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Lèvres de pierre, de Nancy Huston

19 Sep

Lu par… Bérénice

Les bouddhas n’ont pas assez de moustache au Cambodge le vendredi

 

 

 

 

Vent d’Est, vent d’Ouest

Prek Sbauv, campagne khmère, 1934. Saloth Sâr est un enfant timide et sensible, qui a appris à garder son quant-à-soi et voudrait bien ne pas avoir vu les porcs se faire ouvrir d’une oreille à l’autre ; il n’aime pas trop cela, ni toute autre forme de violence d’ailleurs . Il fait encore pipi au lit et c’est son principal problème, car bientôt il partira à l’internat. Un an au Vat Botum Vaddei, monastère aux froufrous de curcuma, au son des gongs et des mélopées, puis l’école française, voilà ce qui est programmé pour lui. A la stupéfaction de tous, et sans doute de lui-même, il y est un moinillon assidu et aveugle, heureux d’apprendre à se défaire de ses émotions.

Le déracinement absolu survient lors de l’entrée à l’école française. C’est la violence suprême du déchirement intérieur. C’est le colonialisme et le catholicisme comme deux marteaux qui assomment. Rattrapé par l’échec que lui promettait le regard de son père, Saloth Sâr est un cancre invétéré. Les liens de la famille avec la royauté permettent quelques sorties à la cour, dorures et courtisanes dans lesquelles il perd son pucelage. La guerre, l’échec scolaire, l’accession du roi Sihanouk au trône, l’échec scolaire, définitif cette fois, le départ pour Paris à 24 ans, puis le marxisme comme salut, lorsqu’encore une fois, c’est l’échec scolaire. Définitif. Nouveau départ.

Et à l’Ouest ? Dorrit, Nancy donc, c’est transparent, devient la confidente de son père, Dom Juan sur le retour, commence ses années de lycée dans une école à la pédagogie alternative et connaît ses premiers émois. La famille traverse une passe difficile, l’impécuniosité du chef de famille les réduisant à cumuler les emplois et les petites astuces. Dorrit se fait tabasser pendant l’amour, le visage en sang et ses seize ans tenus en otage par l’illusion de l’amour. Par la suite, les hommes, les viols, les hommes, triptyque banal et écœurant. Loin, loin pour Dorrit, c’est la nausée au Viêtnam. Elle s’enlise dans le patriarcat. Courant toujours après les études supérieures et donc l’argent (ce sont les États-Unis), elle expérimente la prostitution, une brève et si longue après-midi. Le coût psychologique est immense, et ouvre grand les portes à l’anorexie. Au Cambodge, les enfants mourant de faim sont de petites statues calmes et silencieuses au regard fixe.

Nancy H. = largeur des pages chez Actes Sud / nombre de calories * Pol Pot + racine de Douch

Indépendamment, chaque partie possède de grandes forces. L’enfance de Pol Pot n’est pas une page d’histoire que je connaissais et j’éprouve par ailleurs beaucoup d’admiration pour Dorrit. Huston est fidèle à son écriture : des phrases qui cisaillent, un verbe qui n’épargne pas le lecteur et une grande fluidité dans les dialogues.

Hélas, l’ensemble possède une nette propension à générer un malaise certain, et ce n’est pas une volonté de l’autrice. A la moulinette du grand générateur de la fabrique des monstres, Huston s’abstient tant de démontrer que de comprendre tant elle est occupée à se regarder le nombril.

A l’intérieur de Nancy

En faisant rentrer au chausse-pied son monstre intérieur dans celui de Pol Pot (oui, c’est sale), Nancy Huston pousse un peu mémé dans les orties. On a beau tous pouvoir basculer, pour nombre de raisons, la pertinence de la comparaison ne s’impose pas au fil de la lecture.

 

 

Nancy « too much » Huston

Quant aux choix littéraires, ils sont tout à fait dispensables. Huston choisit de tutoyer Saloth Sar et de parler de Dorrit à la troisième personne. Cette troisième personne, distanciation oblige, possède un vrai souffle narratif, qui transporte et prend aux tripes. Le tutoiement, en revanche, n’ajoute qu’une touche cucul et artificielle dont j’aurais bien fait l’économie – et vous aussi car on n’a pas besoin de ça pour 19,80 €.

Deuxième choix contestable : une postface puissante (à la troisième personne pour Pol-Pot, youpi), qui contient tout le propos déroulé pendant les 220 pages (90 pages chez un éditeur normal) et qui aurait dû, j’insiste, être la préface. Cette page est merveilleuse et aurait servi le livre par son souffle.

Enfin, enfin, mais pitié mais pourquoi nous infliger cette préface plate, prétentieuse, et longue comme un jour sans pain ? Nancy Huston s’y justifie en long, large et travers de sa légitimité à écrire au sujet du Cambodge. Rien ne nous est épargné, de son voyage en 2008 à la façon dont elle s’est mise au yoga. C’est non seulement inutile mais, pire, risible. So long, Nancy.

Le célèbre dictateur

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