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Là-bas, août est un mois d’automne, de Bruno Pellegrino

10 Sep

Lu par… Bérénice

brassée de fleurs du Haut-Jorat

 

 

 

 

Je ne connaissais pas Gustave Roud, poète suisse aux doigts vêtus de fleurs, aux yeux balayant les alpages et la sueur sur le corps des hommes due aux mouvements de la faux.

Bruno Pellegrino raconte les dix dernières années de ce vieil homme qui, toute sa vie, a vécu avec sa sœur Madeleine dans la maison familiale, habitée par les meubles des ancêtres, où la page de garde de la Bible transmise de génération en génération ne constate plus de naissance et ne retrace que des décès. Le jardin féérique vit, lui aussi, grâce et par Gustave. Ce sont les neuf dernières années de la vie de Madeleine.

Sommité littéraire en dehors des frontières de sa campagne vaudoise, c’est un poète qui n’écrit plus, qui se disperse, qui contemple ses fleurs, balaye les congères et regarde encore un peu les hommes, encore un petit peu jusque ce que, comme lui, ils meurent.

Homosexuel, chose reconnue (il prend des milliers de photos de jeunes hommes torse nu ; il est vu bras-dessus, bras-dessous avec un autre célibataire) mais jamais abordée (uniquement dans son dos, dans les murmures veules de la file chez la boulangère et dans le regard des autres au café du village), on comprend de ce que Pellegrino écrit qu’il ne s’est jamais (n’a pas pu ?) laissé vivre ses amours. Heureusement, Madeleine veille, « faisant peser la présence de son corps, le laissant diffuser juste ce qu’il faut de silence pour tenir à distance les mots qui ne savent pas de quoi ils parlent ».

Alors, il marche, il photographie, et il essaye d’écrire, vite distrait par les capillaires et les pulmonaires, le souvenir des trembles de Virginie, le bois-gentil, les ancolies, les esparcettes et le sainfoin. Madeleine et lui partagent des repas, quelques espaces communs, une complicité sans parole et le souvenir des tantes mortes dans cette maison, dans leurs chambres, dans leurs lits. Madeleine adore la science mais les correspondances de Gustave ne mentionneront que ses talents de cuisinière, une tarte au vin cuit et un mélange pour nourrir les abeilles.

Gustave, vieux monsieur, se plie à l’exigence d’un tournage : un film sur lui, le célèbre poète. On l’y voit marcher, et se verser du thé. Pellegrino suggère quelques notes de Schubert. Ich komme vom Gebirge her, Es dampft das Tal, es braust das Meer. Pas un mot d’André, pas un mot de Louis.

Et Madeleine, mon héroïne, nettoie le poêle et recherche des coupures scientifiques. Elle fume la pipe et attrape, rarement, un fou-rire. Quelle élégance que ces deux vieux talentueux. On voudrait bien qu’ils soient nos grands-parents.

L’ensemble est très beau mais pèche par le choix du sujet : dix ans d’un poète en crise de la page blanche, voilà qui manque un peu de tension. Madeleine meurt, l’urgence à écrire encore un peu renaît, et puis c’est la fin. Tout meurt, y compris les maisons, dans le Haut-Jorat. C’est une mélancolie un peu lasse, un peu longuette, qui fait malgré tout de l’ensemble un très joli livre.

Gustave Roud, à qui il manque une moustache.

 

Hiver à Sokcho, d’Elisa Shua Dusapin

8 Oct
Lu par Gaël
critique3

Bouc naissant

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J’avais acheté ce roman au hasard, attiré par sa très graphique couverture, les 24 ans de son auteure, sa quatrième de couverture qui promettait un Emploi du temps mâtiné de Lost in Translation.
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Du bleu, du blanc, du rouge, dusapin

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De fait, ce court récit d’une rencontre avortée entre un auteur de BD normand à la recherche de l’inspiration, et une jeune coréenne née d’un père français et inconnu m’en a donné pour mon argent. Le personnage principal (comme chez Butor, selon moi), c’est le décor choisi : Sokcho, dernière ville d’importance avant la frontière avec la Corée du nord sur la côte de la mer du Japon.
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Un port de pêche industriel, devenu bout du monde par la passion des tracés frontaliers, noyé dans les brumes et la torpeur et où tentent de surnager quelques traditions coréennes (le livre fait notamment la part belle à d’épiques descriptions de la rustique nourriture locale). Un lieu fait pour l’exil, des deux personnages principaux mais également d’une galerie de personnages secondaires, notamment les clients de la pension où travaille l’héroïne et où aurait pu se produire la rencontre.
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kpopvirilo

Le savais-tu ? Les plus grandes stars de la K-pop ne manquent jamais la soirée de remise du Virilo

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Indubitablement, l’atmosphère est fortement rendue, de même que les tensions qui agitent l’héroïne déchirée entre une mère trop présente mais qui a abdiqué, une France inconnue au fumet d’Oedipe et une vie impossible à Séoul, trop loin, trop chère. Sokcho est une sorte de point d’équilibre du rien, patrie sans joie mais sans danger. Il y a des promesses dans ce roman, qui s’englue un peu dans trop de couches de mélasse : l’écriture est à l’image du décor qui imbibe lui-même les personnages. Rapidement, écriture blanche, ville post-industrielle en déclin et apories des contacts humains forment un cocktail d’où on a hâte de s’extraire, non pas parce que c’est mauvais mais parce que le manque d’espoir finit par y raréfier l’oxygène.

Une auteure à suivre, donc, dont on espère qu’elle retrouvera un peu de goût à la vie.

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