Actes Sud
Lu par Gaël
A chaque rentrée littéraire, ses nazis !
Comme on n’avait pas de roman sur le guerre d’Algérie, autre thème obligé des rentrées littéraires françaises, il nous fallait une histoire de nazis dans les finalistes du Prix Virilo 2013, et ce fut Kinderzimmer. En première approche, le pitch en rajoute un peu dans le sordide : Mila, musicienne professionnelle et résistante française dont la tâche clandestine consiste à coder des messages de la résistance dans des partitions, est déportée à Ravensbrück à l’automne 1943. Comme ce n’était pas assez sordide, elle arrive enceinte de quelques jours, puisqu’elle a fait l’amour avec un anglais inconnu qu’elle a abrité la veille de son arrestation. La scène, qui serait éligible au Prix Trop Virilo si le reste du roman n’était pas de qualité, est d’ailleurs quelque peu gratuitement romanesque. Le roman raconte son internement, comment elle dissimule sa grossesse (qui lui vaudrait la mort immédiate si les SS la découvraient), comment elle accouche finalement et vit les premiers mois de son fils dans l’enfer concentrationnaire. Sujet un peu lourd, qui est un peu au roman de camp (genre officiellement reconnu par votre jury) ce que la forêt noire est à la pâtisserie.
L’espèce humaine conjuguée au féminin
Le roman a d’indéniables qualités (sinon, pourquoi un jury si éclairé l’aurait-il intégré au palmarès ?). Inspiré de faits réels, il éclaire un des aspects les plus sordides d’un fait historique qui en a sa part. Il est aussi très beau par la manière dont il décrit les solidarités féminines, ténues et précieuses, au milieu d’un genre qui s’appuie trop souvent sur un très irréaliste héroïsme masculin. La question de l’apparition de la vie dans un camp de la mort interroge au plus profond : Mila passe l’essentiel de sa grossesse, non pas à attendre le miracle de la naissance, mais à la nier, à la fois parce que rien dans son apparence et son comportement ne doit laisser deviner son état, à la fois parce qu’elle n’est finalement à aucun moment certaine d’être enceinte (elle ne prend évidemment pas de poids, et l’aménorrhée était quasiment généralisée parmi les femmes déportées), et surtout parce qu’elle pense que cette naissance sera immédiatement suivie de la mort, non seulement de son enfant mais également de la sienne. Elle découvre tardivement que le camp, entre autres absurdités, comporte une nurserie, la Kinderzimmer du titre. Îlot plus que précaire de vie, dont la deuxième moitié du roman explore le fonctionnement et les aléas.
L’écriture et la vie ?
J’ai pourtant été assez gêné par ce livre. Le sujet recèle sa part d’originalité, certainement. Mais je trouve très dur d’écrire encore quelque chose de neuf sur la souffrance et l’héroïsme quotidiens, sur la faim et la mort dans les camps, quand tant a déjà été dit par les survivants eux-mêmes. La difficulté est que l’auteure semble elle-même empêtrée dans la violence de son sujet ; le thème de l’enfantement, originalité du roman mais horreur parmi les horreurs, doit être abordé frontalement et l’écriture s’y heurte. Les descriptions lyriques des paysages du Mecklembourg enneigé, les accès de tendresse pour les colonnes de prisonniers masculins, le bréviaire répété des horreurs que la narratrice se doit d’emporter dans l’après guerre pour témoigner, le ton romanesque qui imprègne cette histoire sont de trop, comme s’il fallait ménager des respirations.
Les poilus parlent aux poilus