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La Cheffe, Roman d’une cuisinière, de Marie NDiaye

28 Oct

Lu par Alys

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Quatre moustaches puissantes

 

L’histoire d’une cuisinière surdouée racontée par un amoureux transi.

Celui qui raconte, c’est son ancien second et confident, qui a fini par tomber amoureux d’elle et tente de percer le mystère de son existence. On suit donc l’histoire de cette surdouée de la cuisine, depuis son enfance pauvre dans la campagne bordelaise, jusqu’à l’ouverture de son restaurant et son sacrement.

Malgré des procédés littéraires parfois trop présents (atermoiements dans le récit, phrases très longues, italiques pour parler du présent, etc.), qui rendent difficile l’entrée dans le roman, on finit par être intrigué de ce curieux personnage de cuisinière. Pas féminine pour un sou, à la fois attirante et glaciale, ses contours sont aussi flous que sa cuisine est précise.

Un discours intéressant sur l’aspect organique, originel de la cuisine, et de la nourriture. Sur l’ensorcellement du cuisinier et le rapport au plaisir. Pour raconter comment un personnage austère et froid est capable de donner tant de plaisir, jusqu’à partager avec ses clients une relation parfois très intime.

C’est du 4 moustaches, et on finit avec la dalle.

 

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La cheffe (allégorie Virilo)

 

 

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Mais aussi lu par… Beybey

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Pas mieux

 

La Cheffe est cette femme sans nom, uniquement une fonction qui devient état, à l’enfance miséreuse et au passage à l’âge adulte trop rapide, dont les cheveux perpétuellement tirés en sévère chignon contrastent avec une sa cuisine, riche et inventive.

Ancrée dans ce qu’on imagine être les années 70 à 90, elle fait son apprentissage involontaire chez les Clapeau, un couple semblable à son nom, qui fleure bon le Bordelais et la gourmandise, avant de s’établir à son compte.

Narré par un de ses commis de cuisine, quasi-omniscient car il aurait reçu ses confidences, le récit est tout de même biaisé car cet homme a haï tout de ce qui éloignait la Cheffe de lui. L’intériorisation des contraintes par la Cheffe et la justification de cette attitude est donc retranscrit avec beaucoup de distance, non sans ironie, un peu à la manière d’une Vipère au poing ou d’un L’Enfant, mais aussi très directement, car ledit commis ne se cache pas d’avoir éprouvé un amour total et intemporel pour sa patronne.

Le personnage de la Cheffe est un mystère, et sa distance glaciale intrigue. On s’acharne : l’envie, jusqu’au bout, de comprendre cette femme s’intensifie (et de mon point de vue, qu’on n’y arrive absolument pas fonctionne très bien).

On le savait, Marie NDiaye est une styliste : pas d’écriture blanche avec elle. Un peu exagéré parfois, les effets marqués me gênent peu dans La Cheffe. Il y existe en effet une totale cohérence du propos, une analyse poussée de la richesse de la langue opposée à la richesse des plats, un travail les descriptions qui ajoutent au mystère. Pourtant, et c’est ce qui la fait stagner à 4 moustaches, c’est un peu exagéré : la redondance de certains propos, l’italique du temps présent, l’histoire un peu factice de la fille de la Cheffe alors que sa relation à sa mère est très bien traitée. Au surplus, l’histoire tient sur un fil et on aimerait avoir un peu plus de chair dans la description de la vie de la cuisine, de cet appartement au-dessus du restaurant, de l’intense post-partum de cette femme sans attache.

Alors même que les plats de la Cheffe ne m’attirent pas (j’ai un peu l’impression d’avoir ça dans l’assiette), j’ai envie de comprendre comment cette femme quasi sans sexe gère son rapport au plaisir, comment il la motive et la dégoûte à la fois, car on reste captivés par son génie, et quels pourraient être ses traumatismes, dont finalement nous ne saurons que ce qu’on veut bien nous dire.

 

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Une sexualité introuvable

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Trois femmes puissantes, de Marie NDiaye

10 Oct

Gallimard

Lu par Paul

Trois histoires brèves, parfois croisées, présentant des destinées individuelles au confluent de l’Afrique et de l’Occident. A en croire critiques et quatrième de couverture, on s’attend à un ouvrage qui traite de la solitude, des rapports familiaux ou des différences culturelles entre générations. C’est en fait avec Marie N’Diaye qu’on a rendez-vous.

Car à l’évidence, ce n’est pas le traitement de ces thèmes, pourtant amené de manière très fine, dont il est question ici. Trois femmes puissantes marque par son écriture dense et claire. L’auteur plante une atmosphère en quelques phrases, dresse un réseau complexe de relations avec une simplicité qui ne peut laisser indifférent. Passé le cap des premières phrases (d’une longueur inattendue), le lecteur se familiarise avec la langue incomparable de Marie N’diaye. La composition tripartite du roman lui fait hélas perdre un peu de son souffle à mesure que l’on progresse dans la lecture, mais cela n’enlève rien à la qualité des premiers tableaux.

Lu par Philippe

Il est difficile de rater autant le titre d’un livre et sa quatrième de couverture. Félicitons la NRF qui semble avoir d’ailleurs demandé à l’auteur de relier très artificiellement les histoires entre elles.

L’écriture est travaillée et possède une vraie patte, dont je ne suis pas fan, mais que je reconnais. Le vocabulaire est très choisi, peut être un peu trop, ce qui pousse à des tournures emphatiques (du style « irrépressible besoin de ne pas comprendre »). Le style est très intimiste, et offre à ces contes un style hantant rare, où la justesse des images est saisissante. Cependant, cela peut rendre aussi la lecture un peu éprouvante. Les autres récits ont moins de personnalité et moins de force mais sont plus agréables à lire car ils s’affranchissent un peu de l’exercice de style de la première nouvelle. Reste ce rythme entêtant, comme l’odeur âcre des fleurs de flamboyants.

Lu par Bertrand

On peut être déçu par le caractère artificiel de la liaison entre les trois histoires qui constituent  ce roman. Chaque histoire a sa cohérence et surtout son style, ce qui renforce ce sentiment d’assemblage. Mis à part cette réserve, le livre de Marie Ndiaye offre un de ces moments de lecture assez rares quand en peu de mots, on prend la mesure d’une vie et quand des vérités qu’on avait seulement pu esquisser s’y trouve exprimées dans une langue d’une grande beauté. Et comme Marcel à la lecture de Bergotte, on a envie de « pleurer sur les pages de l’écrivain comme dans les bras d’un père retrouvé ».

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