l’interview est effectivement très intéressante)

J’ai été marqué chez Dustan par la douceur absolue du narrateur. Il réconciliait des sentiments extrêmes, en les inscrivant dans une vraie démarche littéraire, c’est-à-dire politique. Il était pour un élitisme de masse, avec une démarche hyperindividualiste, qui fait pour lui figure de prérequis au bonheur. Il tend la main au lecteur.

C’est un vieux débat, mais l’autofiction, n’est-ce pas un renoncement à la dramaturgie ?

Je n’écris pas comme on tient un journal intime… J’ai su que j’allais faire le livre quand j’ai trouvé les trois parties et le titre. J’avais un angle, un prétexte. A partir du moment où j’allais dénoncer un faux miracle, j’avais le droit de faire une sorte de méta-narration et de suivre des liens plus logiques que narratifs. On suit plus un parcours de pensée qu’une histoire.
Je crois qu’on peut être un bon écrivain et pas un romancier. Je dis que je fais des romans par convention. Je dis d’ailleurs plutôt que je suis auteur. Je ne me pose jamais ces questions-là. Je fais des livres, j’achève des textes.

Ariel roule ses cigarettes. Old school.

Ecrire pour vivre ou vivre pour écrire ?

C’est le dilemne permanent. J’écris des livres pour vivre plus intensément et inversement… A l’avenir, j’aimerais par exemple raconter comment j’ai rencontré la société à travers le sexe. Dans ce cas-là, j’ai peut-être parfois vécu des choses avant tout pour les tester, et les raconter.

De même, quand tu ne vis plus grand-chose, tu n’as plus grand-chose à écrire, comme Christine Angot, qui est devenue une grande bourgeoise et qui publie des livres maintenant médiocres.

En quoi l’écriture te permet-elle de vivre plus intensément ?

De façon très prosaïque d’abord, parce qu’elle me tient à l’écart du salariat, de beaucoup de normes sociales… Elle libère mon agenda. Il y a aussi un phénomène de compensation : c’est tout aussi extrême de passer 4 heures devant son ordi que de sortir jusqu’à 6h du mat. Je vis peut-être même plus intensément quand je suis devant mon écran.
Enfin l’écriture a multiplié mes grilles d’analyse. Quand je rencontre des gens, je les vois dans un profil sociologique, une inscription esthétique…

Il t’est arrivé de dire que tu essayais de faire de ta vie une expérience, d’en toucher les limites… Pourquoi ?

Je traverse la vie comme une expérience intense, je la teste… J’essaye vraiment. C’est peut-être lié à l’ennui de l’enfance. Ma peur panique numéro 1, c’est les précautions installées dans la ville, la standardisation des objets et des moeurs…

Ne crains-tu pas d’être toi aussi dans une posture d’écrivain avec ses propres routines, ses propres standards ? Car comme tu es le « héros » de tes livres, cela influe directement sur ta narration…

C’est une question importante dans l’auto-fiction : Comment apparaître ? Et pour y répondre il faut se poser cette question : qu’est-ce que je veux raconter… L’auto-fiction n’est pas si nombriliste que ça en fait. Par exemple, on peut reprocher une certaine désinvolture au héros, mais je ne pense pas avoir trop fait le mariole, en me la jouant…  J’ai tenu à montrer les mauvais sentiment du héros qui le pousse à agir : la haine du pouvoir en place (époque Sarkozy, ndlr), mais également un côté velléitaire… En somme j’ai essayé d’être de bonne foi.

Ton écriture est sans effet de style, ton histoire s’arrête brutalement… Pourquoi ces choix d’écriture, typique de l’auto-fiction ?

Mon écriture est choisie, dans le sens où il y a rature et élagage… En France, on vit un peu dans le mythe d’une écriture en un jet, expiatoire… Beaucoup de gens m’ont aidé à travailler cette dimension technique, basée sur des règles simples mais difficiles à bien tenir comme la justesse de l’adverbe, le point-virgule ou la prudence à l’égard des effets. Il faut se méfier des allitérations et du kitch.

Pour ce qui est de l’histoire, je considère l’avoir bouclée. L’intrigue des photos de Sarkozy sont un prétexte, le vrai sujet, c’est la circulation des images, la médiasphère. Voilà pourquoi je parle de la télé 3D ou de profils Facebook. Il y a aussi le thème transversal du miracle, évidemment…

Tu fais de l’individualisme le socle de ta philosophie de vie, pourquoi ?

Lectures d’écrivain

Le discours ambiant sur la société ultraindividualiste dans laquelle on vivrait est un gros poncif qu’on entend partout, mais il me paraît absolument faux. Si la société était vraiment individualiste, les gens iraient mieux. La société est égotiste, pas individualiste.

Regardez les magazines féminins, où tout est écrit à la première personne. « J’aime, je like… » C’est d’une violence conformiste… Si la société était vraiment individualiste, les gens n’accepteraient pas que l’on parle à leur place. Personne ne pourrait le supporter.

Aujourd’hui les gens sont désindividués. En consommant les même standards marchands et baignant dans une sorte d’esthétique du pauvre, l’estime que l’on porte à soi se dégrade. Les égos sont terriblement dégradés. D’où l’ironie permanente : on rit d’être insulté, du fait d’être nul…

Je pense que les gens ne sont pas du tout assez individualistes, dans leurs goûts, leurs choix… Etre individualiste, c’est penser à soi, par soi-même. J’ai pas l’impression qu’en étant obèse devant le Juste prix on pense à soi. Il y a un conformisme de la médiocrité. Et le problème miroir de la dictature du cool.

Un roman peut-il, doit-il, être politique ?

Je ne conçois pas un roman hors du politique. La question c’est la définition du politique. Je ne vais pas faire de roman militant. Mais pour moi les 5 dernières années étaient d’une violence absolue. Cette situation politique d’exception a fait que j’ai écrit des romans très politiques. Quand j’entends Sarkozy dire « je ne veux pas de la lutte des classes », pour moi c’est une phrase indigne.

En plus toutes les technologies nous poussent à revoir notre rapport au politique. Je ne sais pas comment sortir du politique. Si je tombe amoureux dans un de mes livres, il y aura forcément une extraction sociale. Si je mets un personnage au chômage, qu’est-ce que ça veut dire ? Si je mets un flic, sera-t-il rebeu ? Si demain je faisais un roman sur la mode, ce serait encore politique.

> Le portrait d’Ariel Kenig sur le blog POTAJ

> Petite lecture par Ariel (fans de Sarkozy et/ou Michel Drucker s’abstenir)


Les Sauvages, de Sabri Louatah

30 Avr

Moustache d’or

Editions Flammarion

Lu par Stéphane (Tome 1)

Ca y est, le Virilo 2012 est plié. Chevillard, Toussaint, Mauvignier, NDiaye, Littell et autres poids plumes, rangez vos Mont-Blancs et Moleskines, fermez Word et glandez sur Facebook : inutile de publier cette année, vous serez vaincus.

Les moins fiers pourront toujours se rabattre sur des prix secondaires : mais en 2012, qui veut encore d’un Goncourt ? Qui voudrait d’un Renaudot, d’un Femina, d’un Interallié  ? Personne ! Pour quoi faire ? L’accrocher dans les toilettes, à côté de son brevet des collèges ? Tout au plus… Non, ayons le courage de le dire, ces scories du XXè siècle n’intéressent plus guère les auteurs.

Le romancier du troisième millénaire livre un bien plus noble combat. Sa quête de perfection l’épuise, il n’ose en rêver, s’en croit souvent indigne (à raison), se découragera mille fois, recommencera mille fois, écrira, raturera, et tout cela dans un but, seul et unique, majestueux et idéal : la beauté / gagner de la thune / serrer des meufs / avoir un bisou de sa maman  le Prix Virilo.

Qu’est-ce que la littérature, sinon le prix Virilo ? Qu’est-ce que le prix Virilo, sinon – eh oui – la littérature ?

Or voilà le drame : 2012, pour tous les écrivains sauf un, sera une année blanche. Car – personne le sait, pas même encore les autres jurés – mais le Virilo, dans 6 mois, ira aux Sauvages, de Sabri Louatah.

Certes il faudra convaincre mes camarades du jury, qui se croient toujours autorisés à donner leur opinion, comme si la mienne n’était pas suffisante (?!). Mais gageons que la seule lecture des 300 pages de ce thriller suffira à les rallier à ma cause.

moustache à poil, moustache sauvage

Je n’aurai pas à ajouter un mot à ceux qui composent cette fresque urbaine, sociale, poétique, contemporaine, haletante, complexe, dramatique et lumineuse, à mi-chemin entre Tolstoï et The West Wing.

Je n’aurai pas besoin de souligner l’exploit dramaturgique de ce premier roman, pas besoin d’applaudir la justesse des dialogues, écrits dans la langue des banlieues, des immigrés, des jeunes, des vieux, des bourgeois, des politiques… Dans toutes les langues de la France d’aujourd’hui.

Chacun s’inclinera devant le talent si manifeste de ce jeune romancier, qui pourra ainsi recevoir, avec les honneurs du Virilo, 11 euros pour se lancer dans la vie.

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Farouches bacchantes

  Lu Par Gaël (Tomes 1 et 2)

Les Sauvages a ouvert en fanfare la saison virilesque avec un fort pileux score de cinq moustaches, décerné par Stéphane. Assurément, ce roman, ou plutôt ces romans puisque l’éditeur a déjà annoncé que la série comprendrait quatre volumes, constitue une excellente surprise, avec une grande originalité : l’envie de raconter une histoire.

Louatah met le paquet pour nous convaincre

C’est sans doute cette propriété devenue étonnante dans le paysage littéraire français qui lui vaut une kyrielle de comparaisons : Dostoïevski et 24 heures Chrono, dit la jaquette. Tolstoï et Westwing, dit le général cinq moustaches Stéphane, ce à quoi j’adhère : il y a indubitablement, dans l’intention sinon dans la langue, du Guerre et paix. Et dans la construction, une profonde influence des formats télévisuels courts.

De quoi s’agit-il ? En guise de famille Rostov, les Nerrouche, famille stéphanoise d’origine kabyle, que nous rencontrons au moment du mariage d’un des plus jeunes cousins. Par hasard, mais c’est ce hasard qui fonde le scénario, la cérémonie et la fête ont lieu la veille du deuxième tour de l’élection présidentielle française de 2012 que Chaouch, imaginaire candidat PS originaire d’Algérie, est en bonne position pour emporter. La coïncidence temporelle, si elle est fortuite, est le prétexte à beaucoup d’autres qui constituent le nœud dramatique, puisque cette famille va se retrouver profondément liée aux événements politiques. En dire plus serait déflorer un roman dont un des plus importants attraits est le suspens, les rebondissements et coïncidences improbables qui tissent la trame du romanesque.

Moustache stéphanoise (grande époque)

Ce qui est vraiment remarquable chez Louatah, c’est la capacité d’empathie et de projection. Il est tout aussi à l’aise pour décrire un mariage kabyle que les arrière-cours du pouvoir. C’est ce qui permet au roman de passer régulièrement d’un registre à l’autre, tout en gardant le lecteur dans ses rets. Le premier volume, centré sur les relations internes à la famille, est un portrait social attachant et psychologisant, dans lequel on suit essentiellement Krim, adolescent « à problèmes » dont lesdits problèmes vont pourtant se trouver rapidement relativisés par le guêpier dans lequel il s’est fourré. Le deuxième s’attache plus à suivre un de ses cousins ainsi que les complots tournant autour du personnage de Chaouch, et évoque pour le coup plus John Le Carré que Daniel Pennac. Mais dans les deux cas, on y croit. Nul naturalisme, même pas de prétention au réalisme (bien que le travail de renseignement soit probablement très important) ou de volonté sociologique, mais un mélange d’empathie et d’imagination sans complexe qui font qu’on y croit.

Si on voulait rabattre l’œuvre sur l’auteur, on pourrait sans doute penser que Krim d’un côté, les complots parisiens de l’autre constituent les deux pôles de ce qu’aurait pu être la vie de Sabri Louatah, Stéphanois de « deuxième génération » un temps tenté par la voie de « l’élitisme républicain » ; mais ce qui est intéressant et qui rend ces romans si difficiles à lâcher, c’est précisément que l’auteur ne parle pas de lui, mais de la France d’aujourd’hui, des histoires qui pourraient s’y dérouler et qui en disent long sur ce qui s’y passe réellement.

Le Messie du peuple chauve, d’Augustin Guilbert-Billetdoux

30 Mar

Chute de moustache

Lu par F.-L.

Gallimard

Il y a du bon… et du moins bon dans ce roman qui révèle un auteur qu’on aimerait penser prometteur.

Ginola ?

Ginola ?

Soudain le drame dans la vie de Bastien, jeune avocat parisien, on lui diagnostique une alopécie précoce : il perdra tous ses cheveux et, en l’espèce (comme on dit dans les facs de droit), pas moyen de faire appel.
De ce postulat, qui suffit à faire trembler les membres du Virilo, grands amateurs de poils, Augustin Guilbert-Billetdoux propose un livre qui s’amuse plus qu’il n’amuse. Son personnage, d’abord très abattu, entend faire de sa bataille contre la chute des cheveux une guerre contre le sort au nom de tous les chauves de ce monde. Son combat rejoint (nous vous laissons découvrir comment) celui contre le réchauffement climatique –mal – mené par les puissants de ce monde lors d’un sommet international en Inde.

Le roman se double ainsi d’un propos, pas toujours idiot, sur les enjeux environnementaux contemporains et sur le manque de pertinence dont témoigne notre manière de les envisager. Visionnaire ou fou, le combat de Bastien ? La réponse n’est jamais évidente et c’est plutôt pas mal. La lecture de n’importe quel acte héroïque est liée à son succès ou à son insuccès.

Ce roman est clairement foutraque, bien sympathique mais brouillon et maladroit (parfois trop long, au contraire parfois trop elliptique sur des éléments primordiaux comme le basculement messianique du personnage principal). La plume est là, légère et joyeuse. C’est légèrement au dessus de pas mal de romans mais la narration aurait du être plus travaillée.

Chauve à moustache en dépression

On ne peut toutefois totalement détester un ouvrage où on peut lire cette phrase superbe « Après tout, il n’était pas qu’une chevelure ». Vous êtes un peu frustré ? Prenez ce roman comme il est, acceptez et surtout ne vous arrachez pas les cheveux !

L’Hypothèse des sentiments, de Jean-Paul Enthoven

26 Mar
Moustache fournie

Jean-Paul Moustaches

Lu par François H.-L.

Grasset

Avec ce roman, Jean-Paul Enthoven livre un ouvrage qui emballe aussi sec que son personnage principal, l’intriguant Max Mills, scénariste léger et séducteur détaché.

La famille Enthoven, l'écriture et la drague

Le propos, une rencontre amoureuse tout à la fois sublime et banale et les difficultés qu’elle suscite, n’est pas sans rappeler le magnifique Belle du Seigneur. Toutefois, là où il aurait été si simple de se contenter d’une pâle copie, l’auteur tisse une partition enlevée, turbulente et totalement originale.

Marion est une femme encore jeune mariée à un vieil homme richissime et complétement fou, un peu absente de sa propre existence à cause d’un passé mystérieux trop difficile à assumer. Max est un homme mûr qui mène sa vie de manière insouciante, inconstante et égoïste. Grâce à un heureux hasard ces deux personnages, très bien dessinés, se rencontrent, se cherchent un peu et vont s’aimer beaucoup. Cette passion est décrite dans toute sa complexité. C’est fun, c’est profond, c’est bon.
 Il y a de l’humour dans ce texte, de l’entrain, une certaine forme de cynisme rafraichissant. Grâce à une écriture vive et impertinente mais très travaillée : la thématique du double chez tous les personnages, l’intertextualité intelligente, les ruptures narrative, les renvois et les nombreuses mises en abyme font de ce roman une réflexion surprenante sur l’écrit, la littérature et leurs pouvoirs.
Allez donc vérifier cette hypothèse!

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