Tag Archives: Madagascar

Taba-Taba, de Patrick Deville

23 Oct

Lu par…Bérénice

Taba-Taba n’aura pas lieu

 

 

 

 

J’avais acheté le Deville parce que j’avais bien aimé Peste et Choléra. Simple, travaillé, le roman qu’on offre à sa mère et dont on peut parler avec les copains, ça fonctionnait.

Dans Taba-Taba, on nous dit en 4e qu’un enfant aux hanches bretonnes, le narrateur, se balade dans un ancien lazaret. Mais, attention, ce que la 4e ne dit pas c’est que le narrateur n’est autre que…Patrick Deville ! Je vous dévoile un secret : ce livre n’est qu’un immense prétexte pour parler de lui.

D’abord, quand on est Patrick Deville et qu’on parle de l’histoire qui se mélange avec l’Histoire, on écrit tous les titres de ses chapitres comme un inventaire à la Prévert vu par un parolier français, mais sans majuscule car qui sommes-nous face au monde et au grand tout qui nous entoure ? une porte monumentale, à managua, un tapis magique, c’est touchant, on croirait lire la liste des titres de Bénabar.

On sent qu’au début l’auteur se retient un peu de trop parler de lui directement puis quand on arrive à des petites traces (il ne parle pas de ses caleçons), c’est un florilège. On s’ennuyait un peu et, bam !, l’agenda de Patrick Deville est soigneusement retracé sur plusieurs pages : en 2015 il était à l’hôtel Barcelo au Nicaragua, ensuite il est allé dans la Cordillère, puis au Finch Bay de Puerto Ayora, puis hôtel de la Rose à Fribourg, puis à Lyon, puis dans le Valais, puis à Chamonix, puis au Bauer à Venise (et ce n’est pas fini). Comme tout cela est très intéressant, ce spécial Fram voyages sur le thème Patrick Deville est parsemé de name dropping. On y apprend qu’il a parlé avec Edwin Madrid, puis avec Daniele del Guidice, puis d’autres. Ils sont sans doute sympas mais bon, on ne se connaît pas, et ça n’apporte rien à l’histoire. Subtilement, il parsème son histoire de références à « Yersin », une femme dont il est amoureux et dont il ne veut rien dire, ou alors juste un peu. Heureusement qu’il a choisi ce nom de code tout en mystère pour qui a lu Peste et Choléra, le bacille de la peste ayant été découvert par Alexandre Yersin. Le lecteur malin à peu de frais supputera que le grand chalet du Valais où il a fait des recherches lui a permis de trouver l’amour.

En outre, la prose est parsemé de ah-ben-dis-donc. Le sachiez-tu ? L’armée française contient énormément de contractuels. Ah et aussi il visite beaucoup de résidences diplomatiques. Il cite aussi toutes les îles appartenant aux DOM et DOM (y compris Tromelin) en expliquant que c’est une super ZEE, le tout au milieu d’une description d’une visite de l’ambassade au Mali. Patrick, le Mali n’est pas un département d’outre-mer.

Bref, Patrick Deville n’a pas un super bilan carbone et il sillonne la France en kès à la recherche des endroits où a vécu sa famille en parlant d’eux de manière très affectée. Il prétend chercher résoudre l’énigme des mots « Taba-Taba » répétés par le fou de l’ancien lazaret.

La lectrice, lassée peu après la page 85, ira directement à la fin du livre en survolant le reste (suffisamment pour se rendre compte que vers la page 415 il se compare à Jean Giraudoux) pour se rendre compte qu’il a tout de même osé émettre l’hypothèse qu’il puisse s’agir d’un hommage au lobby de la cigarette avant de l’abandonner aussitôt, sans doute dans un ultime sursaut de décence, pour se rabattre sur l’hypothèse vraiment totalement foireuse que ce serait un hymne à Madagascar. Sans doute bien introduit, Patrick Devillle a probablement voulu séduire le Président du jury, que l’on sait partial à cet île. Il a toutefois négligé que son livre tomberait des mains d’un lecteur moins acharné qu’un juré en quête de critique.

 

tabac-tabac ?

Mémoires d’Outre-mer, de Michaël Ferrier

30 Oct

Lu par Philippe

Moustache nostalgie

Moustache emballée

Le livre de Michaël Ferrier, Mémoires d’outre-mer, n’est pas exempt de défauts :
– Le pitch est trompeur et s’apparente à une trahison de l’éditeur  : l’opération Madagascar, préambule à la solution finale nazie, est totalement survendue sur la 4° de couv’, ce n’est tout simplement pas l’objet du livre, au mieux un détail de l’histoire… (Avec un petit « h ». C’était moins une…) ;
– L’auteur y est plus présent que dans son précédent et excellentissime « Fukushima« , pour peu de choses ;
– Il se la pète grave avec son amoureuse qui est une escrimeuse chinoise que ses potes aimeraient se taper ;
– Les moments de poésie, quand il parle de la nature et ses contemplations, sont moins nombreuses que dans le formidablissime « Fukushima ».
.
Le fait qu’il se trouve dans la sélection finale du Prix Virilo malgré ces agaçantes scories témoigne d’autant mieux de sa qualité.
Le fait que je préfère ce livre au Chevillard de l’année est une preuve indubitable de mon affection pour le style de cet auteur singulier, qui -je dois l’avouer par honnêteté intellectuelle- a donc lui aussi un grand-père enterré dans le cimetière de Mahajunga.
Mais partager un peu d’Histoire coloniale et familiale ne fait pas un coup de cœur littéraire. Encore fallait-il être à la hauteur de son récit, mais aussi des rêves et projections fantasmées d’un lecteur bercé par les récits malgaches de sa famille depuis le plus jeune âge.
Michaël Ferrier a réussi ce qui me semblait presque impossible, grâces lui en soient rendues ; il faut bien du talent…
.
.
.
Egalement lu par Paul
.
critique3

Moustache inégale

.
PLAIDOYER POUR CLIPPERTON
.
Nous avons coutume, au prix Virilo, d’étoffer nos lectures de rentrée d’ouvrages d’auteurs qui ont l’audace un peu folle de vivre en-dehors du Paris intra-muros de la littérature française – c’est-à-dire au nord de la rue Jacob ou au sud de la Closerie des Lilas. Cela nous conduit souvent à de très heureuses découvertes.
.

L’audience de notre site internet est d’ailleurs la récompense de cette diversité puisque le Prix Virilo est lu dans l’ensemble du monde francophone – ce dont nous ne sommes pas peu fiers – et plus particulièrement dans les Outre-mer. Salutations moustachues aux 35 lecteurs se connectant régulièrement depuis l’île de la Réunion, aux 18 Polynésiens, aux 11 Guyanais, sans oublier notre infatigable et seul lecteur de Saint-Pierre et Miquelon, qui est un peu notre chouchou.

Comme moi, ces lecteurs auront peut-être trouvé que l’ouvrage de M. Ferrier, en fait d’Outre-mer, était surtout un prétexte pour narrer la vie formidable de son aïeul (et par ricochet la sienne), s’inscrivant ainsi dans une trajectoire plus familiale que géographique. Trajectoire qui par endroits confine à ce mal français que l’on désigne pudiquement sous le terme de delphinedeviganisme.

Bien entendu cela n’enlève rien à la fraîcheur du récit de Ferrier, qui est distrayant et donne véritablement envie d’aller passer du temps Madagascar.

.

D’autres Outre-mer que le mien

Seulement voilà, quand on choisit d’intituler son ouvrage « Mémoires d’Outre-mer », peut-être faut-il aussi prendre le temps de quitter le sentier familial. Car les rares excursions de Ferrier hors de Madagascar font plouf. Je copie-colle ici le passage dédié à Clipperton :

« Et l’île Clipperton, à douze mille kilomètres de la France mais qui est la France quand même, depuis le 28 janvier 1931, par l’arbitrage de la Cour internationale et du roi Victor-Emmanuel III d’Italie. Le saviez-vous ? Nous avons des compatriotes en plein coeur de l’océan Pacifique, dans l’atoll le plus isolé du monde (selon les savants calculs de l’Union internationale pour la conservation de la nature), dans cet amas de graviers, de sables coralliens et de guano, peuplé de reptiles, de crustacés et de poissons, tous français comme vous et moi. »

« Le saviez-vous? » On aimerait partager l’extase de l’auteur devant cette découverte… mais quiconque s’intéresse un tantinet à l’histoire des territoires français dans le monde sait que nos compatriotes clippertonais ne sont aujourd’hui pas légion.

Ce qui ne veut pas dire que l’histoire de l’îlot est dénuée d’intérêt, bien au contraire. On en a même fait des romans et des films. Ce paragraphe du récit, aussi court soit-il, aurait sans doute pu s’en faire l’écho, et ainsi illustrer l’intérêt de l’auteur non pas pour « son » outre-mer mais pour tous « les » outre-mer.

Ce détail pourra paraître anecdotique à certains mais s’il est un message que porte l’Outre-mer – que nos lecteurs éloignés me pardonnent de m’exprimer en leur nom – c’est sans doute celui-ci : « nous ne sommes pas des anecdotes ».

Vue septentrionale de Clipperton. Aucune moustache à l’horizon.

L’Oragé, de Douna Loup

28 Oct

Lu par Bérénice

Moustache absolue

Moustache ravie

Madagascar, île lointaine et immensité inconnue ; face à la récurrence qui semble se dessiner sous les jaquettes de la rentrée, les jurés ont un instant craint l’installation d’une résidence d’écrivains outre-mer, nouveau transsibérien à la mode 2015. Galant, Mercure nous a détrompé (cette blague est offerte par le portail wiki des maisons d’édition).

Douna Loup raconte quatre années, de 1920 à 1924, de la vie des lettres malgaches, incarnées par Rabearivelo, jeune poète qui a choisi le français, et Anja-Z (Esther), poétesse de dix ans son aînée farouchement attachée à sa langue maternelle. Récemment passée sous l’autorité de Galliéni (en 1895), Madagascar est francisée, passée au filtre de la colonisation et de son sentiment de supériorité, Madagascar est ravalée, utilisée, abêtie. Aux racines de l’indépendance, quatre ans seulement suffisent à l’émergence d’une littérature ancrée dans son île, indubitablement malgache quelle que soit la langue dans laquelle elle s’écrit. Après un bref prologue qui court de 1907 à 1927, Douna Loup s’attache alternativement à la parole des deux poètes. Roman d’initiation autant que cri de liberté, E et R, comme Loup les désigne, s’épaulent et s’empoignent dans Antananarivo. Pacte scellé lors de leur première rencontre, ils veillent l’un l’autre à leur esprit créatif et critique.

R grandit, s’affirme, façonne sa liberté. Ce qu’il en fera est laissé au lecteur, ce dernier saura juste qu’E est demeurée poétesse et que R l’est devenu. L’ensemble est entrecoupé d’extraits percutants de la presse coloniale de l’époque. Symptomatiques, ces courtes phrases soulignent avec habileté le propos sans sombrer dans une fréquence qui tiendrait du procédé ni tenir la main au lecteur.

Une femme comme repère
Fière moustache malgache

Fière moustache malgache

Esther est la figure centrale de ce roman presque poésie, femme libre et autogouvernée, seule figure de proue de sa propre cohérence. Dans l’Antananarivo des années 20, cette indépendance demande du courage. Amante du français Malvoiz, journaliste dont on ne sait trop qui il est, ni ce qu’il pense, ni ce qu’il cherche, et de quelques autres, elle refuse toute domination et aspire à être sans contrainte. Inconnue (du moins me semble-t-il) de nos parcours ombilico-métropolitains, sans doute car elle fait le double affront de ne ne publier qu’en langue hova et d’être une femme, elle donne, en français pour une fois, une leçon de langue.

On croise quelques figures périphériques de ce monde de création, entre littérature et politique, mais on ne s’éloigne jamais des deux protagonistes, réplique du tiraillement qui vit en R entre langue maternelle et français pollinisateur. Ce tumulte créatif, E, souveraine de sa langue, en profite, funambule assurée, pour tracer le chemin. R s’en nourrit, s’étoffe, en profite pour picorer au passage au jeu de la séduction, dont on doute qu’il l’intéresse vraiment, et recherche sa voix, celle qui inclut et surpasse les prétentions civilisatrices.
La parole en morceaux

 

Loup permet, par une langue très poétique, se nourrissant de vocabulaire malgache, un roman où la richesse des mots tient une place prépondérante, sans négliger de brosser, beautés évocatrices, les odeurs planant sur les les collines, la lourdeur des couchers de soleil un rien grandiloquents et de ses levers un peu poussifs et le fourmillement de la vie posée sur la poussière. Poreuses à la poésie, les phrases de Loup sont ciselées, suspendues, reprises. Le rythme est réinventé par les dialogues et les scènes où le corps s’émeut.
Le mélange élégant entre poésie, éclairage d’une période sur laquelle on s’est ensuite entendu pour jeter un voile pudique et personnages historiques toutefois méconnus est brillamment mené.

%d blogueurs aiment cette page :