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La vraie vie, d’Adeline Dieudonné

24 Sep

Lu par… Jean-Marc

Dont une arrachée à Zaroff

 

 

 

 

Le juré, estomaqué

 

 

Premier roman d’Adeline Dieudonné, La Vraie Vie est bien plus intéressant que nombre de livres insipides dus à des plumes pourtant chevronnées. Mais le texte ne vaut pas que par cette seule comparaison : il est fort bien construit, ses personnages existent, le décor est planté, certes curieusement mais il est là, et le rythme assez haletant pour entraîner le lecteur d’un récit d’enfance un peu ronronnant vers un huis clos familial atroce. La romancière choisit astucieusement la voix d’une petite fille, partant vers l’adolescence, avec ce que cela peut avoir de naïveté, de facilité aussi, de maladresses, dont on ne sait si elles sont volontaires…

(« Elle m’a vue et m’a accueillie avec sa voix qui sentait le grand large », perso, j’ai bien senti le varech incrusté dans les molaires du fond)

… d’images un peu lourdingues..

(« Ma mère avait le regard d’une vache à qui on aurait expliqué le principe d’indétermination de Heisenberg », oui ça ressemble à une vanne à la mode, mais la petite fille en question est aussi douée en physique qu’en jugements expéditifs)

… ou de je ramène ma science sans que ce soit très nécessaire…

(« J’ai réalisé que les studios Disney s’étaient largement inspirés d’Hamlet pour écrire le scénario [du Roi Lion]. Le spectre du père qui parle à son fils : « N’oublie pas qui tu es », le frère du roi qui l’assassine pour monter sur son trône, le héros exilé, l’image du crâne omniprésente dans le dessin animé, la référence à la folie, incarnée par le singe. C’est juste que Horacio était devenu un phacochère flatulent. » – bon, ok, j’y avais jamais pensé mais il vrai que je n’ai jamais vu ce dessin animé autrement que par bribes, disant à mes enfants qu’il était « l’heure d’aller se coucher, de toutes façons vous l’avez déjà vu cent fois », si j’avais su…)

Mais il s’opère ici un crescendo insensible où l’enfance heureuse, autant qu’elle peut l’être en tout cas, où les raclées administrées par « papa » à « maman » font partie immuable du décor, vire au cauchemar, que l’on qualifiera de destin si l’on est littéraire, de déterminisme social si l’on est sociologue. Le petit frère, Gilles, Drieu me préserve, au sourire si gentil, l’adorable Gilles prend de l’âge, franchit les dix ans, devient à son tour contaminé par la violence paternelle. Son père a tué un éléphant, il commence à torturer les chats du voisinage. Il faut rendre justice à Adeline Dieudonné d’oser tuer des chats dans son texte. Un autre Belge, Brel, l’avait fait mais c’était avant que le chaton devienne la gloire divine d’Internet.

Et, puisque les seins lui poussent, l’héroïne commence à éprouver autant de désir pour un voisin tatoué (berk, pourtant) chez qui elle fait du baby-sitting (elle passera à la casserole, c’est écrit, un tatoué n’est jamais propre), que de crainte à l’égard de son père. S’y ajoute son don pour les sciences. Une intello dans un biotope bourdieusien, ça finit toujours mal (les œuvres complètes in progress d’Edouard Louis en sont la preuve), et elle est, pour son plus grand malheur, une « intello. »

« Je sentais bien qu’il ne fallait pas trop rappeler à on père que j’aimais les sciences. Ce que j’avais vu de sa réaction de la veille me disait que j’avançais sur un terrain dangereux. Son goût pour l’anéantissement allait m’obliger à me construire en silence, sur la pointe des pieds. »

Il y a dans ce roman quelques instantanés de vie crue, telles ces quelques lignes, sans fioritures, où la mère, pour la première fois, soigne les plaies de sa fille.

« Comme elle avait l’habitude de soigner les animaux, elle avait les bons gestes (…). Elle connaissait cette douleur-là. Ses larmes ont coulé. Elle m’a tendu un comprimé et un verre d’eau et elle a dit : « Ca va te soulager un peu. » Sa voix s’est étranglée. »

L’univers d’enfant a explosé depuis bien longtemps, à grands renforts de violence domestique, d’un sanguinolent fait divers, d’une atroce Chasse du Comte (Papa) Zaroff et le monde des adultes s’est imposé. Trop tôt.

On a envie qu’Adeline Dieudonné écrive un second roman, aussi bien construit, débarrassé de quelques facilités. Mais on a très peur qu’elle rejoigne la cohorte des ratés de chaque rentrée littéraire, en essayant de se reproduire (Adeline, si tu nous lis : fais un autre roman qui n’aura rien à voir avec le premier). Raison de plus pour savourer cette Vraie Vie maintenant.

Minou, minou…

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