Lu par… Gaël

4 moustaches d’elfe
Patrick K Dewdney a reçu l’an dernier le prix Virilo, il avait déjà été finaliste en 2015 avec Crocs, donc forcément, on n’est pas très objectifs. Mais il confirme avec L’enfant de poussière son statut d’auteur à suivre, même si c’est dans les coins, vous savez, là, au fond du magasin, à la section « Polars et Fantastique » où votre maman ne va jamais. Il prouve avec ce premier tome d’un long cycle à venir – le cycle de Syffe, sept volumes annoncés par Le diable Vauvert, dont le deuxième est à paraître en septembre 2018 – qu’on peut écrire de la littérature de genre et néanmoins intéressante pour les grandes personnes. Le diable Vauvert ne cache d’ailleurs pas son ambition de faire voler en éclat cette frontière invisible du monde des lettres à l’occasion de la parution de cette saga, et alors que même le Goncourt a commencé à faire une place aux « Littératures de l’imaginaire » (les autres ne le sont donc pas ? OK, dont acte). L’histoire dira si ce pari réussira et si Syffe sera à la littérature française ce que Frodon a été au cinéma et Tyrion aux séries télé.
Bref, comme cet adroit parallèle le laisse penser, dans ce premier volume Syffe est encore petit. Orphelin aux origines mystérieuses, en proie au racisme latent et à la misère de la contrée reculée dans laquelle il vit, il va voir sa vie bouleversée par les menées politiques d’hommes beaucoup plus puissants que lui mais bien décidés à enrôler dans leurs plans cet enfant naïf et sans protection. Le monde est en plein bouleversement après quelques décennies d’une paix précaire, établie par un roi conquérant mais incapable de faire durer son oeuvre et qui vient de mourir. Dans ce chaos, le petit Syffe va rencontrer plusieurs mentors, connaître l’exil, la solitude, commencer à apprendre plusieurs métiers – celui de médecin, celui de guerrier, PKD aime les symboles – et au passage en découvrir beaucoup sur lui-même, le monde et les hommes (les femmes sont étrangement absentes de ce premier tome, vous en saurez plus dans cette interview).
Le rythme peut paraître déroutant pour un livre fantastique, beaucoup de portes sont entrouvertes mais restent d’un usage mystérieux. C’est qu’il faut attendre la suite – il reste six tomes pour en profiter ! – et qu’il s’agit au fond plutôt d’un roman d’apprentissage que d’aventures, dont il partage au fond assez peu de codes narratifs malgré les oripeaux ; on trouve les cartes dessinées à la main, la couverture ornée de signes cabalistiques, les extraits d’archives immémoriales présentant la mémoire d’un monde inconnu, mais il n’y a pas de magie, pas de situation épique dont le héros triomphe sur le fil et, à vrai dire, il n’y a pas vraiment de « héros » au sens d’un personnage qui triomphe d’une adversité hors-norme grâce à ses capacités idiosyncrasiques. Patrick Dewdney utilise le prétexte du fantastique – et même, dans ce premier tome sans magie, plutôt de l’exotique, à la manière d’un libelliste du dix-septième siècle – pour explorer des thèmes qui sont au fond ceux de la littérature en général, l’apprentissage, le rapport au monde et aux autres, l’Histoire et comment on la connaît, la transmission, les conflits moraux. Il ne faut pas espérer y trouver des complots emboîtés ni des batailles épiques. Ou plutôt ils y sont, mais ils ne sont pas drôles : complot rime avec trahison, bataille avec boue, sang et mort. Le monde de Brune est en décomposition, violent, et cette toile de fond est un prétexte pour exacerber des conflits qui sont ceux de l’humanité en général. Le tout est servi par l’écriture d’un styliste qui n’a rien à prouver – relisez Ecume si vous en doutez.
A suivre, donc, avec beaucoup de plaisir et d’intérêt.

Syffe, petit mais déjà poilu
Les poilus parlent aux poilus