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Ça raconte Sarah, de Pauline Delabroy-Allard

28 Sep

Lu par… Jean-Marc

Encore une chimio

 

 

 

 

Si un jour, les petits-enfants de Lagarde et Michard écrivent une histoire de la littérature des années 2000, ils devront s’intéresser de près à Ça raconte Sarah, roman illustrant très bien les impasses des écrivains aujourd’hui.

Il y a d’abord l’intrigue qui ne s’embarrasse pas de rebondissements : deux femmes se rencontrent, s’aiment, se séparent. Quelques quais de gare, une housse de couette, un quatuor à cordes font office de décors. Peu importe au fond mais ce cadre est celui d’un univers connu : l’entre-soi parisien. Et la possibilité d’un name-dropping moins fastidieux que celui d’un Delerm Père & Fils©, mais néanmoins assez prétentieux.

Il y a ensuite le style. Ici, il emporte résolument le lecteur dans la frénésie des corps, un désir incontrôlable, « elle veut faire l’amour tout le temps, absolument tout le temps », où les pages embaument les « draps froissés », rougissent de la vision d’un « corps nu dans le soleil des persiennes », et s’ornent de détails érotisés dans leur banalité : « Elle a les lèvres au goût wasabi, lorsque je l’embrasse en sortant d’un restaurant japonais » ; disent la frénésie du désir sans cesse renouvelé, compensant l’inévitable description technique par une forme de romantisme juvénile.
« Elle boit beaucoup. Elle fume, clope sur clope. Elle a une manière de me regarder dans les yeux quand elle fume qui me foudroie le corps de manière extrêmement douloureuse. J’ai mal tant j’ai envie d’elle., tant je brûle de la renverser sur un lit, de défaire le bouton de son pantalon et d’approcher ma bouche de ce qui m’émerveille. Elle pose une main sur ma nuque, quand je caresse son sexe avec ma langue, elle imprime un mouvement qui part de ses hanches et qui me donne le tournis, qui fait valdinguer tout le décor autour. »

Et le rythme enfin. La première partie de Ça raconte Sarah est haletante. D’un halètement qui est celui de la frénésie amoureuse. Phrases brèves, qui se suivent, s’accrochent, s’entrechoquent, se nourrissent, succession ininterrompue de formes brèves, peut-on mieux faire que sujet-verbe-complément pour désirer ou bien souffrir ? « Elle me téléphone au milieu de la nuit. Elle pleure toutes les larmes de son corps. Elle dit ça suffit. »

Et puis, enfin, vient l’enlisement. La seconde partie, où l’inspiration fait défaut, se raccroche à des subterfuges lacrymaux (la chimio, moins vulgaire que chez Reinhardt mais tout aussi factice), à une errance convenue, celle du voyage en Italie où, malgré la lumière, qui est plus jolie, et le climat, clément, le cœur subit des tourments stéréotypés. A Trieste, la narratrice a mal, mais elle revit, un peu. Et son Italie devient une carte postale. « Au milieu des façades de toutes les couleurs, la joie, pourtant, ne me quitte pas. Le soleil rebondit partout, traverse chaque ruelle, et la mer, la mer est toujours là, au bout des rues, à l’arrivée de tous les chemins, des sens uniques vers l’odeur d’iode. »

On la laisse là, buvant son latte au Caffé Specchi, oui, ce détail compte, en se disant qu’il y avait dans ce roman un embryon de réussite littéraire. Pour ne pas être déçu, peut-être fallait-il le lire à l’envers ?

Bon à savoir : De Trieste, on ne dira jamais assez que c’est le décor de l’admirable Conscience de Zeno, alternative idéale à ce premier roman de Pauline Delabroy-Allard.

La meilleure rupture ? La conventionnelle individuelle.

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