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Eric Chevillard : La rencontre

22 Nov

Rencontre # 3 – ERIC CHEVILLARD

Selon Frédéric Lefebvre, penseur de la modernité, Internet est aujourd’hui « le repaire des violeurs, psychopathes, voleurs et proxénètes ».

Rajoutons à cette liste le pire de tous, Eric Chevillard, et son blog où se commet l’infâme, l’Autofictif. Ce blog, c’est trois pensées par jour, aphorismes qui auraient pu être écrits par un Beckett tout gaga de ses enfants, et par Cioran si ce dernier buvait du Banyuls (avec l’alcool gai). ça fait beaucoup de si. Et pourtant cela existe avec une constance dans l’excellence tout à fait remarquable. Mais aller faire parler Eric Chevillard de lui-même…

Eric Chevillard n’aime pas trop se la raconter.

Eric C., Écrivain virilo

On comprend sa démarche : Papoter de son œuvre, c’est soit du marketing littéraire (un oxymoron), soit un commentaire de texte qui s’adresse à ceux qui ne savent pas vous lire… Dès lors, l’éventualité d’un bon gros ramdam s’éloigne cruellement.

Ces considérations font d’Eric Chevillard un médiatique taiseux et bourru, genre Paparemborde mais moustache rasée. Impression renforcée par le fait qu’il vive à Dijon, ce qui est so terroir.

Le Prix Virilo n’est pas comme ça, lui. Il assume le regard. Il est une verticalité qui se montre au monde, dru, véritable bifle créant un désir parfois teinté de crainte. Cette année, le meilleur livre de la rentrée, c’est celui d’Eric Chevillard. Il va donc bien devoir sortir de sa réserve…

Détruisant consciencieusement son silence de stylite, nous lui avons posé dix questions engagées pour changer à jamais la face (biflée donc) de la littérature française.  

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10 QUESTIONS ENGAGEES A ERIC CHEVILLARD

· Sur votre blog, « l’Autofictif », vous vous plaignez occasionnellement des ventes pas franchement colossales de vos romans. Maintenant que vous avez remporté le Prix Virilo, impossible de trouver un Dino Egger en librairie ! Comment assumez-vous ce tout nouveau statut d’écrivain populaire ?

Je crains que ce prix ne me soit retiré avec des cris indignés lorsque je vous aurai fait cet aveu (qui me coûte) : je prends du Viagra pour écrire. Voilà, c’est dit, faites maintenant ce que bon vous semble… Mais si vous jugez du coup que je n’en suis plus digne, que j’ai triché, laissez-moi vous répondre que je ne suis pas le premier à user d’un peu de stratégie afin d’obtenir un prix prestigieux. Comme je tiens toutes ces distinctions pour des mascarades, je ne suis pas fâché de participer cette année à la vôtre qui a le mérite de se revendiquer comme telle. Vos visages porteurs de postiches sont les plus francs et les plus candides du système.

· Pensons marketing. Lors de la parution d’Atala, les groupies de Chateaubriand s’arrachaient de petites poupées à l’effigie de leur héroïne. Selon vous, quels « goodies » correspondraient le mieux à Dino Egger ?

Les poupées de Dino Egger sont "made in India"

Mais l’écart entre vos deux mains fébriles et impuissantes qui aspirent à combler ce vide avec l’objet de leur désir, voilà Dino Egger. Tout homme du matin au soir contemple désespérément cette poupée évanescente ; je suis bien d’accord avec vous, je devrais toucher des royalties sur chacune ; hélas, le marketing n’est pas mon fort et je n’y gagne rien.

· Dino Egger a-t-il inventé la moustache ?

D’une certaine façon, puisqu’il est l’inventeur de la moutarde qui monte au nez (en quoi faisant cette mousse tache).

· En quels termes êtes-vous avec les narrateurs de vos romans ? On a parfois le sentiment que vous prenez plaisir à leur faire du mal, à les empêcher de narrer en rond.

Ils sont en effet très exactement des souffre-douleur. Et mes lecteurs n’ont pas trop intérêt à s’en plaindre, car je pourrais aussi bien me retourner contre eux. À bon entendeur…

· Quelle est la relation de votre écriture aux poils, crins et pinceaux ?

Je coupe peu. J’aime quand ça prolifère, quand ça frise.

· Vous semblez avoir un rapport ambigu à la reconnaissance, à la célébrité, voire à la gloire : vous paraissez à la fois y aspirer et tourner cette aspiration en dérision (sur votre blog, ou encore en écrivant sur des génies… qui n’existent pas). Comment répondriez-vous à cette question qui n’en est pas une ? Un écrivain doit-il assumer sa prétention ?

Vous rendez-vous compte qu’en me décernant le prix Virilo, vous réduisez à néant mes chances d’obtenir un jour le Femina, ce qui a aussitôt constitué mon objectif premier lorsque je me suis lancé dans la carrière des Lettres, dès l’âge de 8 ans, en somme, je n’ai pensé qu’à cela. Vous ruinez toutes mes espérances ! Il est plus probable à présent que je sois un jour élu Miss France que lauréat du Femina. Alors, la gloire, dès lors, quelle gloire ? Vous pensez si je m’en fous !

· Dans une interview accordée à Libération, vous avez cette formule audacieuse : « et pourquoi pas un poster de Mats Wilander ? » Et pourquoi pas plutôt un poster de Roger Federer ? Mieux que Wilander, Federer n’incarne-t-il pas la victoire de la beauté ?

J’évoquais, je crois, mon adolescence. Quand Mats Wilander (qui doit avoir mon âge) triomphait, Federer était à peine né. Or voyez ce qu’il en est aujourd’hui : Federer est vieux, à deux doigts de la retraite, une sorte de has been déjà, il arrive même que certains joueurs français le battent, tandis que je suis encore un jeune écrivain plein d’allant. Il décline, je m’envole. À ce train-là, dans deux ans, je mets 6-0 6-0 à ce cacochyme.

· Pierre Jourde se flattait sur notre blog d’être un amateur d’un des plats les plus virils qui soient : les testicules de sanglier. Qu’en dites-vous ?

Pierre Jourde est la délicatesse même, il se donne des airs de brute mais c’est un raffiné. Et je suis certain que les testicules de sanglier accommodés par ses soins ont la saveur exquise des œufs de fée.

· Vous ne portez pas la moustache. C’est pourtant le cas de la plupart des grands écrivains (y compris Marguerite Yourcenar). Est-ce une forme discrète de protestation contre cet implacable lien de cause à effet ?

Nietzsche en fait, c'était la moustache

Je ne veux pas perdre ma sève dans ces vaines cultures. Flaubert aurait certainement pu achever Bouvard et Pécuchet s’il n’avait usé les deux tiers de son fluide vital à développer ces moustaches délirantes. Balzac ou Proust sont morts épuisés à 51 ans pour la même raison peut-être. Le labeur acharné nécessaire à leur œuvre immense a bon dos. Et Nietzsche, frappé d’abrutissement ? La moustache confisque votre force et votre énergie. Non seulement elle boit votre soupe mais je ne serais pas surpris d’apprendre qu’elle puise aussi dans votre sang. Elle l’éponge, elle le tarit. Très peu pour moi. J’ai une œuvre à écrire.

· Pour finir, quel est le mot que vous n’écrirez jamais ?

Nif, dans l’autre sens.

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Vous pouvez (devez) lire Eric Chevillard, dans le dernier Prix Virilo (Dino Egger, éditions de Minuit), tout comme sur son blog l’Autofictif,  ou encore le Monde des livres, le site du Théâtre du Rond Point … Bref, pour suivre son actu, c’est là.

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