
Moustaches kirghizes

Adolescent en perte de repères
Moustaches kirghizes
Adolescent en perte de repères
Les Editions de Minuit
Lu par David
Que s’est-il passé aux quatre coins de la planète en mars 2011, au moment où le Tsunami japonais exhibait son horreur aux yeux du monde ? Des milliards de petites histoires anonymes, sans liens apparents, si ce n’est cette toile de fond, ce radeau de la méduse planétaire sur lequel nous voguons sans nous tenir la main.
Parmi ces histoires, l’auteur en a imaginé quatorze. Quatorze voyages hétéroclites, quatorze bouts de vie loin de chez soi, quatorze moments différents mais qui se déroulent au même moment, autour du monde, piégés par la plume experte de Laurent Mauvignier.
Le livre dévoile avec une facilité sidérante les coulisses de vies banales, vibrant à leur façon au moment du choc. L’auteur nous propose une plongée dans l’intimité protégée du monde au moment précis où un drame national nous rappelait la fragilité de notre socle commun.
C’est sans doute ce bon vertigineux entre le tout et les parties qui a motivé l’entreprise littéraire. Ce changement brutal de distance focale entre le choc global et les micro-ondes particulières. Ce lien entre notre planète qui tremble de tout son bloc et les traces infimes qu’elle laisse sur le chemin des individus qui la composent.
L’enjeu est là, mais très vite, il perd de son impact. On comprend le message : les hommes, malgré l’information globale et le racourcissement des distances, restent des êtres seuls. Le Tsunami qui unie la côté japonaise dans la dévastation perd de son intensité à mesure que l’on s’éloigne de l’épicentre, et la vie, banale et anonyme reprend ses droits.
La leçon est belle et subtilement distillée. Chaque nouvelle nous place auprès d’un voyageur nouveau, qui loin de chez lui, fait l’expérience individuelle de l’espace et du temps, de ce fil invisible qui ne rompt jamais. Car, tout autour du monde, les vies continuent…
Ce fil ténu est à la fois la justicification et la faiblesse de ce livre, là où l’entreprise de Mauvigner atteint sa propre limite. Le lien entre le tout et les parties est bien trop léger pour faire office de conducteur. Et les moments de vies deviennent vite accumulation de portraits virtuoses.
La grande vague japonaise ne nous porte pas bien loin. Nous naviguons plutôt sur le dos des mots, dans le courant maîtrisé des images qui donnent vie à des êtres physiquement et psychologiquement éloignés les uns des autres, mais si proche de nous…
Laurent Mauvignier fait de la littérature et nous donne une nouvelle preuve qu’un bon scénario, qu’une intrigue ficelée, qu’un pitch admirable n’a rien à voir avec un bon livre (cf. critique précédente).
Posée sur presque rien, l’écriture de Mauvignier à cette capacité rare à donner vie imméditement. En jouant sur les temps, les effets de fondus, les rythmes et les rimes thématiques, il transcende la prose quotidienne. La pureté du langage et la précision psychologique nous transpose en quelques mots dans le monde des autres. Un véritable tour de force littéraire.
Et le plaisir que nous en retiront nous renseigne aussi sur ce qu’on vient chercher dans un livre.
On comprend en passant de monde en monde que lire c’est se donner la possibilité de sortir de soi, de vivre cent vies (quatorze dans notre cas), de s’incarner dans l’autre et de se regarder à travers les yeux du monde. Une manière de lutter contre l’insoutenable unicité de l’être et de chercher chez les autres des amis par effraction.
Cette compassion universelle, qui se cache derrière les particularités, Mauvignier nous l’offre. Plusieurs fois. Mais est-ce suffisant pour le lecteur d’aujourd’hui ?
A mesure que l’on avance une sensation désagréable de vertige s’empare du lecteur sans repère. La mécanique perd son pouvoir d’attraction avec les pages qui se tournent et la répétition des scènes. Qui peut voir sans fermer les paupières une série infinie de portraits, aussi beaux soient-ils ?
Et l’on passe de l’extase, à l’attente, puis de la lassitude à l’exaspération. Lecteur impatient, lecteur débordé, lecteur médiocre sans doute : je l’avoue honteusement, au dixième personnage j’ai perdu patience et j’ai ouvert les dernières pages.
Le fil invisible et l’écriture implacable ne suffisent pas toujours à garder éveillée (350 pages durant) l’attention d’un lecteur pressé, avide d’intrigue et de justifications.
En abandonnant ce lien avec les besoins contemporains de ses lecteurs, ce beau livre devient de la belle ouvrage, un objet de collection. Et pour reprendre les mots de son dernier personnage (le plus touchant) : « A quoi bon parler dans le vide, à quoi bon parler pour personne, sinon ? »
N’en déplaise à Flaubert, le temps d’un livre sur rien n’est pas encore venu.
Aux éditions de Minuit
Lu par Stéphane
C’est un long monologue d’une soixantaine de pages, récit ininterrompu d’un fait divers sordide dans la banlieue lyonnaise. Pas un seul point, mais un enchaînement de phrases qui se juxtaposent de l’incident initial – un vagabond pique une bière dans un supermarché – au drame – l’homme meurt, tabassé par des vigiles qui voulaient s’amuser – et ses conséquences – un procès et un deuil.
D’une rare intensité et d’une violence sourde, l’exercice de style auquel s’est plié Laurent Mauvignier est pleinement réussi. On assiste au ralenti au dérapage des coupables, qui, d’un instant à l’autre, deviennent meurtriers, sans autre raison qu’une émulation malsaine dans le mépris et la violence.
La banalité du mal en si peu de lignes, bravo.
Les poilus parlent aux poilus