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Assommons les pauvres, de Shumona Sinha

3 Oct

Editions de l’Olivier

Lu par Gaël

Assommons le duvet

Ce petit livre autofictionnel raconte l’expérience de Shumona Sinha dans un organisme, jamais nommé mais que l’on sait être l’office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Elle y était traductrice, au contact donc de ses « concitoyens » parlant le bengali. L’écriture n’est en aucun cas descriptive ou sociologique : l’auteur en dit juste assez pour planter le décor et laisser se déployer l’analyse psychologique de sa confrontation avec cet organisme et ses « usagers », les demandeurs d’asile.

certes, mais ils se réveilleront

La description du rôle très paradoxal dans lequel se trouvent plongés les « officiers de protection », chargés de déterminer si les demandeurs d’asile sont bien fondés ou pas à bénéficier l’asile, et avec eux la traductrice, est très fine et adroite. Les officiers sont à la fois au service du droit d’asile et de la protection des personnes. Mais en même temps, l’Etat les a chargés d’écarter les demandeurs non fondés. Flics, ou humanitaires ? Les deux et le grand écart de conscience que cela leur occasionne est très bien décrit, jusque dans l’absence de solution possible.

Ce grand écart est redoublé par celui qui envahit la narratrice : indienne, bengalophone et vivant de cette compétence, elle a pourtant clairement choisi de vivre en France. Le livre est implicitement très critique de la notion de racine et porte une revendication universaliste très forte : la patrie, c’est là où on a choisi de vivre. L’environnement professionnel de la narratrice, les demandeurs d’asile auxquels elle a affaire, la plongent sans cesse dans des situations paradoxales : celle, par exemple, de contribuer à refuser à un homme le déracinement pour lequel elle a pourtant lutté. Elle les analyse en détail, de même que la pente délétère sur laquelle elles l’engagent.

Lecture publique théâtralisée par un juré

Là où le livre ne se suffit pas tout à fait, c’est qu’il double cette analyse au scalpel, et finalement très inconvenante, d’un style trop riche en métaphores ciselées. Le fonds de l’ouvrage est rude et aurait mérité une langue âpre, sans doute une analyse plus en profondeur de ce que ces situations peuvent signifier psychologiquement mais aussi politiquement. La grande froideur de la narratrice vis-à-vis des demandeurs (au point qu’elle en arrive à assommer celui du titre), qui est une des trouvailles du livre et une grande source de son intérêt, souffre de la préciosité de l’écriture. Autre préciosité superflue, l’auteur insiste longuement sur le cadre urbain de son travail, qu’elle trouve révulsant (alors qu’il n’est que banlieusard). Au final, tout cela fait passer l’absence de bons sentiments pour du cynisme, et la subtilité pour de l’affectation.

Je n’ai pas lu les autres ouvrages de Shumona Sinha mais il semble qu’elle se soit déjà largement dégagée d’une gangue d’écriture germano-pratine. Gageons qu’elle poursuive sur cette trajectoire et nous livre prochainement un grand portrait du déracinement, qui fasse aboutir les thèmes de Assommons les pauvres !

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