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Un élément perturbateur, d’Olivier Chantraine

10 Oct

Lu par…Charlotte

Panne de toner

 

 

 

Cette année, le jury du Virilo a décidé de se lancer dans des critiques courtes. Voilà qui exige de faire fi de ses agacements et sarcasmes, pas facile quand on a déboursé 20€ pour ajouter le dos d’un livre dans sa bibliothèque. Tentons.

Un élément perturbateur est le premier roman d’Olivier Chantraine, ancien cadre formé aux ateliers d’écriture de Philippe Djian à la NRF. Sur 278 pages (ce qui est beaucoup), Chantraine raconte l’histoire de Serge, un type de 43 ans qui vit avec sa sœur, a été pistonné par son ministre de frère pour bosser dans un cabinet de consulting et souffre par ailleurs d’hypocondrie.

L’intrigue est aussi croustillante que le personnage principal vend du rêve : Serge fait rater une affaire particulièrement stratégique à sa boîte – un dossier avec des Japonais, c’est dire s’il est important – or même protégé par son frère, l’affaire est tellement grave qu’il va devoir rattraper le coup. Pour l’aider dans cette tâche ardue, la présence de Laura ne sera pas de trop. Laura, c’est sa collègue aux dents longues et aux jambes infinies, ce qui ne gâche rien. L’éditeur annonce, c’est « une comédie enlevée au ton incisif, qui illustre le rapport totalement ambivalent de son héros à la réussite, à la famille, au couple, et à tous types de discours dominants. » Waouh, tout ça à la fois ?

Bon eh bien voilà, on y est. Il y a donc cette histoire avec les Japonais à démêler, parce qu’en fait – subtilité – il y a anguille sous roche, Serge ne fait pas tout foirer pour rien, peut-être même qu’il ne serait pas si looser que ça… D’ailleurs, Laura lui saute dessus sans ménagement dans le local de reprographie. Cette scène ayant provoqué pas mal d’émois au sein du jury, en voici un extrait :

10 000 photocopies de ce fichier, voilà pourquoi il faisait si chaud dans cette pièce.

 

« Cette photocopieuse dégage une chaleur infernale qui ne risque pas de calmer mon désir de faire l’amour avec elle sans attendre une seconde de plus. Miraculeusement, c’est exactement ce qui se passe, à son initiative. »

C’est tout de même une sacrée chance d’avoir été pistonné dans la seule boîte de l’hémisphère nord où la bombe-atomique- hyper-ambitieuse- et-un- peu-méchante-comme-dans- les-films en pince pour le looser officiel de l’étage. Enjoy, Serge (ce qu’il va faire dans un instant).

 

« De mon côté, je fais valser ses collants à ses pieds et arrache d’un coup sec sa petite culotte comme on écarte un dernier obstacle d’un revers de main. J’avais besoin de sentir sa peau sous mes doigts (….) Déjà ses mains se sont débarrassées de ma fermeture éclair pour se saisir de ma queue. »

Serge en train de calculer l’action du soir, parce qu’en plus de faire valser une petite culotte, il ferme la porte, la coince du pied avec un caisson et tripote les seins de Laura. Ça se prévoit au millimètre, on vous dit.

C’est beau comme le seul roman qui traîne dans un gîte de haute montagne un jour de tempête. Bien sûr, il y a d’autres personnages et épisodes : un entrepreneur passionné de bowling qui porte des santiags, deux boss mâles et officiellement hétéros qui se font surprendre en train de copuler dans les toilettes et le fameux frère ministre, qui trahit son parti pour prendre la course de la présidentielle parce que le président en place ne peut pas se représenter… Mais où diable Chantraine est-il allé chercher tout ça ?!

Un auteur consulté à propos du livre mais qui ne l’avait pas encore lu a dit : « Il paraît que c’est très Djian. » C’est sans doute plus sympa de dire ça que de continuer cette critique, une fois de plus trop longue.

« OH… », de Philippe Djian

11 Oct

Moustache surprise

Gallimard
Lu par Alys

Deus ex sodomie

Titre casse-gueule

Un drôle de titre, entre l’exclamation d’un enfant apercevant une merveille, et le son de celui qu’on dérange. Le « oh » de l’étonnement, de la curiosité. Connaissant le père Djian, le « oh » de l’orgasme, aussi, probablement. Si à premier abord le titre en dit peu sur le contenu du roman, il n’en symbolise pas moins un nouveau style d’écriture qu’étrenne ici Djian.
Le livre s’ouvre sur une scène étrange, une personne, qu’on imagine de sexe masculin tout comme son auteur, est allongé par terre dans son salon. Il/elle vient de subir une agression. La scène est posée, l’auteur ne nous en dit pas plus, en tout cas pas tout de suite. Alors, on fait ses suppositions, on se trompe, on change d’avis, et l’auteur s’amuse à nous perdre, à nous retrouver pour mieux renforcer les mystères qui jalonnent son histoire. Grâce à une écriture très maîtrisée, l’auteur distribue des clés, quelques mots disposés ça et là comme des indices.

On doute que cela fonctionne pendant les premières pages, surtout parce que le narrateur se trouve être une narratrice, contrairement à l’habitude de l’auteur. Comment Philippe Djian, spécialiste unanimement reconnu des ambiances « bières chaudes et moiteur de l’entrejambe », va-t-il réussir à pénétrer la psyché féminine ? La solution s’impose au lecteur à la 3e page. Par un viol, tout simplement. Avec sodomie.

Pas d’érection pointant sous le jean brut

La violence est très présente : une violence sourde, permanente. Dans les relations que l’héroïne entretient avec ses proches, dans les mots. On ne comprend pas bien cette violence, d’ailleurs. Elle est insupportable avec son fils, son ex-mari, sa mère. Et puis petit à petit, Philippe Djian nous explique.

Spoiler, le violeur est tatoué

On est un peu frustré de ne pas retrouver tout d’abord ce qui fait le charme des romans de P.Djian : l’érection qui pointe sous le jean brut, les filles qui ne portent pas de sous-vêtements, le lieu toujours indéterminé (qu’on imagine en Californie ou au Texas), les pratiques sexuelles étranges (comme la danse de l’œuf, qui consiste pour une acrobate à s’insérer un œuf dans le vagin au moyen d’un grand écart).

Ici, on est en banlieue, la banlieue chic des pavillons, et c’est l’hiver, donc il faudra repasser pour la moiteur. On se dit qu’il a vieilli, qu’il s’est embourgeoisé et qu’il ne baise plus. Erreur. Philippe Djian est bien là, plus subtil peut-être, mais tant mieux, son héroïne n’en est que plus crédible. Quelques interventions valent d’être soulignées : quand l’agresseur envoie à l’héroïne un texto pour le moins clair : « Je t’ai trouvé très étroite, pour une femme de ton âge. Mais bon« . Ou quand ladite héroïne, surprise par une visite de son amant sur son lieu de travail, raconte : « Il ouvre sa braguette et me dit que je peux le caresser. « Dans ce cas, mets-toi au dessus de la corbeille » dis-je « .

On regrette de lui enlever une moustache, mais on lui reproche une ligne, la dernière. Dommage d’avoir voulu terminer en justifiant le titre, c’était loin d’être nécessaire, bien au contraire. En résumé, Philippe Djian signe ici un beau roman, sensible et féminin, mais réalise aussi une petite performance : nous convaincre que les femmes aiment parfois se faire brutaliser. A défaut donc de candidater pour le Prix Trop Virilo, voici un quatre moustaches.

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Toupet ah?

Lu par Philippe

Mon premier Djian. Avec un titre qui fait très « je lis du Djian dans le métro, moi ». Je suis bien content.

« Je saigne un peu… »

C’est agréable à lire… L’écriture est maîtrisée, la narratrice a une voix crédible, ce qui constitue un vrai tour de force… Je fus surpris également par la pudeur face aux scènes décrites. Exemple : Viol avec sodomie donc, et bien « Je saigne un peu mais ça va« . Djian ne s’éternise pas avec des lunettes d’entomologistes comme d’autres passent trois pages sur une fellation au jambon (n’est-ce pas madame Angot). Cette retenue est au cœur du livre. Cette retenue, c’est l’héroïne, véritable bloc de pierre lézardé mais vaillant puis jouant avec ses failles. Une héroïne franchement sympathique, qui nous pousse à nous penser un peu plus libre. L’histoire est extrêmement casse-gueule et Djian donne à voir avec une une sensibilité psychologique et une économie d’esbroufe rare.

Je saigne too much ?

Mais j’ai fini par être un peu agacé par le côté too much. La bio de l’héroïne, too much, quand tu la résumes ça en devient risible. Les twists de scénario, carrément too much, je ne parle pas de la fin tellement c’est LOL. Les relations sexuelles, les petits-enfants, même les dîners familiaux sont too much… Djian a dû s’amuser comme un fou, mais cela sape en partie la projection du lecteur. Ce n’était pas la peine de faire un scénario aussi dopé. Ce n’est pas un problème pour un roman de gare, mais cela ramène cette histoire à une anecdote trop bien écrite dont on reste le spectateur amusé. Un livre pulp, agréable, qui montre des gens se vautrer en tentant d’être libres.

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