Tag Archives: Mathias Enard

Boussole, de Mathias Enard

28 Oct

Lu par Gaël

Barbiche shizophrène

Barbiche voyageuse

Mathias Enard reprend les ingrédients qui font ses talents, après une très décevante Rue des voleurs.

Une longue méditation nocturne, à la poursuite d’une femme et de soi-même. On pense à Butor, on voyage beaucoup, un beau roman, où l’érudition sert pratiquement tout le temps le propos.

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Membre du jury du Virilo après une séance intensive de lecture de romans de voyage.

D’autres romans de Mathias Enard chroniqués pour votre plus grand plaisir par ici et aussi par là.

Pour seul cortège, de Laurent Gaudé

9 Nov

Mon empire pour un rasoir

Actes Sud

Lu par Marine

Alexandre s’est cassé le nez sur la prose de Laurent Gaudé

A chaque nouvel opus, l’œuvre de Laurent Gaudé est indéniablement en résonance avec les meilleurs de ses contemporains. Ainsi, si Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari voisine sur certains aspects avec Le soleil des Scorta (et là le Goncourt fait preuve d’une belle constance dans ses choix), la lecture de Pour seul cortège a un parfum du livre de Mathias Enard Parle-leur de bataille, de rois et d’éléphants. Il est ainsi prétexte à une langue riche, emplissant un espace spatio-temporel étroit mais qu’elle étire en dérogeant à la linéarité coutumière. La force et la faiblesse du livre sont d’ailleurs à trouver dans ce choix d’écriture.

Pour seul duvet

Il est en effet réjouissant de lire une belle langue étoffée, florissante même. Mais il est également un peu pesant de suivre une écriture qui tourne souvent au lyrisme exacerbé. Laurent Gaudé serait-il plus tragédien que les plus pompeux des tragédiens grecs ? Il est malin de montrer l’agonie d’Alexandre le Grand comme une cristallisation historique signifiante, mais il prend le risque de tirer un peu trop sur les coutures de « l’évènement » . Au final, l’impression reste que le tout rentre au chausse-pied dans un ouvrage heureusement relativement court.

Rue des Voleurs, de Mathias Enard

2 Sep

Gentils barbus

Editions Actes Sud

Lu par Stéphane

Le titre « Rue des Sacripans » avait plus de gueule

C’est un genre nouveau : nous l’appellerons le roman iTélé. Pages après pages, c’est l’info en continu, la priorité au direct : dans le roman iTélé, les personnages ne sont pas, comme dans Tolstoï, les jouets de grands mouvements historiques qui les dépassent. Ils sont, comme dans l’édition permanente, les témoins privilégiés de l’actu et mieux encore : puisque la fiction le permet, ils en sont des acteurs.
Il faut imaginer Mathias Enard en rédacteur en chef, tenant sa conférence de rédaction imaginaire sous la pression des événements qui défilent à l’écran…
–       Toi Bassam, va faire un attentat à Marakech. Judit !
–       Oui ?
–       Tu seras à Barcelone, parmi les Indignés. Et toi Lakhdar, tu t’occupes du reste.
–       Du reste ?
–     Oui : révolution arabe et immigration clandestine vers l’Espagne. Tu peux t’occuper de Mohamed Merah aussi ?
–       Ah non, je peux pas tout faire.
–       Bon, eh bien démerde-toi pour y faire référence à un moment alors.

C’est vraiment dommage que ça ne fonctionne pas, car l’idée était plaisante, de saisir par la littérature ce qui anime ces jeunes gens que l’on voit aux infos, héros, victimes ou terroristes. Est-ce la distance temporelle qui manquait ?

L’amour français de la culture arabe

L’auteur, spécialiste de la culture arabe et habitant de Barcelone, était pourtant plutôt bien placé pour parler de tous ces sujets. Les références érudites au Coran, aux grands explorateurs ou poètes maghrébins, ainsi que la beauté régulièrement soulignée de la langue arabe constituent d’ailleurs un des principaux intérêts de l’ouvrage.
Mais l’intrigue pêche vraiment trop par son invraisemblance, si bien que la violence des événements décrits nous laisse aussi indifférents que nous avons l’habitude de l’être devant notre poste de télé.

Que dire du personnage principal ? Vagabond, chassé de chez ses parents à peine adulte, mais lettré, vite érudit ; pieux mais ivre de liberté ; amateur du Coran et des polars gauchos de JC Izzo ; ouvert sur le monde, fidèle à ses racines : c’est une synthèse bien pensante de l’Occident et de l’Orient, un fantasme ambulant de Tanger à Montjuic, qu’on finit par détester. Il faut l’entendre parler pour comprendre : « Je ne suis pas un Marocain, je ne suis pas un Français, je ne suis pas un Espagnol, je suis plus que ça. Je ne suis pas un musulman, je suis plus que ça. »
Plus que ça ? Un homme sans doute, si j’ai bien compris. Mais plus encore qu’un homme, tu es une chimère, car tu n’existes pas un seul instant pour les malheureux lecteurs qui tentent en vain, 250 pages durant, de te rencontrer.

Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, de Mathias Enard

20 Oct

Actes Sud

Lu par Philippe

Sur une base historique solide, Enard nous conte la rencontre entre Michel-Ange et l’Orient, et se paie au passage un des plus joli titre de la rentrée.

Ave Zone, l’auteur nous proposait un livre qui se passait dans un train, mais absolument illisible sur un trajet « Saint-Etienne Chateaucreux – Paris Gare de Lyon ».

Avec « Parle-leur… », la tendance est bouleversée : ce livre se lit très bien sur le trajet « Lille-Europe – Marseille Saint-Charles ». C’est dépaysant, érudit sans perdre le lecteur, sans autre ambition que de bien raconter. C’est bien. Sans plus, sans moins.

Au plutôt si, un moins :

« Un Homme sans moustache, c’est comme une maison sans balcon » Proverbe turc.

Tant de janissaires et de fiers ottomans imposaient une ou deux descriptions folkloriques.

Je vous le donne en mille : pas une ligne, rien. Ce n’est plus une faute de goût à ce niveau là, c’est une vraie lacune historique.

Nous attendrons qu’il sorte en poche pour vérifier la correction.

Re-lu par Claire

À la naissance du XVIe siècle, le sultan de Constantinople appelle Michel-Ange à son service pour le charger de la conception d’un pont destiné à traverser le Bosphore. Michel-Ange, alors miséreux et en froid avec le Pape qui lui doit une commande, part vers l’inconnu, son orgueil ne pouvant s’empêcher de répondre au défi : il réussira là où le grand Léonard de Vinci lui-même a échoué.

Mathieu Enard met en scène un Michel-Ange méconnu du grand public, alors au tout début de sa carrière. Déjà connu par ses contemporains, l’artiste est sauvage, solitaire, difficile, et met du temps à oser prendre le pouls de cette Constantinople si différente. Il lie des liens dont il n’a pas l’habitude : Mesihi, le grand poète, un marchand mystérieux, il s’enivre du souvenir d’une jeune chanteuse qui a le pouvoir de le troubler, lui l’homme de marbre. Il finira par fuir, les dessins commandés achevés, victime des conspirations politiques de ces temps compliqués. Homme à l’égo trop important, tout entier impliqué dans un processus créatif intense, il est impuissant face aux rouages des grands de son temps.

Le récit imagé et coloré de Mathieu Enard est agréablement rythmé par des phrases et des chapitres courts. Ses formulations poétiques, ses descriptions des sons et des couleurs, des rapports humains, des non dits, de l’ambiance tout à la fois feutrée et exubérante de la cour de Constantinople, étoffe ce court roman d’une texture sensuelle et envoûtante. La psychologie de Michel-Ange et l’analyse de ses réactions est bien menée, crédible, et passionnante pour nous qui avons été bercé par l’œuvre de l’artiste, même si « Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants » reste une fiction.

Le format, le thème choisi d’un épisode précis de la vie de Michel-Ange, mais aussi la structure séquencée de ce livre, en font une nouvelle sensible que l’on aimerait recommander à tous ceux curieux de la vie passée des grands artistes qui participent de notre culture européenne. Il permet en outre de s’intéresser à un contexte historique complexe de manière littéraire.

Mais aussi lu par Marine. 

C’est bon, c’est délicat, c’est soyeux, c’est appétissant, ça se mange et se boit bien. Et le lendemain, on n’est pas balloné ni n’a-t-on de gueule de bois, car c’est très digeste. Un bon vin d’apéro, en somme.

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