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Je suis en vie et tu ne m’entends pas, de Daniel Arsand

9 Oct

Lu par Bérénice

 

Moustache humide

Moustache humide

 

 

 

 

Il n’y avait pas d’homosexuels dans les camps, il n’y avait donc a fortiori pas d’homosexuel à Buchenwald. Mais alors, qu’était donc Klaus Hirschkuh, 4 ans à Buchenwald, qu’est-il donc de retour à Leipzig fin 1945, que sera-t-il donc en France, usé par l’Allemagne et ayant choisi un pays d’adoption, pendant 40 ans ?

Rien à voir

Rien à voir

Le sujet choisi par Daniel Arsand est lourd. Pourtant, et déjà c’est audacieux, il évite le roman de camp pour se concentrer sur le roman post-camp et, plus hardi encore, le roman de lutte post-camp triangle rose, Riboulesque pour ainsi dire.

Le roman n’est pas exempt de défauts, certains difficilement surmontables. Le style, disons-le, est une plaie.  Haché, sec, tout ça un peu gratuitement, façon « mes souvenirs sont si rugueux que j’en saigne encore », pourquoi pas mais c’est ici assez artificiel. L’italique (dont l’année 2016 semble abuser pour traduire l’inconscient du narrateur, plus que la phrase d’avant et mieux que celle d’après qui ne traduiraient que la simple pensée) est omniprésente.

 

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Finalement, dans tous ces replis de pensée, Daniel Arsand se perd tout de même en chemin, lors de brèves digressions dont l’intérêt n’apparaît pas. On y frôle même la niaiserie (dormir « comme un bébé, comme un ange »). Malgré cela, Arsand réussit à rendre éprouvant le concept de soupe et émouvant une succession d’étrons, de crottes et excréments divers.

C’est là que je me suis rendue à l’évidence : j’allais finir ce livre. Bien m’en a pris malgré les maladresses qui continuent. Le style sur-travaillé m’agace toujours autant, un bref passage sur la prononciation des mots ragondin et zibeline (Klaus devient, par la force des gens qui le couvent, tailleur) me fait irrésistiblement penser à Rabbi Jacob et ça ne pouvait plus mal tomber.

Pour Klaus, après un magistral trajet à pied, en train, d’expédients pour franchir la frontière, c’est le débit quotidien des jours qui s’égrènent. Quarante ans de vie en France, de désir pour des inconnus, puis pour Claude, puis pour Julien, le grand amour. Des années de honte et de cachette, de soustraction aux regards et de si peu d’appui, de calomnies et d’injustice, de combat toujours, combat post-survie en catimini puis forcé au grand jour. Le style se relâche, s’amplifie, sert l’histoire. Daniel Arsand rend hommage avec talent aux déportés pour  homosexualité, aujourd’hui tous morts et dont si peu subsiste, témoignages effacés par le raz-de-marée homophobe que constituent nos sociétés.

C’était deux moustaches pour un roman trop bancal, ça en sera trois, pour une raison aussi dérisoire et importante que celle-ci : en lisant « je suis en vie et tu ne m’entends pas », j’ai pleuré.

 

Un certain mois d’avril à Adana, de Daniel Arsand

4 Oct

Flammarion

Lu par Anne

Moustache virilo-turque

Un certain sens du titre à rallonge


Avril, 1909 en Cilicie (pour ceux qui dormaient pendant les cours d’histoire de Mme Martin, ça se trouve en Turquie). Vahan Papazian retourne à Adana, la ville qui l’a vu grandir, orphelin recueilli par son oncle. On comprend très vite que Vahan fuit l’homme qui a juré sa mort, jadis son ami. Ce n’est pourtant pas le repos et la tranquillité que Vahan va trouver dans cette ville où depuis des siècles les Turcs musulmans et les Arméniens chrétiens cohabitent bon an mal an. Une malheureuse histoire d’amour entre un Turc et une Arménienne déclenche la colère aveugle de la communauté turque qui entreprend de massacrer, torturer, violer systématiquement tous les arméniens de la ville.

Dans la vallée d’Adana

Du potentat local au poète arménien, les prémices du génocide sont évoqués à travers une multitude de personnages forts, bouleversants, vivants. Grâce à l’écriture magnifiquement ciselée, lyrique et raffinée de Daniel Arsand, l’on perçoit non pas tant les motifs de cette haine destructrice que l’amour et l’espoir qui subsistent au coeur de l’inconcevable. Les causes du massacre, on les comprend bien vite. Tout autant que la haine irrationnelle qui anime les Turcs, haine que la littérature cherche à appréhender depuis longtemps, c’est l’espoir qui nous tient en alerte aux côtés des protagonistes et nous touche dans notre humanité.

Loin de chercher à faire pleurer gratuitement dans les chaumières, ce roman captivant est avant tout une élégie à la gloire de ceux qui vécurent à Adana.

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