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Les eaux amères, d’Armel Job

20 Oct

Editions Robert Laffont

Lu par François H-L…

Moustache fournie

Moustache amère

Que d’amertume à avaler cette année, et il y a à boire et à manger en plus ! Après l’excellent Pain Amer de Marie-Odile Ascher, et avant Les amandes amères de Laurence Cossé, voici Les eaux amères du Belge Armel Job qui nous emmène dans la Belgique francophone de la fin des années soixante (ce qui est en soi assez dépaysant) chez Abraham Steinberg, un quincailler rescapé dela Shoah qui une fois l’an, le quatre août pour être précis, est submergé par le souvenir de la journée maudite où sa famille a été déportée.

Une sorte de tonic sans bulle

L’homme a pourtant tout pour être heureux, une affaire florissante, deux grandes filles aimantes et équilibrées, et puis il y a Esther, l’épouse ravissante et attentionnée… Pourtant chaque année c’est la même chose, c’est trop dur. Cette année 1968 plus que les autres sans doute… Sans doute à cause de ce soupçon insupportable : et si Esther le trompait ? Pour le savoir, Abraham ira voir un rabbin, lui qui ne croit plus en Dieu, qui lui conseillera de faire boire à sa femme ces eaux amères, sorte de révélateur de la trahison.

Eau à moustache

N’en racontons pas plus sur ce roman qui se lit avec beaucoup de bonheur. L’ouvrage est délicat, attachant et particulièrement réussi tant pour sa construction que pour son propos, on est en particulier épaté par la manière dont l’auteur arrive à décrire l’atmosphère d’une petite ville belge des années soixante. Les sentiments qu’éprouvent Abraham sont par ailleurs décrit avec beaucoup de pertinence : la colère, la passion, le désespoir d’Abraham, nous les vivons avec lui. Tout est incroyablement juste dans ce roman alors buvez-les sans hésiter, ces eaux amères.

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… mais aussi lu par Paul

Amère glabréité

Comme Esther Steinberg, j’ai pour ma part eu bien de la peine à boire ces Eaux amères.

Armel Job nous fournit tous les détails d’une vie bien rangée dans un village belge des années soixante, qui soudain se dérègle. Mais à l’image du bonheur matrimonial dont il trace les limites, le rythme de ce récit est peut-être trop bien réglé.

Une comparaison délicate et engageante

Certains passages – malheureusement trop fréquents – m’ont donné l’impression de digérer une plâtrée de chicons au gratin : une lutte intestine entre l’amertume de l’endive et la lourdeur de la béchamel.

« Elle avait l’habitude, étendue, de ramener le talon de la jambe gauche à la hauteur du genou droit ou inversement. Cette position faisait saillir à la naissance de sa cuisse un tendon tiré comme la corde d’un arc. Et cette corde était bien capable de lancer des traits cruels dans le cœur des galopins de mon âge qui passaient devant la haie de charmes et ne pouvaient s’empêcher de glisser une œillade par la claire-voie à l’extrémité du jardin » (page 22).

Contrairement à François, j’ai donc eu du mal à me passionner pour ce récit qui s’empêtre dans les détails matériels (dont l’interminable description de l’organisation d’un comité de quartier dans lequel siège le héros) et se détourne de la complexité de ses propres personnages. C’est dommage, car la pondération inverse aurait donné un résultat très plaisant.

 Selon la tradition en vigueur au Virilo, les jurés devront désormais choisir leur camp pour cet ouvrage et s’affronter à grands coups d’intentionnalité littéraire dans la gueule.

Jurés discutant des "Eaux amères" devant la Closerie des Lilas (octobre 2011)

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