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Tenir jusqu’à l’aube, de Carol Fives

4 Sep

Lu par… Bérénice

Solo + solo

 

 

 

J’ai de la sympathie pour le sujet choisi par Carol Fives. Une mère célibataire (il paraît qu’on dit solo maintenant), un père absent, disparu, qui évidemment ne verse aucune pension alimentaire, un enfant en plein terrible two, bien entendu pas de place en crèche, pas de boulot car graphiste indépendante, car pas de temps, car plus de client, car un enfant (pas très start-up nation tout ça), pas d’amis, des nuits hachées, la famille lointaine et pas franchement intéressée, des voisins à peine cordiaux : la vie de la fameuse mère, disons-le tout net, c’est vraiment la grosse lose.

Oscillant entre tentatives de socialisation, luttes vaines avec l’institution scolaire (pas de place en crèche), incompréhension et jugement des inconnus du square, la mère s’octroie, de temps à autre, une sortie le soir, montre en main, pour s’empêcher de sombrer tout à fait.

Même internet, terre d’entraide parfois, terreau fertile pour la sororité, la juge la distance. C’est l’infini du temps maternel qui s’écoule sans permettre l’espoir d’un jour meilleur.

Le sujet est féministe, et j’ai envie de m’enthousiasmer.

Arrêtez l’écriture blanche

Hélas, trois fois hélas, un sujet pertinent ne suffit pas à faire littérature. Fives recourt à une langue pauvre, accumulée de détails triviaux, et peut-être est-ce là aussi en un sens une réussite, l’aboulie intellectuelle que provoque le tête-à-tête avec un petit humain en cours de construction. Toutefois, les échappées, les entre-deux ne permettent pas d’y voir des fulgurances, une image qui émeut, un verbe qui se relève un peu ; on se lasse de l’infinitif répété à foison. En un paragraphe, par exemple, « le châssis de fer n’est plus étanche. Le colmater avec un drap. (…) Quitter au plus vite cet appartement. (…) Se faire un nouveau réseau. (…) Sortir de cette dissolution des jours et des nuits. » Et c’est comme ça tout du long. Oui, ça se lit vite, très vite. Quand ce n’est pas l’accumulation des phrases infinitif + complément, ce sont des comparaisons dont on ferait bien l’économie (CV de graphiste lyonnaise avec enfant = biographie d’acteurs de seconde zone sur Wikipedia). Quant à la facilité du recours aux discussions doctissimo intégralement retracées, il agace plus qu’il n’apporte.

Le fait divers final, cadence très imparfaite qui clôt la lancinante litanie des jours rythmée par l’oraison jaculatoire qu’est La chèvre de Monsieur Seguin, apparaît donc comme le tépide dénouement d’une chronique qui bascule vers le slimanesque.

Confronté à cette dissonance littéraire, le juré ne peut que s’interroger : Carol aurait-elle dû opter pour la FIV littéraire ?

Book de l’héroïne avant d’avoir un enfant

Légende, de Sylvain Prudhomme

3 Oct

Lu par Bérénice

critique2

poil sec

 

Légende, de Sylvain Prudhomme, possède une très belle photographie de couverture et un résumé alléchant. Deux choses dedans m’ont poussée à l’acheter : la mention de Madagascar – la cuvée 2015 ayant rendu incontournable le sujet des outre-mers – et celle d’un constructeur de toilettes sèches publiques – chacun ses failles.

Soupe aux cailloux et aux herbes sauvages

Dans la plaine de la Crau, 500 km2 de terre caillouteuse et sèche mais au foin AOC au sud des Alpilles, deux hommes devenus amis se racontent, l’un plus que l’autre. Nel, fils et petit-fils de berger, enfant du pays devenu photographe, fasciné par cet Anglais providentiel qui sait tout faire et, à ses heures perdues et néanmoins nombreuses, s’improvise réalisateur.

 La sciure et les cailloux créent presque une tenture de western ; la Crau s’y prête. Sylvain Pruhomme  réussit avec succès à unir, dans ses premières pages, l’esprit du lecteur et l’oeil de Nel, photographe perché. La lisière de cette plaine fourmillant d’activité industrielle, Arles hors-les-murs du désert, activités modernes auxquelles aboutissent les rubans d’asphalte, tout ce qui n’est pas vent et herbe paraît malveillant, signe de progrès douteux et de civilisation contestable.

Dans la Crau, pourtant, une discothèque. Vingt-cinq ans de night-club sudiste, drainant les habitants du coin sur plusieurs kilomètres, dépassée par son succès et en jouant à la fois, entre meuglements de locaux et taureaux alcoolisés. La Chou, c’est son nom, devient hype (et pourquoi pas, mais c’est difficile à croire).

Matt, l’Anglais entrepreneur qui neutralise les odeurs, découvre les lieux, ses habitués, leur nostalgie. La Chou a fermé, elle s’est éteinte après des années d’épidémie du sida et de transhumances humaines. Elle revit, le temps d’une soirée, comme Renaud à l’Olympia : c’est très médiatisé, on sait que ça sera sera mauvais mais tout le monde y va, moitié par pitié, moitié pour pouvoir dire y être allé.

L’âge d’or de la Chou est mort, et aussi les cousins de Nel, les frères Fabien et Christian, ados de facto émancipés et qui fascinent Matt comme ceux qui les ont connus. Fabien surtout, enfant solaire derrière ses persiennes, à la coterie indéfectible, le hante, et au travers lui Christian, le petit, le paumé.

Discothèque de province, une allégorie (crédits François Prost)

Discothèque de province, une allégorie (crédits François Prost)

Légendes anecdotiques

Tout est légende, chez Sylvain Prudhomme : la Chou, Olympe de la Crau ; Fabien et Christian, Romulus et Remus, Caïn et Abel locaux ; jalousie de  Nel envers Matt lorsqu’il voit lui échapper sa famille et ses secrets, son héritage, Héra pastorale ; grand-mère Josette impotente, babayaga urbaine ; Fabien, joueur de flûte nocturne.

Autant de légendes, c’est trop pour en construire une seule, même familiale, même unique. Tout se bouscule et la légende que poursuit Matt se révèle être un sujet de Jean-Pierre Pernaut, spécial Camargue.

Le récit se perd dans son déroulement et chaque évènement reçoit in fine le traitement réservé tant aux toilettes sèches publiques de la quatrième de couverture (quelque part un varan mort les bouche, à environ 3/4 du livre) (ont-elles été absorbées par l’entrepreneur neutralisateur ?) qu’à Madagascar (des parents y habitent, un cousin y retourne, il s’y trouve des papillons, c’est finalement inutile et un peu boring).

Deux scènes se placent au-dessus de la multiplication des pains littéraires : l’interview d’un ex-mineur des Cévennes, nom de scène Lolita, habitué estival et qui, post-veuvage, déménage pour pouvoir chaque soir être Iphigénie, puis ce souvenir de Nel, ravivé par la visite des souvenirs, de sa grand-mère refusant son champ à des campeurs allemands, par haine atavique.

Camouflet herculéen

Tout ceci aura peut-être mérité trois moustaches si Sylvain Prudhomme n’avait pas mis en exergue une citation du « Prométhée délivré » d’Eschyle. La Crau, c’est ce champ où Hercule put faire face à l’armée entière des Ligures grâce à l’intervention providentielle de Jupiter, c’est cet héritage de cailloux tombé du ciel à travers les siècles.

Ni Hercule ni Prométhée ici ne combattent, si ce n’est eux-même, personne n’est replacé dans le panthéon auquel il appartient de droit. Surtout, Eschyle avait d’Hésiode élimé les accessoires, les éléments inutiles et, dans sa troisième tragédie, fait d’Hercule son principal héros. Or, dans Légende, tout est fouillis, tout est anecdote et Hercule-Fabien, ou Hercule-Christian ne se battent pas contre une armée de Ligures, il se battent contre eux-même, le dragon des mythes herculéen pré-Eschyle, l’auteur qui transforme la Tarasque en armée ennemie pour la beauté du mythe.

Il n’y a d’ennemi qu’intérieur, Hercule est mort, Prométhée ne sera pas délivré. Légende est trop loin des légendes, ça ne fonctionne finalement pas.

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Héros antique, une allégorie

 

NB : Le Prix Virilo a beaucoup aimé l’article – élogieux – de Mediapart consacré à ce roman, dans lequel le protagoniste Fabien est constamment appelé « Damien ». Trop de fiches de lectures de stagiaires tuent la fiche de lecture.

 

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