Lu par… Anne

Intelligence et grâce
Camarade Papa, c’est le papa du petit social-narrateur d’une deux parties du roman bi-goût de Gauz. Parfum d’enfance d’un enfant noir en Hollande que l’on « renvoie » en Afrique, la tête farcie d’idéologie marxiste ; parfum d’exotisme sur les traces du jeune Dabilly qui part chercher l’aventure sur le même continent, alors enjeu de toutes les convoitises occidentales.
Les deux parcours, aux tonalités très différentes, sont vus comme un ressac, l’apport d’un flux dans un sens puis dans un autre, courant chargé de limon qu’il dépose d’une rive à l’autre.
D’un côté, le jeune Dabilly quitte donc son Indre et Loir natal à la fin du 19e siècle, aux décès de ses parents, mu par l’envie d’ailleurs et une sincère curiosité. Il arrive dans ce qui deviendra la Côte d’Ivoire où règne un bon gros bordel. Très vite, on lui signifie que « tout est à inventer, à commencer par nous-mêmes » et c’est indubitablement ce que Dabilly est venu chercher ici. Empreint d’une droiture candide, il navigue entre les différents colons, pas tous bêtes et méchants mais toujours assurés du bien-fondé de leur absurde entreprise. Assez vite, ce sont les autochtones qui retiennent l’attention de Dabilly, qui les observe de manière méticuleuse et bienveillante. Il apprend leur langue, s’épanouit à leur contact et s’éprend d’Adjo « Salgass » (pour « Sale garce », comme l’appellent les Blancs à qui elle se refuse), hiératique princesse Krinjabo qui jette sur lui son dévolu.
La partie de Dabilly est racontée avec un humanisme élégant dans une langue dont le classicisme sobre et travaillé évoque un peu les écrits anthropologiques d’un Théodore Monod.
Le ton de la partie du petit Communiste dont on ne connaît pas le nom est très différent, tout en humour et tendresse. Il faut dire que le petit, biberonné au discours marxiste-léniniste, l’a assimilé sans toujours bien le comprendre. Sa langue maternelle est donc un joyeux mélange de français, d’africanismes et de verbatim communiste, le tout approximativement digéré, donnant naissance à un style revigorant et inventif: « je suis né là. Je connais toutes les vitrines à bisous [les sex-shops] et elles me connaissent toutes. Lors des sorties de la classe populaire, je bonjoure toute la rue. Marko-le-jaloux me chuchote « Klootzak ! » Réaction: tirage automatique de cheveux et lutte de classe. On finit en lacets par terre. Les autres enfants de la classe populaire crient et rient, les maîtresses se follent […]. Marko se trompe : Maman ne vend pas des bisous. Maman est seulement une putain de socialiste, dit Camarade Papa. »
Et c’est ce petit garçon foncièrement multiculturel que l’on envoie en Afrique, dans un pays qui n’est pas le sien, pour renouer avec des origines avec lesquelles il n’a pas grand lien.
Sans vanter « le temps béni des colonies », Camarade Papa est donc un roman qui clame les vertus de l’échange (et non de l’échangisme, ne pas confondre) d’une subtilité dont beaucoup devrait s’inspirer, d’une érudition qui éveille la curiosité, et d’une inventivité langagière réjouissante.
Les poilus parlent aux poilus