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Le Grand Nord Ouest, de Anne-Marie Garat

23 Oct

Lu par… Alys

Longueur de type pipeline

 

 

 

 

Le jour de son anniversaire, on retrouve le père de Jessie mort noyé sur une plage de Santa Monica. Fillette et héritière d’un père producteur de ciné richissime, elle se retrouve embarquée par sa mère dans une fuite jusqu’au grand Nord Ouest de l’Alaska. En chemin, elles rencontrent – suite à quelques péripéties – une vieille indienne mal lunée, mais un peu magique et squattent sa cabane en attendant le retour de son jules, parti chasser quelques mois.

Jessie, devenue adulte, raconte cette fuite, puis l’exfiltration par le FBI, à un dénommé Bud dont on découvre peu à peu le lien avec l’héroïne.

Je vous l’accorde, l’histoire fait envie. Des grands espaces américains, de l’aventure, des Indiens, des flingues. D’ailleurs, on lui prête tout de suite une ascendance glorieuse type Jack London ou Mark Twain. En fait, le style de l’auteur, à base de phrases à rallonge et d’énumérations sans fin, plombent l’histoire et rendent le récit super chiant. Du coup, il a fini par nous tomber des mains.

La noblesse impressionnante des grands territoires du Nord-Ouest

 

Lèvres de pierre, de Nancy Huston

19 Sep

Lu par… Bérénice

Les bouddhas n’ont pas assez de moustache au Cambodge le vendredi

 

 

 

 

Vent d’Est, vent d’Ouest

Prek Sbauv, campagne khmère, 1934. Saloth Sâr est un enfant timide et sensible, qui a appris à garder son quant-à-soi et voudrait bien ne pas avoir vu les porcs se faire ouvrir d’une oreille à l’autre ; il n’aime pas trop cela, ni toute autre forme de violence d’ailleurs . Il fait encore pipi au lit et c’est son principal problème, car bientôt il partira à l’internat. Un an au Vat Botum Vaddei, monastère aux froufrous de curcuma, au son des gongs et des mélopées, puis l’école française, voilà ce qui est programmé pour lui. A la stupéfaction de tous, et sans doute de lui-même, il y est un moinillon assidu et aveugle, heureux d’apprendre à se défaire de ses émotions.

Le déracinement absolu survient lors de l’entrée à l’école française. C’est la violence suprême du déchirement intérieur. C’est le colonialisme et le catholicisme comme deux marteaux qui assomment. Rattrapé par l’échec que lui promettait le regard de son père, Saloth Sâr est un cancre invétéré. Les liens de la famille avec la royauté permettent quelques sorties à la cour, dorures et courtisanes dans lesquelles il perd son pucelage. La guerre, l’échec scolaire, l’accession du roi Sihanouk au trône, l’échec scolaire, définitif cette fois, le départ pour Paris à 24 ans, puis le marxisme comme salut, lorsqu’encore une fois, c’est l’échec scolaire. Définitif. Nouveau départ.

Et à l’Ouest ? Dorrit, Nancy donc, c’est transparent, devient la confidente de son père, Dom Juan sur le retour, commence ses années de lycée dans une école à la pédagogie alternative et connaît ses premiers émois. La famille traverse une passe difficile, l’impécuniosité du chef de famille les réduisant à cumuler les emplois et les petites astuces. Dorrit se fait tabasser pendant l’amour, le visage en sang et ses seize ans tenus en otage par l’illusion de l’amour. Par la suite, les hommes, les viols, les hommes, triptyque banal et écœurant. Loin, loin pour Dorrit, c’est la nausée au Viêtnam. Elle s’enlise dans le patriarcat. Courant toujours après les études supérieures et donc l’argent (ce sont les États-Unis), elle expérimente la prostitution, une brève et si longue après-midi. Le coût psychologique est immense, et ouvre grand les portes à l’anorexie. Au Cambodge, les enfants mourant de faim sont de petites statues calmes et silencieuses au regard fixe.

Nancy H. = largeur des pages chez Actes Sud / nombre de calories * Pol Pot + racine de Douch

Indépendamment, chaque partie possède de grandes forces. L’enfance de Pol Pot n’est pas une page d’histoire que je connaissais et j’éprouve par ailleurs beaucoup d’admiration pour Dorrit. Huston est fidèle à son écriture : des phrases qui cisaillent, un verbe qui n’épargne pas le lecteur et une grande fluidité dans les dialogues.

Hélas, l’ensemble possède une nette propension à générer un malaise certain, et ce n’est pas une volonté de l’autrice. A la moulinette du grand générateur de la fabrique des monstres, Huston s’abstient tant de démontrer que de comprendre tant elle est occupée à se regarder le nombril.

A l’intérieur de Nancy

En faisant rentrer au chausse-pied son monstre intérieur dans celui de Pol Pot (oui, c’est sale), Nancy Huston pousse un peu mémé dans les orties. On a beau tous pouvoir basculer, pour nombre de raisons, la pertinence de la comparaison ne s’impose pas au fil de la lecture.

 

 

Nancy « too much » Huston

Quant aux choix littéraires, ils sont tout à fait dispensables. Huston choisit de tutoyer Saloth Sar et de parler de Dorrit à la troisième personne. Cette troisième personne, distanciation oblige, possède un vrai souffle narratif, qui transporte et prend aux tripes. Le tutoiement, en revanche, n’ajoute qu’une touche cucul et artificielle dont j’aurais bien fait l’économie – et vous aussi car on n’a pas besoin de ça pour 19,80 €.

Deuxième choix contestable : une postface puissante (à la troisième personne pour Pol-Pot, youpi), qui contient tout le propos déroulé pendant les 220 pages (90 pages chez un éditeur normal) et qui aurait dû, j’insiste, être la préface. Cette page est merveilleuse et aurait servi le livre par son souffle.

Enfin, enfin, mais pitié mais pourquoi nous infliger cette préface plate, prétentieuse, et longue comme un jour sans pain ? Nancy Huston s’y justifie en long, large et travers de sa légitimité à écrire au sujet du Cambodge. Rien ne nous est épargné, de son voyage en 2008 à la façon dont elle s’est mise au yoga. C’est non seulement inutile mais, pire, risible. So long, Nancy.

Le célèbre dictateur

14 Juillet, d’Eric Vuillard

31 Oct

Lu par… Gaël

 

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Retour de mauvais poil

 

Au départ, je voulais donner à ce roman 2 moustaches et puis en fait, j’ai réalisé qu’une de ces moustaches irait non pas au livre, mais à ce qu’il raconte. Je lui décerne donc une moustache. C’est sévère, mais juste, au regard de cette tentative d’abus de bien pileux.

Pourquoi, donc, cette sévérité ? Parce que le roman non seulement passe à côté, mais trahit, son projet affiché : rendre compte de l’Évènement que fut la prise de la Bastille en un hommage à son acteur principal, le peuple (la Multitude pour évoquer le concept à la mode qu’on entend en filigrane (oui, au Virilo on entend au filigrane ; pas de raison de laisser aux autres les métaphores bancales !)). Il s’écoute tellement qu’au final, l’évènement et le peuple ne sont qu’un prétexte. Les préciosités sont ainsi légion et lassantes, pour certaines vraiment maladroites. La plus caractéristique est un procédé répété à plusieurs reprises, consistant à aller dans une même scène du passé simple au présent en passant par l’imparfait alors que la narration reste exactement sur le même plan temporel. C’est gratuit et inutile. Pas tout à fait aussi digne d’une rédaction de classe de quatrième ayant pour consigne « utilisez un effet de style » que 99 Francs, mais on s’en approche.

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Aux armes, etc.

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Plus grave à mon sens, sur le plan de la trahison, la langue « du peuple » en elle-même (en tout cas celle qu’on lui suppose) est traitée comme un exercice de style. La nonchalance est permanente, quelques clins d’œil linguistique au « parler peuple » servant de marqueur de connivence bien plutôt que d’hommage. Aux pages 140 et quelques, c’est caractéristique : une délégation tente de pénétrer dans la Bastille pour négocier. Ils sont peut-être ridicules par rapport à la force de l’événement, peut-être ont-ils raison de vouloir tenter de sauver des vies et de faire tomber les privilèges sans effusion de sang (préoccupation constante, que l’idéologie furétienne a réussi à faire oublier, des révolutionnaires conséquents, Robespierre et Saint-Just en tête). On ne le saura pas et au fond, l’auteur ne prétend jamais être historien ni tenter d’analyser. Admettons qu’eu égard au projet, on s’en fiche. Là où le projet dérape, c’est que l’auteur tente de moquer cette délégation, composée de bourgeois, avec les fameux accents « du peuple ». L’exercice est au final terriblement méprisant et snobinard. La vérité de ce passage, c’est que les seuls personnages avec un peu de chair, ce sont les bourgeois.

Du peuple, il ne reste donc que de fastidieuses énumérations marquées au sceau d’un temps où les pauvres étaient les anonymes de l’histoire, à commencer par leurs états civils défaillants. L’auteur semble se délecter de cette découverte totalement waouh (de même que brille sans cesse sa cuistrerie qu’on dirait sortie d’un Que-sais-je sur l’art de la guerre au 18ème siècle : « ce trou qu’on appelait lumière », p. 138, exemple le plus frappant parce qu’il constitue une bonne description du livre). Cela ne suffit pas à rendre une grandeur à la force politique des masses. Au final, ce qu’on retient d’eux : des anonymes aux patronymes souvent un peu rigolos, avec des petits rêves (pensez, un foyer et une famille !), courageux mais un peu couillons et alcooliques, dépassés par la force d’un événement qu’ils ne semblent pas spécialement comprendre.

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Modernes contre classiques

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Voilà, comme réhabilitation, on fait mieux. Mais ça ferait sans doute un bon brief pour reporter en mal de sujet au 13 heures de TF1. Comme narration de ce qu’est une révolte, de ce que cela suppose à la fois de sens de l’injustice et de colère d’être prêt à se prendre une balle pour faire tomber un symbole d’autorité à l’air imprenable, également.

Au final, la dernière page lâche le morceau : pour Eric Vuillard, la révolution, c’est enthousiasmant et esthétique. Romantique, au sens le plus plat du mot. Mais sûrement pas politique, pouah.

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Les Parisiens, d’Olivier Py

28 Oct

Lu par Alys

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Donne plutôt tes 22 euros à la Croix Rouge, steup’

Un jeune provincial gay et arriviste débarque à Paris et tente de percer (au sens propre comme au figuré) comme metteur en scène. Le pitch s’arrête plus ou moins là.

Tout d’abord, le livre remporte haut la main le prix de la couverture la plus moche de la rentrée littéraire. Mais aussi celui de la 4e de couv la plus ambitieuse puisqu’elle annonce sans complexe un roman « orgiaque et lyrique, dérisoire et grandiose ». 

Bon. En fait, on se tape un récit sur le microcosme culturel parisien, qui aurait pu être drôle, ou même triste. Mais en fait ça fonctionne pas et on s’emmerde. L’arrogance et l’ignorance de l’auteur invalident son discours. Pas de beauté, pas de fulgurances, pas de grandiose. Du cynisme ça oui, vous l’avez compris, le Parisien est un être cynique (tu parles d’une nouveauté). 

Non seulement c’est pas nouveau, mais en plus, on se fade des scènes de sodomies franchement répétitives, et on a droit aux considérations vaseuses de l’auteur sur la vie, la religion, l’âme, le corps, et bien sûr Paris. Du genre : « la splendeur haussmannienne est construite sur le charnier de la colonisation, et on peut toujours, par les soupiraux de la Préfecture, entendre les plaintes des Africains en détention par dessus le râle de la ville tout entière qui jouit de sa supériorité culturelle ». Oui, ça pique.

Ensuite on se dit, toute cette débauche de bites, ces mondanités inutiles et ces discours pseudo-métaphysiques, ben ça a un côté sacrément has-been. Cœurs secs et bouches humides. Comme un porno gay des années 90 qui aurait vraiment mal vieilli.

Exemple :

« Est-ce qu’il y a encore un espoir de vivre autrement que dans le chatoiement perpétuel des fêtes parisiennes ? Il faut demander encore à l’oracle, le serveur qui fume dehors derrière le café, dans une pose extatique, sous les cieux apocalyptiques. Il le rejoint et il voit ses souliers usés qui jouent à piétiner une bouteille en plastique.

– T’es mignon tu veux que je te suce ? demande Aurélien, frondeur.

– Pourquoi pas ? Répond le serveur. Je finis dans une heure. Tu viens chez moi ? »

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L’auteur, surpris dans un élan créatif

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Bon le problème c’est que c’est écrit en 2016, censé être « lyrique et grandiose » alors on tourne les pages en se disant que ça va peut-être venir, que quelque chose, autre que du sperme, va jaillir de toute cette médiocrité.

« – Parfois je pense que tu m’aimes vraiment

– Je vais te trouer le cul en écoutant les symphonies de Bruckner par Celibidache pour t’humilier doublement. »

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Aux 2/3 du bouquin, quand l’un des protagonistes qui a perdu son père en chie une pendule au point d’aller dormir sous les ponts avec des réfugiés, on se dit qu’on en a vraiment marre. Quand est-ce que ça se termine en orgie géante, qu’on en finisse. 150 pages de débauches inintéressantes et ça y est, il y en a qui crèvent, d’autres qui héritent, d’autres enfin qui récupèrent la direction de l’Opéra de Paris.

C’est bon, c’est fini, l’amour a gagné. Nous, on a rien appris, rien ressenti mis a part l’ennui, et on referme ce bouquin en se disant « quelle daube ».

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Le saviez-vous ? Le papier se recycle très bien en accessoires utiles de la vie quotidienne.

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Ecoutez nos défaites, de Laurent Gaudé

23 Oct

Lu par… Stéphanie

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Moustache Empire

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PREVIOUSLY IN HOMELAND…

Laurent Gaudé s’attaque à un sujet « planche savonneuse » s’il en est : « la guerre c’est mal » et « même quand on gagne on perd ». Jusqu’ici rien de neuf sous les bombes. Le livre commence comme une longue traversée du Gargano à dos mulet (référence peut-être pas assez explicite au Soleil des Scorta) et on craint un énième recours au pathos facile que recèle « la folie des hommes ».

Heureusement on comprend vite que oui « c’est mal et surtout ça fait mal…Mais ». Et ce « mais » est assez brillamment amené, grâce une très bonne idée : croiser le destin de deux agents occidentaux (ayant participé à la chute de Kadhafi ou à l’exécution de Ben Laden) avec plusieurs récits historiques menés du point de vue de guerriers victorieux ou non : Hannibal, le général Grant, ou encore Hailé Sélassié.

Ils ont gagné ou perdu, sacrifié des milliers de vies et s’en sont sortis vivants. Dans ces conditions il n’y a effectivement jamais de victoire, que des sacrifices et des pertes. Il faut donc apprendre la défaite, l’intégrer, la vivre, la sublimer (un peu comme les candidats de Top chef, avec la patate).

Tout est au présent, tout se mêle sans s’emmêler, c’est complexe et pourtant fluide et limpide. Des combattants de Daesh, des soldats romains, une archéologue irakienne, des snipers en perdition…  Alors on avance : sur des champs de mines, des cadavres, des tumeurs, des vestiges. On avance, consentant, vers la défaite.

 

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L’oeil droit, la moustache au vent

 

Mais aussi lu par… Alys

critique3

Bouc moins saillant

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Un homme part en mission rencontrer un ancien GI americain qui a pété les plombs et se livre à des trafics un peu gênants à Beyrouth. La veille de son départ, il passe la nuit avec une irakienne archéologue. Elle de son côté, part à Bagdad inaugurer le nouveau musée dans lequel seront exposées les œuvres qu’elle a mis 12 ans à retrouver. Ils tombent amoureux.

L’histoire est entrecoupée de passages de guerres de trois conflits : la bataille de Cannes par Hannibal, la guerre de Sécession et la chute de Sélassié. On comprend bien l’objet de cette construction, avec parfois jusqu’à sept narrateurs, et des histoires qui se mêlent de paragraphes en paragraphes. L’homme, face à la destruction et à la souffrance de la guerre, ne trouve la beauté et l’éternité que dans l’art et dans l’amour.

Un beau roman, bien écrit et documenté, mais que la construction rend parfois difficile à lire. D’autant plus que dans certains passages, elle est un peu artificielle.

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Je suis en vie et tu ne m’entends pas, de Daniel Arsand

9 Oct

Lu par Bérénice

 

Moustache humide

Moustache humide

 

 

 

 

Il n’y avait pas d’homosexuels dans les camps, il n’y avait donc a fortiori pas d’homosexuel à Buchenwald. Mais alors, qu’était donc Klaus Hirschkuh, 4 ans à Buchenwald, qu’est-il donc de retour à Leipzig fin 1945, que sera-t-il donc en France, usé par l’Allemagne et ayant choisi un pays d’adoption, pendant 40 ans ?

Rien à voir

Rien à voir

Le sujet choisi par Daniel Arsand est lourd. Pourtant, et déjà c’est audacieux, il évite le roman de camp pour se concentrer sur le roman post-camp et, plus hardi encore, le roman de lutte post-camp triangle rose, Riboulesque pour ainsi dire.

Le roman n’est pas exempt de défauts, certains difficilement surmontables. Le style, disons-le, est une plaie.  Haché, sec, tout ça un peu gratuitement, façon « mes souvenirs sont si rugueux que j’en saigne encore », pourquoi pas mais c’est ici assez artificiel. L’italique (dont l’année 2016 semble abuser pour traduire l’inconscient du narrateur, plus que la phrase d’avant et mieux que celle d’après qui ne traduiraient que la simple pensée) est omniprésente.

 

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Finalement, dans tous ces replis de pensée, Daniel Arsand se perd tout de même en chemin, lors de brèves digressions dont l’intérêt n’apparaît pas. On y frôle même la niaiserie (dormir « comme un bébé, comme un ange »). Malgré cela, Arsand réussit à rendre éprouvant le concept de soupe et émouvant une succession d’étrons, de crottes et excréments divers.

C’est là que je me suis rendue à l’évidence : j’allais finir ce livre. Bien m’en a pris malgré les maladresses qui continuent. Le style sur-travaillé m’agace toujours autant, un bref passage sur la prononciation des mots ragondin et zibeline (Klaus devient, par la force des gens qui le couvent, tailleur) me fait irrésistiblement penser à Rabbi Jacob et ça ne pouvait plus mal tomber.

Pour Klaus, après un magistral trajet à pied, en train, d’expédients pour franchir la frontière, c’est le débit quotidien des jours qui s’égrènent. Quarante ans de vie en France, de désir pour des inconnus, puis pour Claude, puis pour Julien, le grand amour. Des années de honte et de cachette, de soustraction aux regards et de si peu d’appui, de calomnies et d’injustice, de combat toujours, combat post-survie en catimini puis forcé au grand jour. Le style se relâche, s’amplifie, sert l’histoire. Daniel Arsand rend hommage avec talent aux déportés pour  homosexualité, aujourd’hui tous morts et dont si peu subsiste, témoignages effacés par le raz-de-marée homophobe que constituent nos sociétés.

C’était deux moustaches pour un roman trop bancal, ça en sera trois, pour une raison aussi dérisoire et importante que celle-ci : en lisant « je suis en vie et tu ne m’entends pas », j’ai pleuré.

 

Boussole, de Mathias Enard

28 Oct

Lu par Gaël

Barbiche shizophrène

Barbiche voyageuse

Mathias Enard reprend les ingrédients qui font ses talents, après une très décevante Rue des voleurs.

Une longue méditation nocturne, à la poursuite d’une femme et de soi-même. On pense à Butor, on voyage beaucoup, un beau roman, où l’érudition sert pratiquement tout le temps le propos.

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Membre du jury du Virilo après une séance intensive de lecture de romans de voyage.

D’autres romans de Mathias Enard chroniqués pour votre plus grand plaisir par ici et aussi par là.

Ah ! Ca ira, de Denis Lachaud

23 Oct

Lu par Bérénice

Rasoir smiles

Futur pas trop au poil

La science-fiction est un genre souvent décrié, sans doute en raison de ses qualités littéraires fluctuantes. Heureusement pour elle, ce texte d’anticipation franchement plat et au message moyennement inspiré alors que quelques bonnes idées s’y baladent n’a pas été publié sous sa bannière.

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Membre du jury ayant du mal à contenir sa déception.

A l’origine notre père obscur, de Kaoutar Harchi

31 Oct
Moustache ah?

Moustaches obscures

Actes sud

Lu par Philippe

Du domaine de la servitude volontaire

belle couv'

belle couv’

Vous aviez aimé « Du domaine des murmures » (comme nous) ? Vous allez adorer « à l’origine… » : On emmure encore sec dans ce livre là ! Une fillette et sa maman vivent recluses car « co-répudiées » dans une sorte de gynécée. De gynécée très glauque, disons, car ça a beau être oriental, on est loin des splendeurs musquées aux cents voiles que garderaient d’impassibles eunuques. Ici, les femmes sont les victimes et les gardiennes de leur prison sociale. Elles attendent la cause de leur syndrome de Stockholm (leurs maris) comme d’autres attendent Godo, mais en dépérissant plus. La fille, seule enfant de notre secret story triste, va évoluer parmi cette compagnie dysfonctionnelle jusqu’à retourner chez son papa, dans une famille pas très équilibrée elle non plus.

Xena, Warrior Princess

Je vous vois venir avec vos vieux topoï. Qui dit « femmes qui vivent ensemble » dit souvent « femmes qui couchent ensemble », hein ? C’est l’effet Xena la Guerrière, encore appelé « Effet Canary Bay ouh ouh » (cf. Indochine). De ce point de vue, le livre déçoit. Peu de saphisme, mais de la promiscuité des corps, des rapports maternels frustrés suintant la femme sans amour. Jusqu’où vont ces caresses qui sifflent sur la tête de la jeune fille, comme des vampires suceraient de ce corps la jeunesse et l’espoir ? Dans la famille, c’est pas mieux. Comme Xéna, il va falloir se libérer de la répudiation pour devenir… Libéréééée, délivréééée. Mais comme je me suis donné du mal à faire une comparaison avec Xéna, tout de suite, mise en image du livre par un des jurés. De rien.

Tragédie (la forme narrative, pas le groupe de musique)

Kaoutar. Harchi. Certain noms semblent donnés pour être portés par des écrivains. On nous dit qu’elle est ethnologue. Cela se lit : on est dans le mythe universel, dans la tragédie avec son choeur de pleureuses. Ce livre vous emmène avec brio dans ce que l’amour frustré à d’éternel. Son style est rêche et mystique, orné et limpide. On voit les ongles qui grattent les croûtes et pourtant on a l’impression d’être dans Andromaque. On notera avec appréhension la grosse option casse-gueule, le style indirect libre dans ta tête. Hachée. Phrase courte. Phrase courte et répétée. Phrase courte et répétée pour. Mimer la pensée syncopée et emmurée. Ce style qui d’habitude signe les mauvais livres prétentieux est

1- Bien tenu

2- Pas lourd à lire pour une fois

3- Digne d’intérêt pour la narration

Ce devrait être suffisant pour que vous vous plongiez dans cet excellent ouvrage de la rentrée littéraire.

Bonne lecture à tous et à toutes

Bonne lecture à tous et à toutes

Tristesse de la terre, d’Eric Vuillard

25 Sep
Petit bouc

Petit bouc

        Éditions Actes Sud

        Lu par Benoit

 

« La plus grande mystification de tous les temps »

L’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs… Le nouveau roman d’Eric Vuillard nous propose d’illustrer cet adage en revenant sur un exemple fameux : le Wild West Show de Buffalo Bill, ou comment un spectacle itinérant a romantisé aux yeux du monde le massacre des Indiens d’Amérique, allant même jusqu’à utiliser d’anciens chefs de tribu comme bêtes de cirque.

Le sujet est puissant, et l’auteur arrive habilement à en extraire toute la richesse. A travers le célèbre barbichu, Eric Vuillard nous montre l’avènement du divertissement de masse, la préférence donnée au spectacle sur le réel, la puissance naissante du show et du business, le besoin constant de réécrire la guerre pour détendre sa conscience, l’avilissement de l’homme vaincu… Bref, autant de thèmes forts qui donnent à réfléchir, et qui trouvent bien sûr de l’écho dans l’époque actuelle.

 

One for the money, two for the show

      One for the money,      two for the show

Triste barbiche

Malheureusement, le ton grave du livre ne suffit pas à effacer un problème majeur de conception : l’auteur ne raconte pas vraiment une histoire, il traite un sujet. Au pas de charge. Cela n’a l’air de rien, mais l’impact du livre s’en retrouve diminué de moitié.

Concrètement, Tristesse de la terre contient beaucoup de commentaire, et fait défiler de nombreuses anecdotes – très ramassées, tenant sur quelques paragraphes – mais il manque une continuité au récit… Il manque l’espace nécessaire pour permettre à l’histoire de prendre corps. Et surtout, en l’absence de personnages le propos souffre d’être désincarné. Buffalo Bill demeure pour nous un inconnu jusqu’aux deux tiers du récit, où il prend temporairement de l’épaisseur – donnant instantanément plus d’intérêt à l’histoire. Les autres, qu’ils soient Blancs ou Indiens, ne font que passer. Le lecteur reste ainsi tenu à distance, désinvesti là où il devrait s’émouvoir.

Et c’est dommage ! Il y avait tout dans ce sujet pour écrire un grand récit avec du souffle. Nous nous retrouvons à la place avec un commentaire pressé et impersonnel, qui nous laisse sur notre faim.

 

 

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