Gallimard
Lu par François S.
Yannick Haenel a certainement pris une décision immense en consacrant son livre à ce Juste polonais. Il n’est pas question de saluer un roman par son seul sujet. Mais il convient d’apprécier la qualité du choix d’un auteur, de celui qui a compris que l’écriture ne se résumait pas à la beauté d’une phrase, mais à l’importance de l’écrit que l’on propose au monde. Évoquer la vie de Jan Karski, transcrire son témoignage dans « Shoah » et oser donner la parole à cet homme disparu qui, en quelques sortes, symbolise toute l’horreur du XX° siècle. Yannick Haenel a su prendre le filon de cette littérature qui ose. Son roman bouleverse, sûrement, dérange parfois… Mais, indubitablement, l’auteur nous offre une cartographie de l’humanité dans ce qu’elle a de plus juste, mais aussi de plus horrible.
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Lu par Paul
Sous quel angle aborder le devoir de mémoire lorsque l’on est issu des générations de l’après-guerre ? Yannick Haenel tente d’apporter une réponse en entraînant le lecteur sur les pas de Jan Karski, résistant polonais témoin des exactions nazies et chargé dès 1942 d’en révéler l’atrocité aux autorités du monde libre. L’écrivain passe subrepticement d’un portrait distancié du messager malheureux (sous la forme des minutes de son interview par Claude Lanzmann dans Shoah), à la reprise de ses mots (extraits de ses mémoires), pour finir par parler par sa bouche.
De par sa qualité et sa justesse, le dernier volet aurait mérité d’être un roman à part entière là où il ne tient lieu que d’épilogue. Au final, on peut regretter le découpage un peu artificiel de ces trois temps du récit, qui donne plus souvent la parole au journaliste qu’à l’écrivain.
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Lu par Marine
Le sujet du livre est indiscutablement passionnant et nous fait plonger dans la vie d’un homme à la vie peu ordinaire et qui aborde des aspects de la Seconde Guerre mondiale méconnus de la plupart. La structure en trois parties, deux documentaires qui composent la majeure partie du livre et une fictive qui clôt le tout, serait également très intéressante si elle n’était pas bancale. Les deux parties documentaires sont en effet écrites dans une langue assez plate, en tout cas certainement pas au niveau de ce que l’auteur cherche à montrer. Le troisième chapitre en revanche est du point de vue de la langue nettement meilleur. Yannick Haenel semble donc bien plus à l’aise dans la fiction.
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Lu par Estelle
Si le sujet du roman de Yannick Haenel est courageux et ne manque pas d’interpeller le lecteur, la structure qu’il a choisi de lui donner pour mener son récit est encore plus audacieuse. L’auteur a pris le parti de diviser son récit en trois chapitres clairement distincts : le premier est une analyse de la scène de Shoah dans laquelle Jan Karski apparaît et témoigne de sa visite du ghetto de Varsovie ; le second, plus dense, est un commentaire de Mon témoignage devant le monde, le livre écrit et publié par le résistant polonais en 1944 afin d’informer le monde de la réalité de la résistance en Pologne et de l’extermination des Juifs; enfin, le dernier chapitre est une fiction dans laquelle le personnage Jan Karski s’exprime à la première personne.
Ce découpage arbitraire et le style documentariste (première partie) puis très neutre (deuxième partie) de l’écriture peuvent donner une première impression d’artificialité, presque de facilité : il s’agit pourtant d’un exercice de style maîtrisé à la perfection par son auteur. Dans un premier temps Yannick Haenel parvient à transcrire les images brutes du désarroi de l’homme qui, 35 ans après les faits, cherche encore à délivrer son message, ce message qui n’a pas été entendu en 1942, celui, on le comprendra au fil du roman, que personne n’a voulu entendre à l’époque. Dans un deuxième temps, l’auteur s’applique à recréer et à respecter à la lettre la neutralité du récit biographique de Karski : on y découvre les faits de sa vie, son combat dans la résistance. Enfin, la troisième partie, la fiction, est paradoxalement celle du récit vrai : celui que Jan Karski ne pouvait pas faire à l’époque où il a écrit son livre, celui qui transpire dans les images de Shoah, celui d’un témoin clef qui a su dès 1942 que le monde libre savait mais ne voulait pas comprendre, qu’il avait les informations mais qu’il n’agirait pas pour sauver les Juifs.
La juxtaposition abrupte des trois récits offre au lecteur une mélodie à trois voix qui se confrontent, se complètent et donnent toute sa profondeur au sujet. Un choix hardi pour un pari réussi. Par ce roman, Yannick Haenel se fait le messager du fardeau de Karski, une vérité historique encore plus lourde à porter que celle de l’holocauste : le constat de l’inexistence de « la conscience du monde », la négation de la notion d’humanité.
Les poilus parlent aux poilus