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Le poids du monde est amour, de David Thomas

2 Oct

Lu par… Bérénice

Jardiniste

 

 

 

 

La production de David Thomas est affligeante.

Petit florilège :

  • Dans le prologue, on attaque direct avec des poncifs en bloc, petites phrases qui se veulent sans doute touchantes, percutantes, représentatives d’une plus grande vérité. Le principe (je n’ose dire la technique) qui consiste à mettre en italique ce langage parlé de tous les jours est-il le meme de la rentrée littéraire 2018 ? Il est vrai que Maria Pourchet l’utilisait, elle, pour servir un propos.
  • On l’attendait, et oui, bravo, le voici ! Arrivée un peu tardive du racisme (page 18) qui ne déçoit pourtant pas : un homme mentionne qu’il a eu sa période « femmes mariées, puis très grandes, puis africaines, puis rousses ». Ah ben oui, un petit fétichisme colonialiste de derrière les fagots, y’a que ça de vrai.
  • On note en page 20 un effort pour coller au mieux aux tags du site du Prix Virilo : « J’aimerais qu’on m’explique pourquoi TOUS les hommes avec qui je couche essayent de me sodomiser. » C’est pour mieux enchaîner avec l’homophobie de « Ou quoi, les hommes sont en fait tous des homosexuels refoulés ?« . #sodomie
  • Puis, un personnage d’amie. « Je suis la bonne copine […] à qui on claque les fesses. » Meuf, change d’amis et de livre, ton auteur ne te mérite pas.
  • Les fantasmes sexuels mâtinées de Jardinisme (pitié), après le Jeanteulisme et le Slimanisme : « Il m’a tendu une ordonnance pliée en deux avec un sourire rassurant. Il y avait écrit : « Deux rapports sexuels par semaine pendant un mois« . » Ben oui la femme en question est déprimée mais n’a pas de raison de l’être (l’inconscient n’existe pas), donc elle a juste besoin d’être baisée. Et ce n’est pas comme s’il n’y avait pas, en 2018 encore et toujours, des abus et violences de la part des professionnels de santé. Un classique, on adore.
  • Quatre pages sur des gens qui gueulent en boite et ne se comprennent pas, avec plein de majuscule, comme une trèèèèèès longue blague carambar.
  • Un accouchement est présenté de la manière suivante : la sage-femme annonce que le col est suffisamment ouvert, la femme va donc bientôt accoucher (lol, non). Elle installe donc les étriers (ah oui, la fameuse position gynécologique, très efficace dès qu’on est à 10). L’homme, qui raconte (forcément) ne souhaite pas se voir infliger une « expulsion ».
  • Signalement à l’ASE : une mère qui a un enfant qui n’est pas en âge de parler prépare le dîner pendant que ladite enfant barbote dans son bain.

Foutez la paix aux meufs

La remarquable platitude du propos (être un couple c’est s’endormir sans faire l’amour) est enchâssée dans un sublime catalogue de misogynie. Les femmes sont les tentatrices, les folles, les jetées, les obsédées, les violentes, les lunatiques. Page 15, c’est une femme extrêmement bien gaulée sur laquelle tous les hommes fantasment et qui, bien sûr, aime cela. Elle se masturbe même la fenêtre ouverte car vraiment on n’en fait pas assez pour tous ces être à couilles, heureusement qu’on leur donne un peu de soi. Plus loin, une autre aime seulement les queues, surtout les voir, elle se masturbe en les regardant. Tout de même, elle « ne [sait] pas si [elle] est lesbienne« . Le protagoniste homme, lui, aurait « aimé débander, pour ne pas la satisfaire« .

Puis, « Quand je suis seule, ce qui m’arrive plus souvent que d’être en couple, je ne peux pas m’endormir sans visualiser le visage d’un homme. »

Quand les femmes sont trop belles, elles sont en couple avec un homme laid puis s’enlaidissent pour mieux le rejoindre.

Quand un homme choisit de rester à la maison pour favoriser la carrière de sa femme, il devient le récipiendaire de la charge mentale et finit par faire chauffer la CB au Printemps, histoire de. Cet alignement de bêtises crasses seraient risibles si elles ne prétendaient pas parler d’amour.

Bref, racisme, homophobie, Jardinisme, misogynie. Superbe panel. L’auteur essaye vaguement de saupoudrer d’un peu de culture. Le Kaïros, Brautigan (so 2016), le désert des Tatares font inopinément leur inutile apparition au détour d’une page.

Glissez-moi Barthes quelque part

Des analyses politiques de fond

Ce qui se veut une réflexion sur la vie et l’amour au fil des âges s’accompagne d’observations politiques aux petits oignons. Oh pardon. Je recommence. « Roman multi-choral dressant avec justesse et tendresse les différents états de l’amour tout au long de la vie, David Thomas sait être désopilant au hasard d’une comparaison. » (petit carton que vous pouvez conseiller à tous les mauvais libraires).

Il en va ainsi de certaines positions sexuelles. « Pas de levrette, trop capitaliste. 69, oui, ça c’est du sexe équitable, je ne donne jamais de plaisir si je n’en prends pas aussi. » Oulala, qu’est-ce qu’on se marre à se foutre de la gueule des meufs qui mangent bio.

Des conseils immobiliers bien sentis

« Pendant vingt-cinq ans, j’ai été un homme qui a cherché une femme. Un jour, j’en ai eu assez et j’ai décidé de devenir propriétaire. » Bien vu, les taux sont bas en ce moment alors que sur les femmes ce n’est pas le cas.

Au passage, les hommes qui vont chez les prostituées dans cet ouvrage sont seuls et en immense besoin de tendresse, bien entendu.

Waterloo

C’est un contresens total à l’occasion d’une métaphore qui permet à cet ouvrage de s’enfoncer toujours plus profond dans la boue de la médiocrité. En effet, une comparaison vraiment très subtile de l’amour et de la cavalerie napoléonienne de la part d’un type qui couche avec la sœur de son pote est proposée au lecteur quelque part dans le premier quart du livre, voyez plutôt l’objet de la métaphore : « il faut foncer dans le tas« .

Personne ne peut ignorer que si c’est bien la cavalerie de la Garde impériale sous le Premier Empire qui est visée, il s’agit là d’une force armée qui n’est utilisée qu’en dernier ressort.

Échec sur toute la ligne.

 

Il n’y avait pas de femme en VEFA alors j’ai pris un duplex.

 

Objet trouvé, de Matthias Jambon-Puillet

24 Août
Lu par…Bérénice

Une carpette très lisse

 

 

 

 

Ce livre est vendu comme une réflexion sur la masculinité, l’engagement et la quête de la jouissance ce qu’il n’est pas, mais ça fait vendre. Les mots important de la quatrième sont donc « en filigrane ».

 

Dernière la fébrilité apparente, mais pas très loin, se cache un livre tiède, plat et sans saveur, en tout point semblable à son prologue.

 

Le pitch : il y a trois ans, Marc, prénom de guerrier et pas franchement au point sur ce qu’il veut de la vie, subit son enterrement de vie de garçon. Sa meuf est enceinte et il va l’épouser. Il tombe alors sur Sabrina, one night stand d’une lointaine soirée, pas franchement au point sur ce qu’elle vaut et légèrement obsessionnelle au point de voir un évènement facebook, que ce soit l’enterrement de vie de garçon d’un type qu’elle n’a plus jamais revu, et d’y aller. Faut ne pas aimer dormir et avoir une bonne petite angoisse de sa propre compagnie à ce stade là.

 

Bref, comme prévu, ils couchent ensemble et là, je t’ai je te garde, la pauvrette ne dort pas pendant des jours parce qu’elle a attaché Marc avec des menottes en plastique tenues par un cadenas et qu’elle a peur qu’il parte de sa chambre. Il finira sans menottes mais avec cage de chasteté.

Pour de plus amples informations, veuillez consulter notre tumblr Cage de chasteté ou cage à écureuil ?

Pourtant, comme le disent les sites de vente de cadenas « Le cadenas est symbole de tranquillité et d’évasion grâce aux escapades et sorties qu’il permet, en mettant en sécurité les affaires personnelles de son propriétaire« .

Mais non, Sabrina est accro au Guronsan, écrit Guronzan, un moyen subtil de déjouer les foudres de l’industrie pharmaceutique, elle stresse. C’est donc l’histoire d’une descente aux enfer dans les effets secondaires de la pharmacopée en vente libre.

 

« Après quelques semaines, Marc a cessé de parler« . La pharmacovigilance, y’a que ça de vrai, mais nous, ce qu’on souhaiterait, c’est que l’auteur cesse d’écrire. Il ne nous épargne rien, pas même le transit de Sabrina le premier jour où elle n’attache pas Marc. Ah ça, le Guronsan et le manque de fibres, ça ne pardonne pas.

 

On voudrait régaler le lecteur de ce site des rebondissements de l’intrigue mais la bluette SM, ça reste de la bluette, donc rien dans ce livre que vous ne trouverez déjà dans n’importe quelle histoire érotico-longuette, mâtinée de quelques éléments incongrus.

Cette ode au rangement, par exemple : « Là aussi, décoration minimaliste. On est loin du laisser-faire de chez Nadège, culottes par terre, murs punaisés de photos de jeunesse, table-basse recouverte de vieux magazines. Pic de jalousie face à l’incarnation d’un idéal d’intérieur d’adulte. » Ah Nadège, oui tu as raison, l’âge adulte ce n’est pas mieux se connaître, non, c’est avoir des meubles chromés chez soi. Et pourtant, les goûts et les couleurs…car plus loin « chaque tenue latex est plus belle que la précédente« .

Une bien belle tenue

Mais tout n’est pas simple non plus pour Sabrina qui, bien que sublimée en latex, aime laver Marc. Une réorientation en gérontologie est sans doute à envisager. Elle en profite pour le caresser. « Elle ne sait pas s’il aime » mais « une fois sec, elle lui fait enfiler un simple bas de pyjama en coton« .
Chapeau en tout cas pour l’enchaînement dénué de sens des différentes parties du livre, des retrouvailles grandiloquentes à l’hôpital au récit des trois ans, de la rupture de la fiancée laissée sur le carreau d’avec l’actuel à la diatribe contre la contrefaçon chinoise.
« Ce n’est pas seulement une question de laideur. J’ai aussi peur pour vous. Quand on achète ce genre de vêtement, quand on est perchée aussi haut…J’aime privilégier la qualité et les finitions. Un accident est si vite arrivé. »
Eh oui, car Sabrina meurt d’un talon trop haut qui se brise. Ce n’était pas de la marque mais une copie, quel fléau, que fait la DGDDI ? Finalement, Marc est rattrapé par son identité et son fils de trois ans, sa fiancée de l’époque quitte l’homme qui a élevé l’enfant pour revenir dans son giron et le latex lui manque. Vous n’avez rien compris à l’intrigue ? C’est normal.
Et cette loooongue conclusion, telle une gifle bien assénée : et si la virilité, c’était la soumission ? Quelle puissance, quel propos. Heureusement à la fin, Marc paye ses dettes : puisqu’il en a fait baver pendant trois ans à sa femme en disparaissant corps et biens, il lui donne une bonne gifle puis bande enfin, Nadège en « couine de surprise« . Il devient le partenaire de couple qui gère tout et entame une carrière de dominateur SM. Ainsi, la solution à la charge mentale de par le monde est trouvée. Enzo, l’enfant de trois ans, a probablement demandé son émancipation. Rideau.

Nadège, qui couine devant Marc, travailleur du bois et parangon de virilité.

Le bal mécanique, de Yannick Grannec

16 Oct
Lu par … Gaël
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Bacchantes intrigantes

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Attention, ouvrage épais et touffu ! Deux parties, qui se répondent l’une l’autre. Dans la première, on suit Josh, un de nos contemporains vivant à Chicago, où après des études d’architecte il a créé une émission de télé-réalité quelque part entre Boris Cyrulnik et Les maçons du cœur (si, si), tout en se posant de nombreuses questions sur la famille et l’intégrité artistique. Dans la seconde, on explore les racines familiales de ces questionnements, principalement à travers le destin d’une jeune femme dont on ne dira pas plus sous peine de spoiler violemment l’intrigue.
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C’est un bel objet, orné d’un pochoir de Schlemmer relevé par un impétrant plus cultivé et moins alcoolique que la moyenne. Cette référence pointue donne le ton d’un ouvrage sérieux : notes en fin d’ouvrage, bibliographie très exhaustive, notamment sur le Bauhaus et Paul Klee. On sent que l’auteure s’est passionnée pour cette période et s’est plongée toute entière dans la reconstitution d’une jeune femme éprise d’indépendance et d’art dans ces temps douloureux. L’entreprise est réussie : les complexités et les hésitations d’une Allemagne tiraillée entre sa modernité et ses aigreurs sont parfaitement rendues. Le Bauhaus est un personnage à part entière. Même le dense featuring de Paul Klee (exercice habituellement très risqué, tant sont nombreux les auteurs qui semblent penser que le travail passé de la guest star peut remplacer le leur) est réussi.
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Le célèbre emblème du Bauhaus par Schlemmer, rendu viril par de jeunes designers allemands

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En contraste, la première partie convainc moins. Beaucoup de bonnes idées, mais le personnage principal et l’intrigue apparaissent un peu trop creux pour tenir 250 pages. Le motif en miroir – une émission qui met en scène les conflits familiaux inconscients, et un roman qui explore les schémas de contamination familiaux – est un peu scolaire par rapport au tourbillon que promet la quatrième. Au final, deux tours de force, le portrait contrasté d’un entrepreneur de la trash TV à l’heure des choix artistiques, et une peinture très fine de la vie artistique de l’entre-deux guerres. Ce n’est pas rien d’autant que, pour votre serviteur moustachu, la capacité à incarner tout aussi intensément des points de vue et des personnages très différents est une des marques des grands romanciers. Mais ça ne prend pas complètement et on se dit, avec un peu de dépit, qu’une très bonne huile plus une délicieuse moutarde ne suffisent pas à faire une excellente mayonnaise*.

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* Le jury s’excuse par avance de cette métaphore boiteuse, qui montre encore une fois qu’à ne se nourrir que de rillettes et de cornichons, les jurés sont piètres cuisiniers.
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Pain amer, de Marie-Odile Ascher

14 Sep

aux éditions Anne Carrière

Lu par François

Anti-cramique

Touffu

Marie-Odile ASCHER, qui signe ici son premier ouvrage, propose une écriture limpide, rythmée, très sensible. Le roman est émouvant et instructif… Mais que demande le peuple ? (ndlr : du pain ?)

En suivant Marina, 19 ans au début du roman, on est emporté par l’Histoire de la Russie soviétique et le combat de ces milliers de « rapatriés », pour survivre, s’adapter et tenter ensuite de reprendre au destin ce qu’une funeste erreur leur a volé.

Et en plus, il leur avait promis des nintendos. Que dalle.

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, on avait promis à ces Russes blancs exilés en Europe occidentale et nostalgique un accueil inoubliable et une vie paradisiaque sur la terre de leurs ancêtres, devenue une glorieuse nation socialiste.

En fait non. Famine, injustice, déclassement. C’est Dur. Pire que ça : c’est l’enfer.

Marina et sa famille vont vivre l’horreur, leur histoire familiale permet une incarnation de la grande Histoire. C’est touchant et globalement très réussi. Par ailleurs, je recommande en toute hypothèse à tout un chacun de se méfier des belles promesses staliniennes.


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