Tag Archives: bisexualité

Limonov, d’Emmanuel Carrère

14 Oct

P.O.L.

Lu par Paul

Moustache molotov

N’allez pas vous imaginer qu’Emmanuel Carrère est le grand favori du Virilo sous prétexte que l’un de ses premiers romans s’intitule La Moustache.

L'auteur de "la Moustache" a encore frappé.

Au Virilo, nous sommes attachés à une certaine idée de l’impartialité, alimentée il est vrai par le fait que les éditions P.O.L. ne nous adressent plus de petite enveloppe depuis au moins trois ans. C’est donc en toute objectivité que nous avons ouvert Limonov. Et que nous ne l’avons plus refermé.

Edouard Limonov, c’est un poète-voyou, né en URSS durant la Seconde Guerre Mondiale. A tort ou à raison – Carrère lui-même en doute – il a, chevillée au corps, la conviction de posséder un destin hors du commun. Cette conviction le conduira de Moscou à New York, en passant par Paris et par les marges d’un empire soviétique en pleine dislocation.

Moustache russe, fig. 1

Si Limonov fut un temps une icône underground célébrée du Tout-Paris, Carrère n’occulte rien de son engagement politique rouge-brun, ni de sa passion pour toutes les formes d’action violente. Alors Limonov, héros ou salaud ? Militant ou délinquant ? C’est la question que se pose sans cesse l’auteur et rien dans la vie de Limonov ne semble y apporter de réponse claire.

Mais cet ouvrage est également l’occasion pour Emmanuel Carrère de nous faire partager sa passion pour la Russie, atavisme familial qu’il a pris soin d’enrichir d’innombrables lectures et expériences personnelles.

Un Forrest Gump un peu énervé

Car Edouard Limonov, au bout du compte, n’est jamais qu’un Forrest Gump de l’autre côté du Rideau de Fer. Le putsch de Moscou, en août 1991, l’illustre bien : Limonov, c’est celui qui quitte le Parlement russe juste avant que celui-ci ne soit assiégé, et qui assiste en spectateur à ce qu’il aurait rêvé de vivre en martyr. De manière paradoxale, la violence des épisodes historiques retracés – dont certains sont très récents – ferait presque passer les retours sur la vie de Limonov pour d’aimables divertissements.

Au MNBF, on aime pas trop la pilosité faciale

Bref, un ouvrage qui passionnera tous ceux qui s’intéressent à l’histoire du XXème siècle, mais qui décevra peut-être la cellule française du parti national-bolchevique.

Assommons les pauvres, de Shumona Sinha

3 Oct

Editions de l’Olivier

Lu par Gaël

Assommons le duvet

Ce petit livre autofictionnel raconte l’expérience de Shumona Sinha dans un organisme, jamais nommé mais que l’on sait être l’office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Elle y était traductrice, au contact donc de ses « concitoyens » parlant le bengali. L’écriture n’est en aucun cas descriptive ou sociologique : l’auteur en dit juste assez pour planter le décor et laisser se déployer l’analyse psychologique de sa confrontation avec cet organisme et ses « usagers », les demandeurs d’asile.

certes, mais ils se réveilleront

La description du rôle très paradoxal dans lequel se trouvent plongés les « officiers de protection », chargés de déterminer si les demandeurs d’asile sont bien fondés ou pas à bénéficier l’asile, et avec eux la traductrice, est très fine et adroite. Les officiers sont à la fois au service du droit d’asile et de la protection des personnes. Mais en même temps, l’Etat les a chargés d’écarter les demandeurs non fondés. Flics, ou humanitaires ? Les deux et le grand écart de conscience que cela leur occasionne est très bien décrit, jusque dans l’absence de solution possible.

Ce grand écart est redoublé par celui qui envahit la narratrice : indienne, bengalophone et vivant de cette compétence, elle a pourtant clairement choisi de vivre en France. Le livre est implicitement très critique de la notion de racine et porte une revendication universaliste très forte : la patrie, c’est là où on a choisi de vivre. L’environnement professionnel de la narratrice, les demandeurs d’asile auxquels elle a affaire, la plongent sans cesse dans des situations paradoxales : celle, par exemple, de contribuer à refuser à un homme le déracinement pour lequel elle a pourtant lutté. Elle les analyse en détail, de même que la pente délétère sur laquelle elles l’engagent.

Lecture publique théâtralisée par un juré

Là où le livre ne se suffit pas tout à fait, c’est qu’il double cette analyse au scalpel, et finalement très inconvenante, d’un style trop riche en métaphores ciselées. Le fonds de l’ouvrage est rude et aurait mérité une langue âpre, sans doute une analyse plus en profondeur de ce que ces situations peuvent signifier psychologiquement mais aussi politiquement. La grande froideur de la narratrice vis-à-vis des demandeurs (au point qu’elle en arrive à assommer celui du titre), qui est une des trouvailles du livre et une grande source de son intérêt, souffre de la préciosité de l’écriture. Autre préciosité superflue, l’auteur insiste longuement sur le cadre urbain de son travail, qu’elle trouve révulsant (alors qu’il n’est que banlieusard). Au final, tout cela fait passer l’absence de bons sentiments pour du cynisme, et la subtilité pour de l’affectation.

Je n’ai pas lu les autres ouvrages de Shumona Sinha mais il semble qu’elle se soit déjà largement dégagée d’une gangue d’écriture germano-pratine. Gageons qu’elle poursuive sur cette trajectoire et nous livre prochainement un grand portrait du déracinement, qui fasse aboutir les thèmes de Assommons les pauvres !

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