Tag Archives: Emmanuelle Pirotte

Taqawan, de Eric Plamondon

4 Oct

Lu par… Gaël

3 moustaches (de siluriforme)

 

 

 

Après Un mal terrible se prépare et Loup et les hommes (Prix Virilo des maternelles (& crèches) 2018), la saison québécoise 2018 se poursuit avec Taqawan.

Ce roman, qui semble connaître un certain succès pour un éditeur canadien et discret mais porté par un bon bouche à oreilles, décrit des événements en marge d’un des grands conflits entre le gouvernement québécois et les Amérindiens vivant dans les réserves qui ont eu lieu dans les années 1980. Le 11 juin 1981, trois cents policiers québecois débarquent sur la réserve de Restigouche pour s’emparer des filets des Indiens mi’gmaq (les « Micmacs » de la propagande coloniale), en délicatesse avec la réglementation sur la pêche, elle-même en délicatesse avec le mode de vie traditionnel de ces Autochtones, qu’ils tentent de préserver.

« Un roman noir, un récit historique, un livre de contes, un pamphlet politique », dit le site de l’éditeur, à quoi on pourrait ajouter : un traité sur le cycle reproductif des saumons, une collection d’anecdotes sur la vie passée et présente des Autochtones du Québec, une évocation semi-nostalgique du Québec enfui des années 1980 (il se trouve que ces journées ont également révélé au monde ébahi la jeune Céline Dion), un récit initiatique de sortie de l’adolescence. Au moins. Et ça finit par devenir un handicap plutôt qu’un atout, en tout cas dans un petit livre d’environ 200 pages. Aucune des facettes n’est vraiment explorée à fond, même si chacune d’elle est sympathique et plutôt bien menée (oui on peut bien mener une facette ; il n’y a pas de raison que seuls les auteurs publiés puissent se permettre des métaphores hasardeuses). Autre revers de la même médaille, on a parfois l’impression que l’auteur a voulu caser l’ensemble de son travail de documentation et le lien avec l’intrigue ou le propos devient parfois ténu ou extrait au forceps (même si on apprend plein de choses sur les mythes et traditions des Mi’gmaqs, ou sur la fraie du saumon) (extraire un lien au forceps, pas de problème !).

Si Taqawan vous a plu, ou vous a agacé par son manque de cohérence, je vous recommande sur un sujet très proche (et écrit par un homme qui est partie prenante des luttes amérindiennes depuis trente ans) La femme tombée du ciel de Thomas King, très bien traduit chez Philippe Rey, beaucoup plus marquant et avec une très jolie photo de couverture.

Vous apprendrez, entre autres, que la pêche au saumon a été introduite au Canada par les officiers de George III

Loup et les hommes, d’Emmanuelle Pirotte

23 Sep

Lu par… Cerf Majestueux (Gaël)

critique3

Tatouées, maquillées et huilées

Le jury du prix virilo des maternelles (et crèches) a élu Loup et les hommes au titre de l’année 2018. Nous ne lisons bien entendu pas aussi vite que ces jurés talentueux et qui passent leurs journées à se prélasser en couches pendant que d’honnêtes jurés adultes suent sang et eau mais nous nous devions de les suivre jusqu’à ces sommets de la littérature. Compte-rendu.

Tout d’abord, une surprise : le « Loup » du titre n’est pas un animal, alors que cela a sans doute beaucoup joué dans la victoire de l’ouvrage. C’est un prénom, et on le sait au bout de quelques pages. Les jurés ont-ils vraiment lu, et même ouvert, le livre ? Ou se sont-ils livrés aux mêmes petits jeux de maisons d’édition que d’habitude, choisissant une fois n’est pas coutume de sanctionner l’école des loisirs, et récompensant le cherche-midi comme ils auraient distingué le cherche-goûter ?
Agnier

Glabre, mais viril. Aurait pu être membre du jury du Virilo.

Puisqu’aucun membre de ce digne rassemblement de jurés en herbe n’a daigné donner le résumé de cet ouvrage, le voici : un soir des débuts du règne de Louis Croix-Bâton-V Armand de Canilhac, marquis sans l’sou et oscillant au bord de la déchéance, aperçoit lors d’une soirée parisienne une jeune femme venant des Amériques et qui lui fait irrésistiblement penser à son frère, totalement disparu des radars vingt ans auparavant ; c’est lui, le fameux Loup, le bien nommé. Il décide de tenter de le retrouver, en prenant comme hypothèse qu’il se trouve sur le sol américain. Après tout, il n’a plus grand-chose à perdre. La suite raconte cette quête, et la transformation d’Armand et de ses compagnons au contact de ce passé mal enfoui, et d’un continent à l’exotisme débridé.
Ce qui est vraiment intéressant, c’est l’originalité du contexte et du décor : le Québec de la fin du dix-septième siècle, encore presque totalement aux mains des natifs mais dont tous pressentent que la civilisation va entrer en crise profonde, du fait de la présence des Occidentaux, de leur soif de possession et de leur puissance militaire. Du fait aussi des dissensions entre Amérindiens, dont la culture valorise outrageusement la vengeance censée apporter la paix et le repos. La plupart des personnages sont à l’interface des deux civilisations, Français adoptés par les Iroquois ou Iroquois attirés par la France ou certains français, et les décalages, tensions, transformations qui en découlent sont très minutieusement explorés par Emmanuelle Pirotte. Le portrait du mode de vie iroquois, de leurs croyances, et de ce que pouvait être la vie sur un continent non pas vide (ce fut la propagande occidentale qui construisit ce mythe pour justifier la colonisation et l’anéantissement des indigènes) mais aux espaces immenses, est détaillé et très vivant. Pour ma part j’ai un peu moins accroché aux enjeux de l’histoire, très centrés sur la transformation intérieure des personnages, la rédemption et la vengeance, finalement assez éloignés du roman d’aventure vendu par l’éditeur, et moins originaux que le précédent roman de l’autrice même si on ne peut les accuser de déchoir.
Donc le bilan :
+4 moustaches pour les tomahawks
+2 moustaches pour les wigwams
+1 moustache pour le Virilo des maternelles
-3 moustaches pour la vie intérieure d’Armand
-1 moustache pour les tâches de purée laissées sur la couverture par mon fils, Tigre Effrayant
Soit 3 moustaches bien méritées !
bébé barbouillé

Juré du Virilo des maternelles désormais connu comme « Coquillette Écrasée »

Prix Virilo des Maternelles (& Crèches) – Palmarès 2018

8 Sep

C’est avec émotion et solennité que le jury du Prix Virilo des Maternelles (& Crèches) s’est réuni le premier week-end de septembre 2018.

Il n’aura pas échappé au monde des lettres et à nos lecteurs que le prestigieux prix n’a pas été remis en 2017. Les jurés, pourtant recrutés en masse en cette année d’élection présidentielle, n’ont en effet pas eu le temps de tout lire et, face à une sélection trop faible, ont préféré se concentrer sur l’édition suivante. Rappelons qu’ils ont entre zéro et cinq ans.

A l’occasion du séminaire Virilo tenu par leurs aînés, les jurés ont bien compris que la Bourgogne éternelle, le Gevrey-Chambertin et la rivière paisible distrairaient assez leurs factotums pour qu’en réalité ce week-end devienne le séminaire du Prix Virilo des Maternelles (& Crèches). Contrairement aux jurés du Goncourt, les jurés ont donc choisi la proximité géographique, grâces leurs soient rendues.

Entourés de Playmobil® comme une jurée du Femina est cernée de verres de vin, les jurés ont mis à profit leur temps libre pour parler littérature. Comme dans les plus prestigieux prix, ce temps libre est malheureusement assez réduit : repas, promenades, siestes et volonté de parler avant tout d’eux-même occupent une part considérable de la journée. En dépit de ce manque de temps, nous soulignons l’excellente qualité des délibérations.

Le jury du Prix Femina, entièrement dévoué à la littérature

C’est parmi une sélection de vingt-cinq livres, dans le strict respect de la procédure et sous contrôle d’huissier, que le vainqueur du Prix Virilo des Maternelles (& Crèches) s’est imposé.

En « hommes de maternelle », les jurés ont donc entre tous choisi Loup et les hommes, d’Emmanuelle Pirotte. Elle remporte un chèque de 10,50 €, soit un peu moins que le Prix Virilo, mais un peu plus que le Prix Goncourt.

Gageons que le choix de l’autrice de faire figurer le nom d’un animal dans le titre a joué en sa faveur : talent, ou manœuvre ?

Le jury du Virilo a donc décidé de se lancer dans la lecture de cet ouvrage afin de vérifier qu’il ne comporte rien de choquant pour ces jeunes esprits. Bientôt une critique.

Quelques coquillettes bien méritées entre les délibérations (l’autre moitié du jury débat de la place de l’autofiction dans la rentrée littéraire, hors champ)

 

Pour les éditions précédentes du Prix Virilo des Maternelles (& Crèches), c’est ici.

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