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A son image, de Jérôme Ferrari

5 Oct

Lu par… Alys

Corsé

 

 

 

 

L’histoire démarre à l’enterrement d’Antonia, une jeune femme photographe qui s’est tuée en voiture sur les petites routes corses. Le roman avance au rythme de la messe, conduite par son parrain. On découvre la vie d’Antonia, en Corse bien sûr, dans le décor un peu triste du combat nationaliste, où les femmes grandissent « femmes de », et les hommes guerriers, obsédés par les armes. Sur fond de scission du FLNC, la jeune femme se libère petit à petit de ce cadre patriarcal et décide de partir documenter la guerre en Yougoslavie.
Brinquebalée entre sujets sans intérêts commandés par la presse et sujets obscènes refusés par cette dernière, Antonia prend conscience de la difficulté du rôle du photo-journaliste de guerre, qu’on envoie sur le terrain pour témoigner d’atrocités que personne ne veut voir.
Un roman splendide et juste sur la destruction, la violence, et bien sûr, sur la photographie. Un roman également bien documenté (ça fait plaisir de voir qu’il y a encore des auteurs français qui bossent).
« Personne n’a énoncé ce paradoxe plus clairement que Mathieu Riboulet  : « La mort est passée. La photo arrive après qui, contrairement à la peinture, ne suspend pas le temps mais le fixe. » »

Avec tout ça on a des envies de voyage

Le sermon sur la chute de Rome, de J. Ferrari

28 Sep

Actes Sud

Lu par Gaël

Moustache-fatum

Une tragédie corse (et donc reposante)

Livre poilu

Jérôme Ferrari nous raconte l’histoire de deux jeunes hommes, Matthieu et Libero, qui décident de reprendre la gestion du bar d’un petit village corse, auquel leur enfance les lie. Il nous raconte surtout l’histoire d’une chute, non pas celle de Rome, mais celle d’un projet mal ficelé, aveugle à la violence et à la rancœur dont est faite la trame des jours et qui se terminera nécessairement en drame après avoir commencé dans l’insouciance, les douces soirées d’été, le sexe facile. Projet voué à la ruine, parce qu’il prend place en Corse, terre intrinsèquement dramatique, théâtre de poche où se sont accumulées les haines et les remords. Mais surtout parce que cela semble être le credo de Jérôme Ferrari : comme l’Antigone d’Anouilh, il pense que « c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir ».

C’est là que le parallèle avec le sermon de Saint Augustin prend son sens : les mondes, et le bar corse en est un, sont condamnés à choir, proférait l’évêque d’Hippone il y a plus de 1000 ans. Jérôme Ferrari s’amuse à tisser le passé des personnages avec Saint Augustin et avec l’Algérie où il a vécu, et à tisser sa langue – riche, ample, dont les phrases se déploient avant de s’effondrer en de brutales conclusions – de l’univers mental apocalyptique des premiers Chrétiens. Malgré le décalage des sujets, chute d’un empire millénaire versus fermeture d’un petit bar de montagne, la greffe prend très bien. On pouvait craindre la prétention à rapprocher ainsi grande et petite histoire, métaphysique et récit d’apprentissage, mais il n’en est rien, au contraire : l’ampleur du verbe rend compte de l’importance de l’expérience que vit Matthieu.

Vers une chronique des chiffes molles

Car malgré la symétrie apparente entre les deux amis, c’est bien lui le héros. L’histoire de sa famille est longuement développée, et au moins autant que de son projet avorté, le livre traite de son immaturité émotionnelle, de son isolement, incapable qu’il est de comprendre ce que tentent de lui dire ses proches et se réfugiant dans de fugaces amitiés de vacances. Intrinsèquement, Matthieu est un faible et c’est ce qui semble intéresser Ferrari : comment une mauviette traverse-t-elle l’histoire ? Comment se construit-elle l’impression d’être dominée par le destin, alors qu’elle n’a pas même cherché à le reconnaître, sans parler de l’affronter ? Car finalement, ce n’est pas pour son échec, pour la douleur qu’il aura semée, qu’on méprise Matthieu. Il n’y est pas pour grand-chose et l’ironie du roman est que le désastre ne vient d’aucun des nombreux avertissements semés au fur et à mesure ; il vient du destin, du collapsusprogrammé des mondes.

Les jurés ayant apprécié le livre doivent s’asseoir sur une seule chaise.

Mais en tant qu’homme, il s’est laissé balloter sans réagir. Le parallèle est évident avec les ancêtres de Matthieu, l’un, vieux gaulliste passé à l’OAS, déjà rencontré dans les précédents romans de Ferrari, l’autre, ancien administrateur de la France coloniale aux espoirs brisés. Dans la grande comme la petite histoire, l’homme doit toujours choisir la manière dont il échoue, si possible avec intégrité, et il n’a que ce choix. Un choix viril, s’il en fût.

On peut largement ne pas partager les partis-pris de ce soubassement tragique et métaphysique. La force de Jérôme Ferrari est de parvenir à y faire tenir d’aplomb un roman d’apprentissage subtil.

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Mousse tache

Lu par Anne

« Jéjé », lui dirais-je, si je tenais Jérôme Ferrari en face de moi (ou si je le serrais dans un coin, soyons 21e siècle). « Jéjé, tu es comme tu es, mais j’accepte de t’épouser. Car en plus d’un homme à la pilosité fort décente, tu es un grand écrivain. Partons ensemble vivre dans ton village en Corse, tu écriras des livres formidables pendant que je garderai les chèvres. »

Et ils partirent dans une Phantom II, on the road

Ce monologue passionné et, qu’on se rassure, totalement fantasmé ne m’est pourtant pas venu immédiatement à la lecture du Sermon sur la Chute de Rome. En effet, je dois confesser avoir d’abord ressenti une certaine déception. Le fait de vouloir illustrer par un exemple contemporain la vacuité du monde décrite par saint Augustin dans le sermon éponyme m’a semblé un peu factice, voire un poil cuistre. La déréliction annoncée m’avait laissée un arrière-goût de facilité, le sentiment que Jéjé, pardon, Jérôme Ferrari reniait sa capacité formidable à dépeindre le monde en nuances de gris, qui faisait de Où j’ai laissé mon âme un vrai livre intemporel avec de vrais morceaux de condition humaine dedans.

Mais si l’objet de ce nouveau roman me touche moins que celle de son précédent, Jéjé reste un magicien de la langue, qui halète ses phrases, les fait vivre par son sens du rythme, se joue d’elles comme un jongleur surdoué. Là où la plupart des auteurs français semblent craindre la métaphore, la période ample et l’hyperbole, Ferrari les manie avec un art consommé. Et le lecteur époustouflé de s’écrier : Ferrari, c’est vraiment la Rolls de la littérature française !!! (Savourez bien ce calembour douteux car je crains qu’avec lui ne s’envolent mes chances de convoler… )