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Le prince à la petite tasse, d’Emilie de Turckheim

30 Oct
Lu par… Gaël

Nombril

 

 

 

Il ne s’agit pas d’un roman, non, pas même d’auto-fiction : un récit, du brut de brut, une tranche de vie découpée dans le béton de Paname. Car Reza est un réfugié afghan, en fuite depuis ses onze ans, qui a traversé toute l’Asie mineure, puis l’Europe, jusqu’en Norvège, qu’il a fuie la police aux trousses, jusqu’à Paris où il a obtenu le sésame : une carte de réfugiés. Il s’agit pour lui de reconstruire une vie digne de ce nom, après ces années d’errance et de peur.
Hahaha vous y avez cru ? Quelle bonne blague ! En fait il s’agit de la vie d’Émilie de Turckheim, qui a fait sa BA en accueillant pendant quelques mois Reza dans son appartement du 5ème arrondissement. Attention qu’on ne s’y méprenne pas : accueillir des réfugiés chez soi, c’est évidemment admirable. Monétiser l’expérience sous la forme d’un court récit pas trop foulant ni pénétrant, ça l’est évidemment beaucoup moins. Il faut dire qu’elle a un loyer de 2300 €/mois à payer (c’est lourdement souligné) et qu’écrivain, ma bonne dame, ça paye mal (tout aussi lourdement souligné. Ce livre est une sorte de Inception de l’indécence).

L’Assemblée du Goncourt fixant son budget annuel d’aide sociale

Donc Émilie, et sa famille formidable, accueillent Reza. Ah oui, Reza souhaite qu’on l’appelle Daniel, donc Emilie l’appelle ainsi quand elle lui parle. Mais quand elle parle de lui, elle écrit « Reza ». Un peu comme si elle déférait à une lubie d’enfant, mais qu’au fond elle ne le prenait pas au sérieux. Surtout, l’altérité est indépassable, même quand on accueille un migrant. Globalement, Émilie ne fait pas trop attention à qui est Daniel (donc), elle préfère projeter sur lui ses fantasmes de dame patronnesse. Quand elle lui fait visiter son quartier, la première chose qu’elle lui montre c’est la mosquée. Patatra : Daniel est protestant ! Quel hasard, Émilie aussi ! Elle aurait juste pu lui demander s’il avait envie d’aller à la mosquée avant de lui en parler mais, non. Et tout est comme ça : Daniel va être content de rencontrer des copains afghans aux cours de français langue étrangère (en fait, non : il se méfie des Afghans, dont il ne sait pas de quel côté ils étaient dans la sale guerre qui l’a chassé ; c’est comme quand vous présentez vos deux petits cousins âgés de huit ans, qui tous deux adooooorent la philatélie, en fait ils ne s’aiment pas ; ô, surprise !). Elle projette, n’a en définitive pas d’intérêt pour ce garçon dont on ne connaîtra que quelques clichés, qu’elle traite comme un enfant malgré ses 22 ans et ses expériences, et dont on comprend rapidement que Mme de Turckheim mère a en quelques jours passés avec lui appris beaucoup plus de choses… parce qu’elle a pris la peine de lui poser des questions au lieu de postuler un destin dramatique au-delà du dicible.
Bref, c’est très bête, et Émilie ne s’en cache pas. Elle préfère parler de sa famille formidable, son végétarianisme, ses enfants formidables, son ménage relâché (mais tellement cool !), son mari formidable, le cinéma à la maison, « qui est la vie même ». Au passage un petit making of de l’enlèvement des sabines, et puis des extraits de ses poésies dignes du CE2. Publier son journal un peu retravaillé, au motif qu’il y a eu en 2017 un événement un peu plus marquant que faire le marché à Maubert et aller écouter des concerts à Notre-Dame, voilà de quoi enfin rendre le métier d’écrivain un peu rentable ! On soupçonne d’ailleurs qu’elle a démarché quelques industriels pour du placement de produit, puisque sont cités in extenso (et souvent remerciés !) Facebook ou leboncoin.fr (qu’Émilie semble avoir découvert grâce à Daniel, les meubles de ses enfants elle les achète chez Habitat).

le prix Virilo se lance lui aussi dans le placement de produits. A suivre…

Deleuze, Sheila et moi, d’André Manoukian

20 Mar

Calmann-Lévy

Lu par Xavier P.

André Manoukian est-il Trop Virilo ? On n’en doute pas une seconde à voir la photo de couverture de son dernier « ouvrage », « Deleuze, Sheila et moi ». Torse velu inutilement déployé, chevelure de feu (il ne manque vous l’aurez compris, que la moustache…) le juré de la Nouvelle Star tient un tableau à l’envers et planque une bouteille de Jack Daniels. Trop Virilo, ce titre qui convie Deleuze et Sheila à l’analyse de ses plus belles perles cathodiques, ces petites phrases gratuites lancées au cours des castings ou des primes de Baltard.

L’auteur des phrases cultes « ça sent trop le savon et pas assez la foufoune » ou « J’ai un faible pour les chanteuses avec des grosses couilles alors je vais dire oui » s’emploie alors que le télé crochet d’M6 rempile pour une énième saison à commenter, annoter ses saillies.

On se plait à redécouvrir sous sa plume quelques-uns des mots contenus dans l’abécédaire de Deleuze que Dédé Manoukian a semble-t-il appris par cœur. Il s’en explique, et livre son propre bréviaire, plus ou moins intéressant.

Mais le plus drôle, pour tout mélomane qui se respecte, est le dictionnaire des noms propres de la philosophie dont Manoukian livre une biographie associée à un artiste contemporain. On apprend que, Lao Tseu peut aider à comprendre Charles Aznavour, ou encore Diogène le Cynique, les Sex Pistols (fils de banquier qui aida son père à falsifier de la monnaie, et s’attacha toute sa vie à renverser les valeurs de son monde), ou encore Saint-Augustin pour Madonna (pêcheur repenti qui découvre la foi). Le plus drôle pour la fin : Pascal pour Jean-Jacques Goldman (un bon parolier qui touche la ménagère) et Tocqueville pour Joe Dassin (un libéral qui aime l’Amérique !)

Qu’il agace ou qu’il amuse, celui qui, en préambule autobiographique, indique avoir renoncé, apprenti pianiste de la famille, à Beethoven pour Sheila (« j’avais choisi mon camp, je jouerais pour les femmes »), ne rend pas indifférend le Prix Virilo.

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