Lu par Bérénice
Il n’y avait pas d’homosexuels dans les camps, il n’y avait donc a fortiori pas d’homosexuel à Buchenwald. Mais alors, qu’était donc Klaus Hirschkuh, 4 ans à Buchenwald, qu’est-il donc de retour à Leipzig fin 1945, que sera-t-il donc en France, usé par l’Allemagne et ayant choisi un pays d’adoption, pendant 40 ans ?
Le sujet choisi par Daniel Arsand est lourd. Pourtant, et déjà c’est audacieux, il évite le roman de camp pour se concentrer sur le roman post-camp et, plus hardi encore, le roman de lutte post-camp triangle rose, Riboulesque pour ainsi dire.
Le roman n’est pas exempt de défauts, certains difficilement surmontables. Le style, disons-le, est une plaie. Haché, sec, tout ça un peu gratuitement, façon « mes souvenirs sont si rugueux que j’en saigne encore », pourquoi pas mais c’est ici assez artificiel. L’italique (dont l’année 2016 semble abuser pour traduire l’inconscient du narrateur, plus que la phrase d’avant et mieux que celle d’après qui ne traduiraient que la simple pensée) est omniprésente.
Finalement, dans tous ces replis de pensée, Daniel Arsand se perd tout de même en chemin, lors de brèves digressions dont l’intérêt n’apparaît pas. On y frôle même la niaiserie (dormir « comme un bébé, comme un ange »). Malgré cela, Arsand réussit à rendre éprouvant le concept de soupe et émouvant une succession d’étrons, de crottes et excréments divers.
C’est là que je me suis rendue à l’évidence : j’allais finir ce livre. Bien m’en a pris malgré les maladresses qui continuent. Le style sur-travaillé m’agace toujours autant, un bref passage sur la prononciation des mots ragondin et zibeline (Klaus devient, par la force des gens qui le couvent, tailleur) me fait irrésistiblement penser à Rabbi Jacob et ça ne pouvait plus mal tomber.
Pour Klaus, après un magistral trajet à pied, en train, d’expédients pour franchir la frontière, c’est le débit quotidien des jours qui s’égrènent. Quarante ans de vie en France, de désir pour des inconnus, puis pour Claude, puis pour Julien, le grand amour. Des années de honte et de cachette, de soustraction aux regards et de si peu d’appui, de calomnies et d’injustice, de combat toujours, combat post-survie en catimini puis forcé au grand jour. Le style se relâche, s’amplifie, sert l’histoire. Daniel Arsand rend hommage avec talent aux déportés pour homosexualité, aujourd’hui tous morts et dont si peu subsiste, témoignages effacés par le raz-de-marée homophobe que constituent nos sociétés.
C’était deux moustaches pour un roman trop bancal, ça en sera trois, pour une raison aussi dérisoire et importante que celle-ci : en lisant « je suis en vie et tu ne m’entends pas », j’ai pleuré.
Les poilus parlent aux poilus