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Les belles ambitieuses, de Stéphane Hoffmann

15 Oct

Lu par… Jean-Marc

Lissées avec soin par votre barbier, Boulevard de la Reine

 

 

 

 

Roman élégant et paresseux, Les Belles Ambitieuses se lit sans déplaisir mais s’oublie vite. Il y est question d’Amblard Blamont-Chauvry, né à Versailles, dans ce roman tout le monde l’est, c’est une chance et une tare, époux d’Isabelle Surgères, les Versaillais se trouvent, les énarques s’épousent, et de Coquelicot, pas diplômée, elle, victime d’ostracisme social, mais insurpassable au lit et qui finit par s’imposer, au personnage principal et au lecteur comme le seul être supportable de cette galerie de portraits hors d’âge. Stéphane Hoffmann réussit à bien écrire ce simulacre d’une France des élites qui, de Pompidou à Chirac, court après les prébendes, jouit de son entre-soi et noue des alliances convenues, sans hypocrisie superflue.

« Isabelle Surgères ne me revoit pas pendant dix jours, mais elle me revoit. Un genou à terre, des paquets plein les bras, dans un appartement fleuri comme une chapelle funéraire. Elle croit m’avoir dompté, je crois l’avoir achetée, nous nous trompons l’un et l’autre, mais avec une bonne humeur qui ressemble à de l’ardeur, c’est-à-dire à l’amour. »

Le modèle sans doute est celui de L’Education sentimentale. Amblard Blamont-Chauvry, ABC d’un monde versaillais qui s’étiole, rate consciencieusement sa vie et, au fil des pages, s’en accommode fort bien, finit par le revendiquer et même y prendre grand plaisir. Mais ici, le ratage est le refus convaincu, affirmé, de l’ascension sociale telle qu’elle est promise à ces collectionneurs de diplômes et de prestige, entre ENA, cabinets ministériels, carrières politiques, mondanités diverses. L’écrivain joue aux Pinçon-Charlot, avec une touche de légèreté dans l’écriture qui, au fond, est parfaitement versaillaise.

« Ils se considèrent comme l’élite du pays et ne se passionnent vraiment que pour l’esprit de corps, l’éparpillement, l’accumulation des avantages et des privilèges. Leur intelligence accentue leurs défauts. Aptes à comprendre, surtout aptes à prendre. Tout leur est dû. Fascinés d’eux-mêmes, engagés dans cette course aux honneurs, à laquelle j’ai renoncé, ils se mesurent depuis leur jeunesse. »

La thèse de la noblesse d’Etat n’est pas neuve, ce roman la décrit à petites touches, brossant trois décennies de mouvements -et reniements- politiques, de déceptions, de postes convoités, obtenus, d’ambitions détestables (Isabelle quittera son mari, bien sûr, car trop médiocre), sans pourtant qu’on s’y attache. La fresque manque d’ampleur, la critique sociale de conviction. Au fond, ce roman pourrait être écrit par un énarque, pour son vernis. Mais lu par toute personne qui fredonne ou craint d’entendre « Ah ! Ca ira » en se rasant le matin.

 

Autre classique

Le malheur du bas, d’Inès Bayard

1 Oct

Lu par… Gaël

Juré agacé d’avoir failli s’y laisser prendre

 

 

 

 

Après le Jeanteulisme, un nouveau vent souffle sur la rentrée littéraire : le slimanisme. Plusieurs années de travail ont permis à de grands mathématiciens-littérateurs d’en synthétiser la description en une équation d’une pureté imparable :

S = (r+ṡ) c

 

Avec :

S = indice de slimanisme
r = indice de racolage
ṡ = indice de non-style
c = indice de cliché

Le jeune prodige hongrois Öttökar Bronn-Zalesky sur le point de remporter le prix Goncourt de mathématiques

Attention : cette équation est parfois écrite de manière plus littéraire, elle prend alors la forme suivante : « Un sujet dérangeant, traité dans un style au cordeau », mais il s’agit bien de la même chose. L’indice de Slimanisme peut-être un indicateur avancé du taux de Goncourisme.

L’indice de Slimanisme de Le malheur du bas apparaît en première analyse très élevé. Décryptage par une de nos meilleures équipes de scientifiques.

Indice de racolage

Commençons par l’intrigue : Marie, jeune femme heureuse et à laquelle la vie sourit sous la forme d’un conforme bourgeois assumé, vit un drame, qui aboutit à ce qu’elle assassine son mari et son bébé (no-spoil alert : on le sait au bout de trois pages).
Le drame (spoil alert : il faut aller jusqu’à la quatrième de couverture pour le savoir), c’est qu’elle a été violée par son patron. Elle tombe enceinte dans la foulée, et pense que l’enfant est de lui. Elle choisit comme réaction le silence (on ne peut condamner cela, c’est malheureusement la vérité de la logique du viol dans de nombreuses situations) et s’enferme dans un engrenage infernal.
Voilà, un sujet bien sordide, qui se termine par un infanticide au terme d’un cercle vicieux de silence. Ca vous suffit comme racoleur ? Ça parle de sperme, de fluides, tout le monde vomit tout le temps (Marie, plusieurs fois ; Laurent, le mari ; Roxane, la soeur de Marie) et quand Thomas, le bébé, naît, un liquide vert sort de ses fesses. Plus tard il a des fistules anales. Le mal-être est donc rarement décrit avec subtilité.
Le racolage se fait souvent au détriment du vraisemblable le plus élémentaire : au bout de trois pages, Marie empoisonne son mari, dont le début de l’agonie est décrit de manière atroce et spectaculaire, puis donne tranquillement de la compote à son fils qui l’absorbe… L’enfant n’est pas du tout paniqué par la vue de son père qui bave et râle en rampant sur le sol.
C’est donc forcément très dérangeant, comme un film d’horreur qui tire sur toutes les grosses ficelles pour vous faire frémir. Ça n’est pas forcément bien, ni intéressant pour autant.

Indice de non-style

C’est très peu écrit. Le rythme est monotone, les phrases très homogènes, les constructions et le vocabulaire pauvre. Au bout de vingt pages je me suis mis à guetter la première subordonnée relative. Elle arrive p. 57 : le « choc qu’elle a ressenti ». Franchement, je l’ai vécu avec elle.
Certaines locutions nécessitent un grand effort d’interprétation pour avoir un sens, sans qu’il ne s’agisse réellement de métaphores, juste des phrases un peu maladroites par manque de relecture et de travail d’édition : « Le temps ralentit, se fige, oppresse l’espace. » ; « Les va-et-vient commencent à s’engager, d’abord lentement puis très fort. » ; « On entend le bruit de l’eau, par forte pression. » ; « Marie aurait toujours ressenti la peur irrationnelle de se faire violer aux yeux de tous » ; « Marie voudrait lui balancer à la figure, mais […] » (oui comme ça, « balancer » devient intransitif) ; « Ces lourds rebords qui fomentent la justice et qui ne sont en fin de compte que très peu négociables lui assurent depuis toujours un confort, […] ». Bref.

Indice de cliché

Au début du livre, tant que la vie de Marie est à peu près normale, le « détail vrai » devient synonyme d’ennui (c’est si vrai qu’on se croirait effectivement en réunion de présentation des résultats, p. 30). Le personnage d’Hervé, le collègue de Marie, homme de 50 ans gentil mais qui n’ose pas quitter son mariage en plein naufrage, est tellement cliché. Un client de son agence (Marie est conseillère dans une banque) s’appelle « M. Geignard », c’est un vieux monsieur qui aime boursicoter. Ce qui se passe à son travail est aberrant : p. 125, un extrait du manuel de formation Comment mal gérer un problème de harcèlement au bureau : la méthode c’est de convoquer inopinément la personne accusée, alors qu’on n’a aucune preuve ni pris le temps d’enquêter, et de confronter directement l’accusée et l’accusatrice.

Marie et Laurent vivent dans un Paris kaléidoscopique, reconstruit d’après Google Maps par des ET relativement bien informés : « De nombreux commerces et boutiques bordent les grandes arcades de la place de la Nation jusqu’à la place de la République ». Vivant moi aussi dans ce quartier, je n’ai jamais vu ces arcades mais elles font partie des nombreux détails qui visent à souligner le glamour superficiel de la vie du couple. Par exemple, pour aller de la Place Monge à Charonne, ils passent par le Louvre (plus stylé que l’Institut du monde arabe). Vivant à Charonne, Marie fait le marché rue Mouffetard. Toutes mes excuses à nos lecteurs ne vivant pas à Paris, mais ces quelques détails spatiaux sont vraiment absurdes, il suffit de regarder une carte.

Extrait du plan de Paris de Marie ©JMP

Après le travail, la ville, les personnages sont également modelés dans la glaise du cliché, animée par la volonté créatrice de l’auteure : l’héroïne, d’abord, est tellement cruche ! Son vélo fracturé, elle est terrassée par la panique, n’ose pas prendre le métro pour trois stations. C’est la cause initiale du drame. Grâce à son indice de cruchisme, elle parvient à ignorer que :

Son mari est un gros connard indigne. Elle ne peut même pas lui dire qu’elle n’a pas envie de sexe avec lui. Plus tard, quand Marie (durant quelques pages d’un suspens sehr sehr subtil) refuse de voir qu’elle est enceinte, il lui offre de manière solennelle un test de grossesse avant même de lui avoir parlé d’une éventuelle grossesse, et devant son refus de faire le test puisqu’elle est certaine de ne pas être enceinte il dit « Fais-le alors, si tu es si sûre de toi. Je sais
ce que je dis, tu es ma femme et je connais ton corps. Je t’attends ici. » Plus tard pendant l’accouchement il pousse sur son ventre et introduit sa main dans son vagin pour élargir l’ouverture de ce dernier. Quand l’enfant a deux mois elle ne veut pas faire l’amour, il lui arrache des relations pas vraiment consenties. Il ne se rend absolument pas compte pendant 200 pages qu’elle est au fin fond de la dépression. P. 210 elle est malade, elle a de la fièvre, première
réaction de son mari : il lui caresse le sexe ! Laurent ouvre également le courrier personnel de sa femme. Il tombe donc sur une expertise psychiatrique mais non, il ne s’intéresse pas à l’état d’esprit de sa femme.
Ses amis également. Paul, le meilleur ami de Laurent, paraît en première approche plus chaleureux. D’ailleurs pour mettre en valeur ce trait de sa personnalité il est introduit par une bonne grosse blague raciste : « Et voilà qu’elle recommence ! On n’est pas dans la médina ici, chérie ! » (la chérie en question a préparé un couscous).
Sa famille est également totalement à la masse. Quand son mari part dix jours à New York, Marie reste seule dans l’appartement, elle ne sort pas, ne se lave pas, mange uniquement de la nourriture de fast food et se saoule, détruit l’appartement. Sa mère s’en rend compte en ramenant Thomas au bercail. Elle range tout et… c’est tout. Plus tard, la sœur de Marie trouve une lettre que cette dernière a écrite, où elle explique toute la situation. Roxane va déjeuner avec sa sœur, lui dit qu’elle a lu la lettre, et que Marie doit avouer la vérité à Laurent parce qu’elle « n’a pas le droit de lui faire ça ». En fait elle traite sa sœur comme une criminelle : elle s’est fait violer et pense que l’enfant est du violeur plutôt que de Laurent, donc elle doit confesser à ce dernier. Sa sœur n’a pas un mot pour son désespoir, pour le drame qu’elle a vécu.
Elle continuera à insister, mais uniquement pour que cet aveu ait lieu. Personne, à aucun moment, ne lui demande ce qui ne va pas, ne lui conseille d’aller voir un psy, voire ne déclenche une hospitalisation à la demande d’un tiers qui se justifierait pourtant largement.
Elle a le droit à un tout petit peu de contrôle sur sa vie : Laurent décide que Paul, qui est gynéco, va suivre sa grossesse… en plus Sophia, la femme de Paul, vient assister à la première échographie. Paul dit à son « amie » : « allez ma petite […] On va voir si le papa a bien travaillé. ». Marie se déshabille devant son amie qui assiste toujours à l’examen. Elle va toujours au cabinet avec son mari alors qu’elle a l’impression qu’en parler à Paul serait une amorce de solution, mais elle ne se dit jamais qu’elle pourrait l’appeler et prendre rendez-vous sans en parler à Laurent. A un moment, persuadée que Thomas est le fruit maudit du viol, elle imagine avorter clandestinement. C’est pas con, et c’est l’occasion d’une petite leçon sur la réglementation de l’avortement. Mais on n’en entend plus parler, manifestement elle a renoncé, pourquoi ?

Tous ces clichés posent trois problèmes, en réalité, au-delà de l’agacement :

– Les personnages sont tellement incroyables, à la limite de la non-assistance à force de manque d’empathie, que le drame psychologique finit par ne plus tenir la route. L’auteure semble d’ailleurs n’avoir aucune idée réelle de ce que vit son personnage : « Marie comme Mathilde ne sont pas dépressives. Elles ne sont pas tombées dans la drogue, l’alcool ou la prostitution. » Hein ? C’est ça le signe de la dépression ? L’aboulie totale, l’incapacité à aimer et à ressentir l’amour, l’amorce de psychose paranoïaque qui pousse à croire que son enfant n’est pas de son mari, ça ne sont pas des symptômes ?

– De manière très artificielle (par la construction de personnages ou de situations monolithiques, étanches et immobiles), l’auteure interdit que l’histoire bouge. On comprend après quelques usages du procédé que, quoi qu’il arrive, aucun personnage ne dira rien et ne fera en sorte d’aider Marie (surtout pas Marie elle-même). Donc la trajectoire est uniforme et prévisible, d’autant qu’on connaît la fin dès le début puisque la scène d’ouverture, c’est le meurtre de Laurent et Thomas, doublé du suicide de Marie. On parcourt cette trajectoire d’autant plus rapidement qu’elle est lubrifiée par les moult fluides précités. Ça glisse.

– Le personnage principal est en révolte contre tout et tout le monde, mais jamais pour les bonnes raisons. Elle ne se révolte pas contre cette famille qui n’essaye pas de l’aider, qui semble se désintéresser totalement de ce qu’elle vit alors qu’elle manifestement en train de sombrer dans les abîmes du malheur. On a donc l’impression que le patriarcat le plus dégueulasse, le racisme à certains moments, même le viol, ça n’est pas le problème. En fait on ne comprend pas trop le problème, à part une sorte de révolte adolescente contre le fait que la vie de couple, ça n’est pas l’amour comme dans les magazines. Analyse digne de Beigbeder. Mais c’est alors que p.125 on comprend tout : Marie a lu Jelinek. Inès a voulu faire du Jelinek ! D’ailleurs dans Lust les personnages sont désignés par leur seul prénom, comme dans ce livre. Le problème c’est que Jelinek, malgré tous les doutes qui ont pu être exprimés sur Lust, avait un propos fort, sur les fantasmes féminins et masculins et l’effet de domination de ceux-ci sur ceux-là, sur l’Autriche Thomas Bernardienne n’ayant jamais fait le ménage dans sa psyché collective. Elle avait aussi une langue. C’est là où la formule du slimanisme prend tout son sens : l’absence de propos potentialise l’absence de style, en la portant à la puissance cliché.

 

Possédées, de Frédéric Gros

9 Oct

Lu par Gaël

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Poil de la Bête

 

Première incursion dans le monde du roman pour ce philosophe, spécialiste du pouvoir et de Foucault, et essai transformé assurément. Dans tous les sens du terme car ce roman est une très belle illustration de ce que signifie le pouvoir, jusque dans la chair des personnages. Il ne faut pas s’amuser à y chercher des échos de théories ou une volonté didactique, mais bien plutôt un cri, une alerte, contre les dégueulasseries auxquelles la puissance et les jeux politiques donnent libre cours.

Le cadre est celui de l’affaire des possédées de Loudun, épisode qui déchira le Poitou dans les années 1630, et qui serait clochemerlesque si sa fin n’en était pas tragique. L’alchimie est simple : quelques jeunes religieuses pétrifiées par l’ennui, un jeune prêtre beau, convaincu et brillant mais trop à l’étroit dans l’abstinence imposée, des jaloux de province, une poignée de fanatiques dont la joie est dans la destruction, et quelques lointains puissants pour lesquels Loudun n’est qu’une case sur leur échiquier à trois bandes. Les religieuses se croient visitées par le diable, les jaloux et les fanatiques soufflent sur les braises, les puissants voient dans l’élimination du prêtre suppôt de Satan une voie facile vers une victoire à laquelle personne n’a intérêt à s’opposer.

 

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Le poids des responsabilités, le choc de la pilosité

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La narration est fluide et brillante, la vie d’une cité provinciale du 17ème siècle sur le retour rendue avec vivacité, la destinée qui conduira à la fin tragique est présente tout du long . Le coeur du propos, c’est l’histoire d’Urbain Grandier, prêtre convaincu que la bonne foi, le soutien de la communauté et la justice immanente triompheront. Bien sûr, il n’a rien compris, car le jeu du pouvoir, inventé par les hommes aux passions tristes, ceux auxquels réussir une vie ne suffit pas au point qu’ils se mêlent de celle des autres, le rattrapera malgré toute son intelligence et son courage. Peinture crépusculaire et éclairante d’un monde dans lequel on était vite broyé par la Raison d’Etat, à méditer en ces temps où l’autorité de la République constitue la nouvelle passion.

 

La nuit en vérité, de Véronique Olmi

22 Oct
Poil pubien adolescent

Poil pubien adolescent

Éditions Albin Michel

Lu par Claire

Pitch déroutant, livre étonnant

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C’est celui qui l’a dit qui l’est

Enzo, douze ans et beaucoup plus de kilos, vit avec sa mère Liouba dans un immense appartement parisien bourré d’oeuvres d’art. Seulement voilà : Liouba est femme à tout faire au black pour le compte de patrons toujours absents, et vit avec son fils dans une petite pièce de la demeure. Les dits patrons, dans leur grande magnanimité, ont permis à Enzo d’être inscrit dans le collège huppé du quartier : une chance qui a fait son malheur. Trop gros, trop pauvre, trop solitaire, Enzo déchaîne les mesquineries adolescentes. Pour ne pas peiner sa mère suffisamment pitoyable, jeune-vieille « encore dans ses vingt (ans) » ; Enzo souffre en silence et engloutit des montagnes de nourriture pour calmer son angoisse affolante. Happé dans un quotidien de plus en plus mortifère, il s’échappe dans des rêveries historiques et fantastiques. Enzo Popov, quelle idée, aussi, d’avoir un nom pareil…

La finesse d’une écriture poids lourd

nuitLe coup de maître de Véronique Olmi consiste à aborder des sujets douloureux sans apitoiement, tout en usant d’un style poétique et d’un art consommé de la retenue dans l’émotion, dont l’association produit bien plus de densité et de véracité que ne le ferait un réalisme forcené. Etrangement, le lecteur creuse son trou auprès de Liouba et d’Enzo, séduit par la maturité du garçon et la fragilité de la mère, pressé de savoir jusqu’où cette spirale du ras-de-bol emmènera ce couple singulier, emporté par la magie inattendue qui imprègne le récit. Car ce qui sauve la mère comme le fils, c’est ce désir latent de liberté et d’échappée hors des conventions et des obligations, deux concepts dont ils souffrent déjà dignement.

Ce roman peut encore paraître, ainsi caché par ce résumé, rempli de bien-pensance et de fioritures. Parions que vous serez surpris les premiers de votre propre intérêt.

And the winners are…

5 Nov

Pierre Jourde, vainqueur heureux de l’édition 2012 du Prix Virilo

PRIX VIRILO 2012 : PIERRE JOURDE, Le Maréchal Absolu (Gallimard)

Le prix Virilo récompense le meilleur roman francophone publié dans l’année. Il revient cette année au Maréchal absolu, de Pierre Jourde (Gallimard). Il impose son diktat au second tour face aux excellents Fukushima, de Michaël Ferrier (Gallimard), et L’Auteur et Moi, d’Eric Chevillard (Minuit).
Les jurés tiennent à souligner la grande ambition d’un roman polyphonique sur le pouvoir, hénaurme. Mais le ballet vertigineux des récits croisés autour du dictateur ne doit pas vous effrayer, car le non-sens ubuesque change ce cale-porte de 760 pages en une œuvre rare, à la fois légère, profonde et finement écrite. Il ne reste plus qu’à s’interroger : mais comment les autres prix ont-ils pu le rater ?

PRIX TROP VIRILO 2012 : ERIC NEUHOFF, Mufle (Albin Michel)

Le prix Trop Virilo couronne la poussée de testostérone la plus vivace, la giclure littéraire excessive. Peut-on être un héros Trop Virilo et cocu ? Et bien oui, puisque c’est Eric Neuhoff qui impose son Mufle (Albin Michel).

Il n’était pourtant pas aisé de vaincre la Jouissance européenne de Florian Zeller en finale, mais ce livre surpasse nos attentes par ses citations incroyables comme « Les femmes qui vous trompent ne sentent plus pareil. Elles traînent après elles des relents d’arrière-cour », ou encore « A Berlin, il s’ennuya. Il y avait plein d’Allemands et le zoo était en travaux. » Nous remercions Eric Neuhoff de nous offrir cette leçon de vie : un bon critique ne fait pas toujours un bon écrivain.

ACCESSITS

Nous avons lu et chroniqué (et acheté) nombre de livres cette année. Ce ne sera pas pour rien. Voici la liste des accessits pour consoler les écrivains déçus :

Le Prix Pilon de la forêt qui pleure (du livre dont le ratio (Qualité / (Tirage + Couverture Médiatique) est le plus faible) est remis au consternant Les Lisières, d’Olivier Adam.

Accessit Kelly Slater du livre qui surfe sur la vague revient à Fukushima, de Michaël Ferrier

Accessit du style Ségolène Royal revient à La Survivance, de Claudie Hunziger

Accessit Endives au jambon du plat qui ne plaît pas aux enfants et rarement aux parents revient à Christine Angot pour Une semaine de vacances.

Accessit Viri-lol du jeu de mot qui fait un bide sidéral (essayez chez vous) revient à Jean-Michel Olivier pour Après l’orgie et cette blague «  Althusser, à qui sa femme a dit Halte ! Tu serres ! »

L’accessit du livre dont le titre est un peu méchant, mais c’est quand même ce qu’on aimerait dire à Florian Zeller de temps en temps, revient à Tais-toi et meurs d’Alain Mabanckou.

Accessit de l’auteur qui aime les femmes qui aiment les hommes qui aiment les femmes (mais par derrière) revient à Philippe Djian, pour Oh…

Accessit de l’auteur qui n’a pas d’idée de titre pour son livre revient à Régis de Sa Moreira pour La Vie.

Accessit du titre qui devrait en faire réfléchir certains (comme Florian Zeller) revient à Patrick Besson pour Une bonne raison de se tuer.

Accessit Katherine Pancol du titre trop long avec des animaux saugrenus dedans revient à Moi j’attends de voir passer un pingouin, de Geneviève Brisac

L’accessit du livre avec lequel on se fait lourdement accoster dans le métro revient à Dans ma bouche, de François Simon

L’accessit du livre avec lequel, en revanche, on est vraiment tranquille dans le métro revient à Ne me cherchez pas, de Jean-Philippe Kempf

> Liste des finalistes (et leurs critiques)

Un jury à moustaches, composé d’hommes ou de femmes qui votent en hommes. Ce qui ne veut rien dire ? Ce qui ne veut rien dire.

Mufle, d’Eric Neuhoff

8 Oct

Une moustache de trop

Albin Michel

Lu par Paul

Y a-t-il quelque chose à sauver dans ce nouvel ouvrage d’Eric Neuhoff ? La couverture, peut-être, pour les amateurs de gros chiens ?

L’odeur de la femme adultère 

Une couv’ qui a du chien

Lire Mufle est très agaçant, d’abord parce qu’on est persuadé de tenir le « Trop Virilo » de l’année entre ses mains. Une sombre histoire d’adultère, un titre qui en laisse entendre beaucoup, un narrateur qui jure de se venger de sa femme et au passage nous assène quelques belles trouvailles  :
« Les femmes qui vous trompent ne sentent plus pareil. Elles traînent après elles des relents d’arrière-cour, d’épluchures, de faux-semblants ». (p 16)
« Qu’avait-elle en tête ? Des rêves de boniche, des fantasmes puérils, des chimères de ménopausée » (p. 71)

Point de moustache sur ce mufle

On a envie de lui dire vas-y coco, lâche les coups. On y croit. On a envie de le voir se défouler 200 pages durant contre la gent féminine, qui n’en avait peut-être pas tant demandé, et remporter le Prix Trop Virilo au terme d’un feu d’artifice de testostérone.

Dépucelage marmoréen

Mais au lieu de ça, Mufle est un roman qui fait pschitt. Une fois ces deux ou trois débordements passés, le narrateur se complaît dans un long gémissement digne de la bibliothèque rose. Certes, il passe bien par une petite crise existentielle (« Devait-il à son tour se comporter comme une merde? »), mais rien en tout cas qui permette de décrocher un prix de machisme littéraire, ni accessoirement de retenir l’attention du lecteur.

Mais là où lire Mufle devient extrêmement, et je dis bien extrêmement agaçant, c’est lorsque l’on constate que l’auteur avait en fait bien plus d’ambition que celle de remporter un prix pastiche et postiche.
1) Il avait l’ambition d’être le nouveau Flaubert :
« Il voyagea. A Berlin, il s’ennuya. Il y avait plein d’Allemands et le zoo était en travaux. […] A Capri, une mouette s’était posée sur la piscine. […] A Belgrade, les nouveaux riches sifflaient un cocktail Coca-cola champagne. Dans les rues, pas un noir ni un Arabe. Encore des vacances de merde. » (page 85)
2) Ou une sorte de Nicolas Bouvier, qui sait :
« A Venise, elle avait embrassé un type devant chaque église. [..]
A Marrakech, un producteur de télévision l’avait invitée à partager sa suite de la Mamounia […]
A Delhi, elle avait dépucelé le fils d’un maharadjah. La chose s’était passée à même le marbre d’un palais. » (page 40)
Arrive fatalement un moment où le lecteur s’intéresse moins au récit qu’aux mille et uns morceaux de bravoure qui le jalonnent. On finit par lire Mufle comme on lirait des brèves de comptoir, en ouvrant au hasard et en lisant à voix haute pour faire rire ses petits camarades.

Bref, un ouvrage à déconseiller absolument.

Barbe Bleue, de Amélie Nothomb

20 Sep

Duvet bleu, mais duvet

Editions Albin Michel

Lu par Claire

 

Une barbe qui pique les yeux

C’était bien tenté. Mais ce n’est pas parce qu’Amélie Nothomb utilise le mot « barbe », ô combien cher au prix Virilo, qu’elle peut espérer gagner notre virilité.

Si j’avais su, j’aurai pas cru. Cette année encore : Amélie, à nous deux. J’ose appeler la grande prêtresse des digestions difficiles par son prénom depuis que ma mère  m’a prouvée par A + B version preuves généalogiques que nous étions cousines éloignées.

J’ai été tentée de copier-coller ici même ma critique de l’année dernière tant la recette, comme celle du big mac, demeure identique.

J’avais lu à vitesse supersonique Tuer le père debout dans la Fnac des Ternes, vérifiant du coin de l’œil qu’un vigile n’allait pas m’empoigner pour m’obliger à payer ce roman que je lisais impunément sous les yeux des caméras. Cette année, je demande pardon à la Fnac des Halles.

Règle#1 : Quand l’auteur est plus gros que le titre et pleine couv’, c’est mauvais signe.

Une fois encore, Mademoiselle Nothomb se saisit d’un sujet avec la délicatesse et l’à-propos dont elle est capable, revisitant le conte de Perrault sous l’angle des affres de la colocation. La jeune Saturnine et son hôte, messire Elmirio, devisent de pages en pages en engloutissant des bouteilles de Dom Pérignon, dans une atmosphère il faut le dire assez réussie de luxe, cruauté et petits-déjeuners au lit.

Une conversation spirituelle et enlevée pour un dénouement décevant qui, une fois de plus, donne l’impression au lecteur que l’auteur ne s’atèle plus qu’à produire des romans-nouvelles certes agréables à lire, mais qui ont oublié toute notion d’envergure.

Amélie Nothomb, ou l’histoire du chef pâtissier qui fabriquait uniquement des cookies nature alors qu’il maîtrisait parfaitement la recette de ceux au chocolat et noix de pécan. Frustrant.

La nuit n’éclaire pas tout, de Patricia Reznikov

22 Sep

Albin Michel

Lu par Anne

La moustache n'éclaire pas tout

Sombre et Glâbre

Forte d’un titre danielbalavoinien en diable, Patricia Reznikov a tout misé sur un jeu d’oppositions incongru, comme d’autres misent toutes leurs économies sur Scolie de Brassière dans la cinquième (sauf que eux auraient gagné) dans l’espoir sans doute de créer chez le lecteur une surprise plein d’admiration.

Le narrateur Benjamin Himmelsbar est un écrivain en panne d’inspiration qui rencontre dans un bar une jeune femme un peu allumée. Plutôt que de sombrer dans une sordide amourette trans-générationelle, Héloïse l’entraîne à sa suite dans la folle quête de ses origines à travers l’Europe. C’est plus original.

Un cruel manque de lampadaire

L’auteur conçoit hélas l’idée d’allier dialogues aussi plats que l’arrière-pays flamandAlors Héloïse, qu’est-ce que vous faites dans la vie ? Des études ? – Non, vous plaisantez, elles sont terminées depuis longtemps. En réalité, je passe presque tout mon temps à attendre. – A attendre ? Attendre quoi ? Qui ? – Aucune idée. – Cherchez… ») et les vers et pensées dudit Benjamin Himmelsbar (le titre est tiré d’un de ses poèmes, pas d’bol, Daniel !).

Si ça n’est pas détestable, c’est totalement dispensable. Et pour plagier Didier (Barbelivien), il faut laisser la nuit à la nuit…

Tuer le père, Amélie Nothomb

23 Août

Albin Michel

Lu par Claire

Quand l'auteur c'est la couv' et que son nom est plus grand que le titre ce n'est jamais très bon signe

Rasoir facile

Son seul patronyme suffit à assurer un jackpot littéraire, alors pourquoi se priver de critique ?

Il n’eût pas été très fair play de la part du Virilo de descendre le mainstream pour la seule raison qu’il l’est, mainstream. Doit-on cracher sur Léonoard de Vinci parce que la Joconde a le malheur d’être le tableau le plus connu au monde? Que nenni.

Non,  le Virilo ne s’arrête pas à de si triviales considérations. Le Nothomb a donc été lu. En une vingtaine de minutes, debout dans le rayon librairie d’un grand magasin dont nous tairons le nom, l’épaule sciée par un sac trop lourd et le dos criblé du regard soupçonneux d’un vendeur zélé.

Facile. Il a l’air facile pour Amélie de créer des atmosphères peuplées de personnages souvent tordus, parfois attachants, généralement très lisibles. Elle s’attelle ici au monde du jeu, de la magie, des artistes qui vont se dissoudre dans l’acide du festival de Burning Man, d’un jeune prodige des cartes, Joe, recueilli par un couple de ces artistes. L’homme, Norman, devient son mentor, son père; elle, Christina, sa mère, et son grand amour. Amoureux de cette nouvelle mère, orgueilleux quant à son talent, il trahit ce père qu’il s’est choisi. Il s’enfuit et vole de ses propres ailes, frôlant le danger dans l’univers du poker. Mais ce père adoptif choisit alors son fils contre sa vie, et le suit comme une ombre, attentif, abandonnant femme et vie d’avant.

Facile. C’est un goût de trop peu qui nous reste une fois ce livre refermé. Amélie Nothomb ne fait qu’effleurer un univers que l’on aurait aimé vraiment voir développé, travaillé, ciselé en une fresque plus profonde. Au lieu de quoi, ce roman ne ressemble finalement qu’à une synthèse bien faite, au quatrième de couverture un peu long d’une histoire qui eut mérité un vrai investissement. Comme si elle n’avait fait que produire le strict minimum destiné à satisfaire son éditeur, ses lecteurs, et son mythique rythme d’écriture annuel. Amélie pêche donc ici par le trop peu, et non pas par une histoire bancale ou mal écrite. L’idée y était, la facilité l’a emporté.

Facile. Il est facile pour Amélie Nothomb de s’arrêter à ce qui ressemble donc à une nouvelle, car son livre sera quoi qu’il arrive acheté, aimé, et encensé.

Tout comme Joe, son personnage principal, elle manie les cartes comme un vrai joueur professionnel: en trichant.

Un seul regret destiné aux fidèles adorateurs de mademoiselle Nothomb. S’il était paru deux mois plus tôt, il aurait constitué un agréable divertissement de transat.

Une forme de vie, d’Amélie Nothomb

24 Sep

Albin Michel

Lu par F.S

Peut-être y a-t-il vraiment des lecteurs pour apprécier Amélie Nothomb ? Ou peut-être que la supercherie va s’arrêter un jour ?

Pourtant, si l’on en croit cet auteur (trop) prolifique, il se trouve au moins un « fan ». Outre-Atlantique. GI de sa personne. Et obèse. Pas question ici de souligner ce fait si ce n’est pour dire qu’il a un rôle crucial dans ce roman. Ce fan américain obèse contacte la pisse-copie pour lui faire part de ces états d’âme, lui qui est coincé à Bagdad par la guerre en Irak. S’en suit une correspondance pesante et indigeste que l’on pourrait résumer, en gros, comme un mélange entre une réflexion sur la société de consommation et la guerre, la rêverie mélodramatique surfaite et une sorte de méditation ficelée comme un mauvais rôti. Pour faire couler le tout, Amélie Nothomb a eu la riche idée d’y ajouter une grosse couche de mégalomanie. Nous allons arrêter cette critique ici, je me sens un peu barbouillé.

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