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Par les écrans du monde, de Fanny Taillandier

14 Sep

Lu par… Gaëëëël

Heureuses de ces retrouvailles

 

 

 

Thématique de la rentrée : les attentats perpétrés par des islamistes. Nous sommes donc le 11 septembre 2001. Lucy, qui vit à New York et travaille au World Trade Center, et William, responsable de la sécurité de l’aéroport Logan à Boston, sont frère et sœur. Leur père vient de leur téléphoner pour leur annoncer qu’il va mourir mais, très rapidement, ce souci est effacé par quelques autres plus pressants, liés aux failles de la sécurité aérienne. Lucy, encore dans les sous-sols au moment de l’effondrement des tours, est piégée. William est aux premières loges de l’enquête immédiatement déclenchée par les services de renseignement.

Ces deux personnages sont bientôt rejoints par un troisième : Mohammed Atta, le coordonnateur des attentats. « Rejoints » de manière très métaphorique car l’unité de temps est respectée : tout se déroule le 11 septembre, les trois ne se croisent évidemment que par l’effort d’abstraction conduisant à envisager les attentats comme un tout, et nous n’accédons au passé de ces personnages que par les longues méditations qu’ils conduisent sur eux-mêmes, à l’occasion de cette journée pleine d’angoisse mais surtout de vide. La vie de Mohammed Atta, quant à elle, fit l’objet d’une enquête extrêmement fouillée des mêmes services de renseignement et c’est par le biais d’un anonyme Agent spécial qu’elle est retracée. Ces trois trajectoires sont tendues vers le même but : se sauver soi-même. Pour le meilleur et bien-sûr pour le pire.

Pilote

Juré embarqué dans la rentrée littéraire en train de se crasher

Et le cœur du livre, c’est ça : pas tant les attentats, le pourquoi du comment ils se sont déroulés et ces trois personnages y ont été mêlés, ni même un abstrait « pouvoir des images » que suggèrent le titre et la quatrième de couverture, mais la longue méditation de ces trois intériorités, des blessés de la vie, qui partagent d’ailleurs leurs souffrances avec les mondes qu’ils ont traversés. Car Fanny Taillandier est une géographe et elle en a la sensibilité : les espaces et les territoires vivent, d’une vie propre qui n’est que symbiotique et jamais confondue avec celle des humains.

Les vies des personnages, retracées avec une très subtile sensibilité – Atta lui-même n’est pas décrit comme un monstre, ni comme un paumé qui n’aurait pas compris ; car Fanny Taillandier a compris que chercher à comprendre, c’est tout sauf excuser – sont ainsi entremêlées de subtils motifs de réflexion, sur la carte, l’image, le statut des ruines et d’un monde où tout peut être recomposé, sur les statistiques et le risque. D’exercices de style parodiques aussi, et on se délectera de la parodie de diatribe talibane autour des télévisions, comme on s’était délecté des exercices de style qui faisaient Les Etats et empires du lotissement Grand Siècle (Prix Virilo 2016). C’est subtil, c’est très intelligent, un peu trop khâgneux parfois – une bibliographie, Fanny ? – mais qui sommes-nous pour juger ? Plus profond et beaucoup plus humain que Les Etats et empires… , moins amusant aussi évidemment, parfois un peu tiré par les cheveux quand le motif ne sait plus où se tourner pour se renouveler, mais en tout cas très original et conforme à ce qu’on attend de la littérature : déplier le monde, même lorsqu’il paraît simple comme un discours de George W. Bush.

Les états et empires du Lotissement Grand Siècle, Archéologie d’une utopie, de Fanny Taillandier

29 Oct

Lu par… Anne

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Bacchantes épanouies

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Il n’aura pas échappé à la vigilance du lecteur attentif que le jury du Virilo a cette année retenu dans sa sélection un livre qui ne devrait a priori pas s’y trouver, puisqu’il est publié par les très sérieuses Presses Universitaires de France (dites PUF, ou Pupuf pour les intimes). « Quoi ?! Comment ?! C’est un scandale !!! Un essai dans la sélection du Virilo ?! Mais de qui se moque-t-on ?! », entends-je d’ici les plus puristes s’écrier.
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La réponse, chers amis, est plus complexe, car si le livre est en effet publié dans la collection « Perspectives critiques » (dont je ne vous dirai rien, faute d’en savoir davantage), il s’agit bel et bien d’une fiction — comme tout objet littéraire, me répondrez-vous avec un petit rire cuistre et satisfait. Pour autant, ça n’est pas un roman, même si l’on peut en faire le résumé que voici :
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A la suite d’un changement cataclysmique, baptisé Grand Fracas par ses survivants, le monde que nous connaissons a disparu pour laisser place à une société nomade. L’un de ces groupes parvient jusqu’au Lotissement Grand Siècle du titre, supposément situé sur la commune de Versailles. Banlieue-dortoir haut de gamme dans toute sa splendeur, elle se compose de plusieurs centaines de pavillons quasiment identiques, tristement répartis autour d’axes de circulation. Les nouveaux arrivants vont explorer et tenter de comprendre cette curiosité urbanistique et la société qui a pu l’engendrer, grâce à leurs propres observations et suppositions ainsi qu’à l’aide de documents retrouvés dans les ruines.
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A travers cette exploration qui prend des tournures aussi diverses que plaisantes (description des lieux, éloge du parpaing, rapport de détective privé, etc.), c’est tout un mode de vie individualiste, productiviste, hypocrite et forcément délétère que Fanny Taillandier dénonce. Mais elle le fait avec finesse, humour et de beaux morceaux de style.
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Ce livre est une fiction car tout ce qu’elle y décrit est à l’évidence complètement mythonné, quoique bien évidemment inspiré de la réalité ; ça n’est pas un roman car tous les codes du genre (personnages, narration – ressortez vos Annabac sur le sujet et complétez vous-mêmes) y font défaut, mais il y a assurément là plus de littérature que dans la plupart des livres que l’on peut trouver dans la catégorie « 1 Moustache » de notre prix. Si en de rares moments, on peut déplorer un léger manque de chair, d’incarnation, on en ressort pas moins ébloui par ce tour de force et sans doute un peu moins con.
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Emmanuel (Carrère), accroche-toi à tes bretelles, la relève est en marche, et elle a un sacré talent.  
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funny-moustaches-comparison

Cette rentrée littéraire réservait finalement quelques belles surprises

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