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Continuer, de Laurent Mauvignier

6 Oct
Lu par Philippe
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critique4

Moustaches kirghizes

 
Laurent a déjà gagné le Prix Virilo avec Des Hommes. Va-t-il récidiver ? Ma foi, c’est bien possible. D’autant qu’il cherche à plaire aux jurés, en plaçant l’intrigue de Continuer dans un pays de mecs vivant dans des yourtes (ce qui est assez cool) : le Kirghizistan, aka la Mongolie du pauvre, aka la prochaine destination de Frédéric Lopez, je sens qu’on va en bouffer du Kirghizistan.
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Avec Continuer, Laurent nous prouve 
1- qu’il est toujours aussi mauvais pour les titres
2- qu’il est en revanche super bon pour tout le reste
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Lolo nous raconte Sibylle, une femme qui a un peu tout raté : sa carrière, son mariage (elle vient de divorcer) et semble-t-il son ado, Samuel, qui est en train de filer un très mauvais coton. Elle décide donc d’emmener l’ado à problème dans les montagnes kirghizes, à la recherche de son moi profond, ou du réel, ou de l’équitation-la-vraie… Enfin bref le projet pédagogique n’est pas très clair mais c’est toujours mieux qu’une intervention à l’américaine.
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Mauvignier, qui est un coquinou, s’est inspiré d’une histoire vraie pour la plateforme narrative – i.e. un papa, un ado à problème, les montages Kirghizes à cheval. Problème, cette histoire est aussi un récit édité, écrit par le papa de l’ado. Mauvignier ne leur a pas demandé la permission.
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Ce n’est pas très classe, pas tant pour des questions de droits mais parce que ça fait un peu « attends gamin, je vais te montrer comment un pro se saisit de ta petite histoire, là ». Ce qui est cruel, c’est que c’est très réussi.
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Adolescent en perte de repères

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Avec son style tout en empathie, Laurent nous passionne. Les descriptions sont puissantes, la structure du livre est top, les dialogues sont réussis, certaines scènes se dévorent. On regrettera peut être un personnage un peu vite expédié (le papa, peu creusé), et quelques longueurs avant d’arriver à la révélation (car il y en a une) sur le passé de Sibylle. Mais vraiment, c’est pour chercher des poux.
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Un roman qui bénéficie peut-être à plein de la la lecture du reste de la rentrée littéraire (les autres livres que j’ai lus cette année sont franchement pas tops). Mais ah là là là là, ça fait du bien ces belles phrases travaillées, opulentes, sèches, évocatrices. C’est comme un beau tissu qui flatte la main qui sait le caresser : du bel ouvrage.   

Autour du Monde, de Laurent Mauvignier

20 Oct
duvet à la carte

Moustache stylée

   Les Editions de Minuit 

   Lu par David

Que s’est-il passé aux quatre coins de la planète en mars 2011, au moment où le Tsunami japonais exhibait son horreur aux yeux du monde ? Des milliards de petites histoires anonymes, sans liens apparents, si ce n’est cette toile de fond, ce radeau de la méduse planétaire sur lequel nous voguons sans nous tenir la main.

Le tour du monde en 14 … histoires

De la belle ouvrage

De la belle ouvrage

Parmi ces histoires, l’auteur en a imaginé quatorze. Quatorze voyages hétéroclites, quatorze bouts de vie loin de chez soi, quatorze moments différents mais qui se déroulent au même moment, autour du monde, piégés par la plume experte de Laurent Mauvignier.

Le livre dévoile avec une facilité sidérante les coulisses de vies banales, vibrant à leur façon au moment du choc. L’auteur nous propose une plongée dans l’intimité protégée du monde au moment précis où un drame national nous rappelait la fragilité de notre socle commun.

C’est sans doute ce bon vertigineux entre le tout et les parties qui a motivé l’entreprise littéraire. Ce changement brutal de distance focale entre le choc global et les micro-ondes particulières. Ce lien entre notre planète qui tremble de tout son bloc et les traces infimes qu’elle laisse sur le chemin des individus qui la composent.

Autour des mots

L’enjeu est là, mais très vite, il perd de son impact. On comprend le message : les hommes, malgré l’information globale et le racourcissement des distances, restent des êtres seuls. Le Tsunami qui unie la côté japonaise dans la dévastation perd de son intensité à mesure que l’on s’éloigne de l’épicentre, et la vie, banale et anonyme reprend ses droits.

La leçon est belle et subtilement distillée. Chaque nouvelle nous place auprès d’un voyageur nouveau, qui loin de chez lui, fait l’expérience individuelle de l’espace et du temps,  de ce fil invisible qui ne rompt jamais. Car, tout autour du monde, les vies continuent…

Ce fil ténu est à la fois la justicification et la faiblesse de ce livre, là où l’entreprise de Mauvigner atteint sa propre limite.  Le lien entre le tout et les parties est bien trop léger pour faire office de conducteur. Et les moments de vies deviennent vite accumulation de portraits virtuoses.

La grande vague japonaise ne nous porte pas bien loin. Nous naviguons plutôt  sur le dos des mots, dans le courant maîtrisé des images qui donnent vie à des êtres physiquement et psychologiquement éloignés les uns des autres, mais si proche de nous…

La littérature, c’est les autres

Laurent Mauvignier fait de la littérature et nous donne une nouvelle preuve qu’un bon scénario, qu’une intrigue ficelée, qu’un pitch admirable n’a rien à voir avec un bon livre (cf. critique précédente).

Posée sur presque rien, l’écriture de Mauvignier à cette capacité rare à donner vie imméditement. En jouant sur les temps, les effets de fondus, les rythmes et les rimes thématiques, il transcende la prose quotidienne. La pureté du langage et la précision psychologique nous transpose en quelques mots dans le monde des autres. Un véritable tour de force littéraire.

Et le plaisir que nous en retiront nous renseigne aussi sur ce qu’on vient chercher dans un livre.

Une vague idée de Tsunami

Une vague idée du Tsunami

On comprend en passant de monde en monde que lire c’est se donner la possibilité de sortir de soi, de vivre cent vies (quatorze dans notre cas), de s’incarner dans l’autre et de se regarder à travers les yeux du monde. Une manière de lutter contre l’insoutenable unicité de l’être et de chercher chez les autres des amis par effraction.

Cette compassion universelle, qui se cache derrière les particularités, Mauvignier nous l’offre. Plusieurs fois. Mais est-ce suffisant pour le lecteur d’aujourd’hui ?

Le livre que nos temps modernes n’ont pas le temps de lire

A mesure que l’on avance une sensation désagréable de vertige s’empare du lecteur sans repère. La mécanique perd son pouvoir d’attraction avec les pages qui se tournent et la répétition des scènes. Qui peut voir sans fermer les paupières une série infinie de portraits, aussi beaux soient-ils ?

Et l’on passe de l’extase, à l’attente, puis de la lassitude à l’exaspération. Lecteur impatient, lecteur débordé, lecteur médiocre sans doute : je l’avoue honteusement, au dixième personnage j’ai perdu patience et j’ai ouvert les dernières pages.

Le fil invisible et l’écriture implacable ne suffisent pas toujours à garder éveillée (350 pages durant) l’attention d’un lecteur pressé, avide d’intrigue et de justifications.

En abandonnant ce lien avec les besoins contemporains de ses lecteurs, ce beau livre devient de la belle ouvrage, un objet de collection. Et pour reprendre les mots de son dernier personnage (le plus touchant) : « A quoi bon parler dans le vide, à quoi bon parler pour personne, sinon ? »

N’en déplaise à Flaubert, le temps d’un livre sur rien n’est pas encore venu.

Ce que j’appelle oubli, Laurent Mauvignier

13 Juil

Aux éditions de Minuit

Lu par Stéphane

Spoiler alert : Ce vigile n'y est pour rien

Moustache fournie

Mauvi-stache

C’est un long monologue d’une soixantaine de pages, récit ininterrompu d’un fait divers sordide dans la banlieue lyonnaise. Pas un seul point, mais un enchaînement de phrases qui se juxtaposent de l’incident initial – un vagabond pique une bière dans un supermarché – au drame – l’homme meurt, tabassé par des vigiles qui voulaient s’amuser – et ses conséquences – un procès et un deuil.

D’une rare intensité et d’une violence sourde, l’exercice de style auquel s’est plié Laurent Mauvignier est pleinement réussi. On assiste au ralenti au dérapage des coupables, qui, d’un instant à l’autre, deviennent meurtriers, sans autre raison qu’une émulation malsaine dans le mépris et la violence.

La banalité du mal en si peu de lignes, bravo.

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