Tag Archives: rentrée littéraire 2016

Les états et empires du Lotissement Grand Siècle, Archéologie d’une utopie, de Fanny Taillandier

29 Oct

Lu par… Anne

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Bacchantes épanouies

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Il n’aura pas échappé à la vigilance du lecteur attentif que le jury du Virilo a cette année retenu dans sa sélection un livre qui ne devrait a priori pas s’y trouver, puisqu’il est publié par les très sérieuses Presses Universitaires de France (dites PUF, ou Pupuf pour les intimes). « Quoi ?! Comment ?! C’est un scandale !!! Un essai dans la sélection du Virilo ?! Mais de qui se moque-t-on ?! », entends-je d’ici les plus puristes s’écrier.
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La réponse, chers amis, est plus complexe, car si le livre est en effet publié dans la collection « Perspectives critiques » (dont je ne vous dirai rien, faute d’en savoir davantage), il s’agit bel et bien d’une fiction — comme tout objet littéraire, me répondrez-vous avec un petit rire cuistre et satisfait. Pour autant, ça n’est pas un roman, même si l’on peut en faire le résumé que voici :
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A la suite d’un changement cataclysmique, baptisé Grand Fracas par ses survivants, le monde que nous connaissons a disparu pour laisser place à une société nomade. L’un de ces groupes parvient jusqu’au Lotissement Grand Siècle du titre, supposément situé sur la commune de Versailles. Banlieue-dortoir haut de gamme dans toute sa splendeur, elle se compose de plusieurs centaines de pavillons quasiment identiques, tristement répartis autour d’axes de circulation. Les nouveaux arrivants vont explorer et tenter de comprendre cette curiosité urbanistique et la société qui a pu l’engendrer, grâce à leurs propres observations et suppositions ainsi qu’à l’aide de documents retrouvés dans les ruines.
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A travers cette exploration qui prend des tournures aussi diverses que plaisantes (description des lieux, éloge du parpaing, rapport de détective privé, etc.), c’est tout un mode de vie individualiste, productiviste, hypocrite et forcément délétère que Fanny Taillandier dénonce. Mais elle le fait avec finesse, humour et de beaux morceaux de style.
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Ce livre est une fiction car tout ce qu’elle y décrit est à l’évidence complètement mythonné, quoique bien évidemment inspiré de la réalité ; ça n’est pas un roman car tous les codes du genre (personnages, narration – ressortez vos Annabac sur le sujet et complétez vous-mêmes) y font défaut, mais il y a assurément là plus de littérature que dans la plupart des livres que l’on peut trouver dans la catégorie « 1 Moustache » de notre prix. Si en de rares moments, on peut déplorer un léger manque de chair, d’incarnation, on en ressort pas moins ébloui par ce tour de force et sans doute un peu moins con.
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Emmanuel (Carrère), accroche-toi à tes bretelles, la relève est en marche, et elle a un sacré talent.  
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Cette rentrée littéraire réservait finalement quelques belles surprises

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La Cheffe, Roman d’une cuisinière, de Marie NDiaye

28 Oct

Lu par Alys

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Quatre moustaches puissantes

 

L’histoire d’une cuisinière surdouée racontée par un amoureux transi.

Celui qui raconte, c’est son ancien second et confident, qui a fini par tomber amoureux d’elle et tente de percer le mystère de son existence. On suit donc l’histoire de cette surdouée de la cuisine, depuis son enfance pauvre dans la campagne bordelaise, jusqu’à l’ouverture de son restaurant et son sacrement.

Malgré des procédés littéraires parfois trop présents (atermoiements dans le récit, phrases très longues, italiques pour parler du présent, etc.), qui rendent difficile l’entrée dans le roman, on finit par être intrigué de ce curieux personnage de cuisinière. Pas féminine pour un sou, à la fois attirante et glaciale, ses contours sont aussi flous que sa cuisine est précise.

Un discours intéressant sur l’aspect organique, originel de la cuisine, et de la nourriture. Sur l’ensorcellement du cuisinier et le rapport au plaisir. Pour raconter comment un personnage austère et froid est capable de donner tant de plaisir, jusqu’à partager avec ses clients une relation parfois très intime.

C’est du 4 moustaches, et on finit avec la dalle.

 

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La cheffe (allégorie Virilo)

 

 

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Mais aussi lu par… Beybey

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Pas mieux

 

La Cheffe est cette femme sans nom, uniquement une fonction qui devient état, à l’enfance miséreuse et au passage à l’âge adulte trop rapide, dont les cheveux perpétuellement tirés en sévère chignon contrastent avec une sa cuisine, riche et inventive.

Ancrée dans ce qu’on imagine être les années 70 à 90, elle fait son apprentissage involontaire chez les Clapeau, un couple semblable à son nom, qui fleure bon le Bordelais et la gourmandise, avant de s’établir à son compte.

Narré par un de ses commis de cuisine, quasi-omniscient car il aurait reçu ses confidences, le récit est tout de même biaisé car cet homme a haï tout de ce qui éloignait la Cheffe de lui. L’intériorisation des contraintes par la Cheffe et la justification de cette attitude est donc retranscrit avec beaucoup de distance, non sans ironie, un peu à la manière d’une Vipère au poing ou d’un L’Enfant, mais aussi très directement, car ledit commis ne se cache pas d’avoir éprouvé un amour total et intemporel pour sa patronne.

Le personnage de la Cheffe est un mystère, et sa distance glaciale intrigue. On s’acharne : l’envie, jusqu’au bout, de comprendre cette femme s’intensifie (et de mon point de vue, qu’on n’y arrive absolument pas fonctionne très bien).

On le savait, Marie NDiaye est une styliste : pas d’écriture blanche avec elle. Un peu exagéré parfois, les effets marqués me gênent peu dans La Cheffe. Il y existe en effet une totale cohérence du propos, une analyse poussée de la richesse de la langue opposée à la richesse des plats, un travail les descriptions qui ajoutent au mystère. Pourtant, et c’est ce qui la fait stagner à 4 moustaches, c’est un peu exagéré : la redondance de certains propos, l’italique du temps présent, l’histoire un peu factice de la fille de la Cheffe alors que sa relation à sa mère est très bien traitée. Au surplus, l’histoire tient sur un fil et on aimerait avoir un peu plus de chair dans la description de la vie de la cuisine, de cet appartement au-dessus du restaurant, de l’intense post-partum de cette femme sans attache.

Alors même que les plats de la Cheffe ne m’attirent pas (j’ai un peu l’impression d’avoir ça dans l’assiette), j’ai envie de comprendre comment cette femme quasi sans sexe gère son rapport au plaisir, comment il la motive et la dégoûte à la fois, car on reste captivés par son génie, et quels pourraient être ses traumatismes, dont finalement nous ne saurons que ce qu’on veut bien nous dire.

 

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Une sexualité introuvable

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Les Parisiens, d’Olivier Py

28 Oct

Lu par Alys

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Donne plutôt tes 22 euros à la Croix Rouge, steup’

Un jeune provincial gay et arriviste débarque à Paris et tente de percer (au sens propre comme au figuré) comme metteur en scène. Le pitch s’arrête plus ou moins là.

Tout d’abord, le livre remporte haut la main le prix de la couverture la plus moche de la rentrée littéraire. Mais aussi celui de la 4e de couv la plus ambitieuse puisqu’elle annonce sans complexe un roman « orgiaque et lyrique, dérisoire et grandiose ». 

Bon. En fait, on se tape un récit sur le microcosme culturel parisien, qui aurait pu être drôle, ou même triste. Mais en fait ça fonctionne pas et on s’emmerde. L’arrogance et l’ignorance de l’auteur invalident son discours. Pas de beauté, pas de fulgurances, pas de grandiose. Du cynisme ça oui, vous l’avez compris, le Parisien est un être cynique (tu parles d’une nouveauté). 

Non seulement c’est pas nouveau, mais en plus, on se fade des scènes de sodomies franchement répétitives, et on a droit aux considérations vaseuses de l’auteur sur la vie, la religion, l’âme, le corps, et bien sûr Paris. Du genre : « la splendeur haussmannienne est construite sur le charnier de la colonisation, et on peut toujours, par les soupiraux de la Préfecture, entendre les plaintes des Africains en détention par dessus le râle de la ville tout entière qui jouit de sa supériorité culturelle ». Oui, ça pique.

Ensuite on se dit, toute cette débauche de bites, ces mondanités inutiles et ces discours pseudo-métaphysiques, ben ça a un côté sacrément has-been. Cœurs secs et bouches humides. Comme un porno gay des années 90 qui aurait vraiment mal vieilli.

Exemple :

« Est-ce qu’il y a encore un espoir de vivre autrement que dans le chatoiement perpétuel des fêtes parisiennes ? Il faut demander encore à l’oracle, le serveur qui fume dehors derrière le café, dans une pose extatique, sous les cieux apocalyptiques. Il le rejoint et il voit ses souliers usés qui jouent à piétiner une bouteille en plastique.

– T’es mignon tu veux que je te suce ? demande Aurélien, frondeur.

– Pourquoi pas ? Répond le serveur. Je finis dans une heure. Tu viens chez moi ? »

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L’auteur, surpris dans un élan créatif

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Bon le problème c’est que c’est écrit en 2016, censé être « lyrique et grandiose » alors on tourne les pages en se disant que ça va peut-être venir, que quelque chose, autre que du sperme, va jaillir de toute cette médiocrité.

« – Parfois je pense que tu m’aimes vraiment

– Je vais te trouer le cul en écoutant les symphonies de Bruckner par Celibidache pour t’humilier doublement. »

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Aux 2/3 du bouquin, quand l’un des protagonistes qui a perdu son père en chie une pendule au point d’aller dormir sous les ponts avec des réfugiés, on se dit qu’on en a vraiment marre. Quand est-ce que ça se termine en orgie géante, qu’on en finisse. 150 pages de débauches inintéressantes et ça y est, il y en a qui crèvent, d’autres qui héritent, d’autres enfin qui récupèrent la direction de l’Opéra de Paris.

C’est bon, c’est fini, l’amour a gagné. Nous, on a rien appris, rien ressenti mis a part l’ennui, et on referme ce bouquin en se disant « quelle daube ».

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Le saviez-vous ? Le papier se recycle très bien en accessoires utiles de la vie quotidienne.

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Le bon fils, de Denis Michelis

14 Oct

Lu par … Gaël et Beybey

 

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Y a un poil dans mon prozac

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Le pitch est troublant : un père et son fils, une nouvelle vie dans une nouvelle maison à la campagne, un mystérieux ami qui resurgit du passé. Ça sent la métaphore gracqienne, voire le conte fantastique.

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Fig 1 : Test de Rorschach

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D’ailleurs, de Gracq, beaucoup d’italiques (topos 2016 ?), et du conte fantastique c’est plutôt l’atmosphère de Poe qui émerge (la mystérieuse porte de cave du début y fait beaucoup).

On se dit que ça part bien, Michelis arrive à instaurer une espèce de trouble gluant qui pousse à dire au héros, comme dans un film d’horreur tendance psychologique, « mais casse-toi imbécile, il est encore temps de faire demi-tour ». Sauf que lorsque le héros est un ado, que son prénom change en cours de route (excellente idée finalement peu aboutie) et que dans sa tête c’est compliqué, ça devient une gajeure.

En fait on a rapidement envie de lâcher ce roman qui n’arrive pas à décoller (envie réalisée pour 50 % du panel de lecture). Les monologues de l’adolescent exclu et maltraité par son père narcissique sont un peu convenus, la langue ado certes mais trop plate. La maison occupée mais à peine habitée est un peu trop étouffante.

Nous attendions une ouverture vers ailleurs (la cave s’ouvre finalement mais d’Edgar Allan point, on se retrouve déçus par cet endroit trop convenu), pas forcément un espoir mais du volume, de l’arrivée du mystérieux Hans. Ça n’a pas décollé assez rapidement. La déprime doit être flamboyante, ou elle ennuie vite.

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Fig. 2 : Juré sous hypnose

 

Possédées, de Frédéric Gros

9 Oct

Lu par Gaël

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Poil de la Bête

 

Première incursion dans le monde du roman pour ce philosophe, spécialiste du pouvoir et de Foucault, et essai transformé assurément. Dans tous les sens du terme car ce roman est une très belle illustration de ce que signifie le pouvoir, jusque dans la chair des personnages. Il ne faut pas s’amuser à y chercher des échos de théories ou une volonté didactique, mais bien plutôt un cri, une alerte, contre les dégueulasseries auxquelles la puissance et les jeux politiques donnent libre cours.

Le cadre est celui de l’affaire des possédées de Loudun, épisode qui déchira le Poitou dans les années 1630, et qui serait clochemerlesque si sa fin n’en était pas tragique. L’alchimie est simple : quelques jeunes religieuses pétrifiées par l’ennui, un jeune prêtre beau, convaincu et brillant mais trop à l’étroit dans l’abstinence imposée, des jaloux de province, une poignée de fanatiques dont la joie est dans la destruction, et quelques lointains puissants pour lesquels Loudun n’est qu’une case sur leur échiquier à trois bandes. Les religieuses se croient visitées par le diable, les jaloux et les fanatiques soufflent sur les braises, les puissants voient dans l’élimination du prêtre suppôt de Satan une voie facile vers une victoire à laquelle personne n’a intérêt à s’opposer.

 

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Le poids des responsabilités, le choc de la pilosité

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La narration est fluide et brillante, la vie d’une cité provinciale du 17ème siècle sur le retour rendue avec vivacité, la destinée qui conduira à la fin tragique est présente tout du long . Le coeur du propos, c’est l’histoire d’Urbain Grandier, prêtre convaincu que la bonne foi, le soutien de la communauté et la justice immanente triompheront. Bien sûr, il n’a rien compris, car le jeu du pouvoir, inventé par les hommes aux passions tristes, ceux auxquels réussir une vie ne suffit pas au point qu’ils se mêlent de celle des autres, le rattrapera malgré toute son intelligence et son courage. Peinture crépusculaire et éclairante d’un monde dans lequel on était vite broyé par la Raison d’Etat, à méditer en ces temps où l’autorité de la République constitue la nouvelle passion.

 

Hiver à Sokcho, d’Elisa Shua Dusapin

8 Oct
Lu par Gaël
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Bouc naissant

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J’avais acheté ce roman au hasard, attiré par sa très graphique couverture, les 24 ans de son auteure, sa quatrième de couverture qui promettait un Emploi du temps mâtiné de Lost in Translation.
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Du bleu, du blanc, du rouge, dusapin

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De fait, ce court récit d’une rencontre avortée entre un auteur de BD normand à la recherche de l’inspiration, et une jeune coréenne née d’un père français et inconnu m’en a donné pour mon argent. Le personnage principal (comme chez Butor, selon moi), c’est le décor choisi : Sokcho, dernière ville d’importance avant la frontière avec la Corée du nord sur la côte de la mer du Japon.
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Un port de pêche industriel, devenu bout du monde par la passion des tracés frontaliers, noyé dans les brumes et la torpeur et où tentent de surnager quelques traditions coréennes (le livre fait notamment la part belle à d’épiques descriptions de la rustique nourriture locale). Un lieu fait pour l’exil, des deux personnages principaux mais également d’une galerie de personnages secondaires, notamment les clients de la pension où travaille l’héroïne et où aurait pu se produire la rencontre.
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Le savais-tu ? Les plus grandes stars de la K-pop ne manquent jamais la soirée de remise du Virilo

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Indubitablement, l’atmosphère est fortement rendue, de même que les tensions qui agitent l’héroïne déchirée entre une mère trop présente mais qui a abdiqué, une France inconnue au fumet d’Oedipe et une vie impossible à Séoul, trop loin, trop chère. Sokcho est une sorte de point d’équilibre du rien, patrie sans joie mais sans danger. Il y a des promesses dans ce roman, qui s’englue un peu dans trop de couches de mélasse : l’écriture est à l’image du décor qui imbibe lui-même les personnages. Rapidement, écriture blanche, ville post-industrielle en déclin et apories des contacts humains forment un cocktail d’où on a hâte de s’extraire, non pas parce que c’est mauvais mais parce que le manque d’espoir finit par y raréfier l’oxygène.

Une auteure à suivre, donc, dont on espère qu’elle retrouvera un peu de goût à la vie.

Le Grand Jeu, de Céline Minard

7 Oct

Lu par Bérénice

 

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Moustache abîmée

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Je suis de celles qui ont adoré Faillir être flingué (prix Virilo 2013). Précédé par une immense réussite et possédant un titre historico-kiplingesque parfait, je me suis jetée sur Le Grand Jeu sitôt aperçu en librairie.

L’histoire tient en peu de mots : la narratrice, à la recherche d’elle-même et du dépassement, s’enferme dans la solitude la plus hostile et s’exerce au monde (après avoir tout de même acheté un gros morceau de montagne, fait hélitreuiller son nouvel habitat et acquis le nec plus ultra du matos, plus un violoncelle – sans doute un Stradivarius mais qu’importe, croyons-la lorsqu’elle précise que l’argent n’a aucune importance pour elle).

Sur ces hauteurs vertigineuses qu’elle parcourt avec l’agilité de l’écureuil, mais toujours finalement sur le même sentier, elle n’avait pas prévu la confrontation, au lieu du rien sinon elle, avec un être humain, improbable résident des mêmes hauteurs, occupant petit à petit son espace, ses sentes, ses pitons, ses refuges. La suite en trois mouvements :

Jalousie.

Rencontre ?

Jeu de la vie, jeu de la mort !

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Fig. 1 :  Juré portant un regard inquiet sur la rentrée littéraire 2016

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C’est très beau, mais c’est décevant. En étant plus introspectif, c’est moins abouti, trop écrit (exercice de style, je crie ton nom), presque auto-fictif (impression laissée sans doute à tort) et en tout cas oubliable.

Céline Minard fait preuve d’une maitrise ciselée de la langue dans ses descriptions, qu’il s’agisse de l’escalade (elle qui aime tutoyer les sommets mais a, de manière incompréhensible, expressément refusé le Prix Virilo), à laquelle je ne connais rien -mais j’ai transpiré quand même-, d’un intermède potager tout plein de noms précieux et d’une efficacité contestable, ou même du violoncelle, duquel je suis plus familière (et là non plus elle n’épargne pas sa narratrice : dix minutes de Pression de Lachenmann me semblent au moins aussi épuisantes physiquement que l’ascension de son 2 871 mètres fétiche).

Fig. 2 : juré méditant à la recherche d'un accessit

Fig. 2 : juré méditant à la recherche d’un accessit

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Pourtant, pourtant… on s’y ennuie. Le grand jeu de la mystérieuse nonne et de l’ermite suréquipée est-il autre chose qu’un manifeste capitalo-survivaliste?

Légende, de Sylvain Prudhomme

3 Oct

Lu par Bérénice

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poil sec

 

Légende, de Sylvain Prudhomme, possède une très belle photographie de couverture et un résumé alléchant. Deux choses dedans m’ont poussée à l’acheter : la mention de Madagascar – la cuvée 2015 ayant rendu incontournable le sujet des outre-mers – et celle d’un constructeur de toilettes sèches publiques – chacun ses failles.

Soupe aux cailloux et aux herbes sauvages

Dans la plaine de la Crau, 500 km2 de terre caillouteuse et sèche mais au foin AOC au sud des Alpilles, deux hommes devenus amis se racontent, l’un plus que l’autre. Nel, fils et petit-fils de berger, enfant du pays devenu photographe, fasciné par cet Anglais providentiel qui sait tout faire et, à ses heures perdues et néanmoins nombreuses, s’improvise réalisateur.

 La sciure et les cailloux créent presque une tenture de western ; la Crau s’y prête. Sylvain Pruhomme  réussit avec succès à unir, dans ses premières pages, l’esprit du lecteur et l’oeil de Nel, photographe perché. La lisière de cette plaine fourmillant d’activité industrielle, Arles hors-les-murs du désert, activités modernes auxquelles aboutissent les rubans d’asphalte, tout ce qui n’est pas vent et herbe paraît malveillant, signe de progrès douteux et de civilisation contestable.

Dans la Crau, pourtant, une discothèque. Vingt-cinq ans de night-club sudiste, drainant les habitants du coin sur plusieurs kilomètres, dépassée par son succès et en jouant à la fois, entre meuglements de locaux et taureaux alcoolisés. La Chou, c’est son nom, devient hype (et pourquoi pas, mais c’est difficile à croire).

Matt, l’Anglais entrepreneur qui neutralise les odeurs, découvre les lieux, ses habitués, leur nostalgie. La Chou a fermé, elle s’est éteinte après des années d’épidémie du sida et de transhumances humaines. Elle revit, le temps d’une soirée, comme Renaud à l’Olympia : c’est très médiatisé, on sait que ça sera sera mauvais mais tout le monde y va, moitié par pitié, moitié pour pouvoir dire y être allé.

L’âge d’or de la Chou est mort, et aussi les cousins de Nel, les frères Fabien et Christian, ados de facto émancipés et qui fascinent Matt comme ceux qui les ont connus. Fabien surtout, enfant solaire derrière ses persiennes, à la coterie indéfectible, le hante, et au travers lui Christian, le petit, le paumé.

Discothèque de province, une allégorie (crédits François Prost)

Discothèque de province, une allégorie (crédits François Prost)

Légendes anecdotiques

Tout est légende, chez Sylvain Prudhomme : la Chou, Olympe de la Crau ; Fabien et Christian, Romulus et Remus, Caïn et Abel locaux ; jalousie de  Nel envers Matt lorsqu’il voit lui échapper sa famille et ses secrets, son héritage, Héra pastorale ; grand-mère Josette impotente, babayaga urbaine ; Fabien, joueur de flûte nocturne.

Autant de légendes, c’est trop pour en construire une seule, même familiale, même unique. Tout se bouscule et la légende que poursuit Matt se révèle être un sujet de Jean-Pierre Pernaut, spécial Camargue.

Le récit se perd dans son déroulement et chaque évènement reçoit in fine le traitement réservé tant aux toilettes sèches publiques de la quatrième de couverture (quelque part un varan mort les bouche, à environ 3/4 du livre) (ont-elles été absorbées par l’entrepreneur neutralisateur ?) qu’à Madagascar (des parents y habitent, un cousin y retourne, il s’y trouve des papillons, c’est finalement inutile et un peu boring).

Deux scènes se placent au-dessus de la multiplication des pains littéraires : l’interview d’un ex-mineur des Cévennes, nom de scène Lolita, habitué estival et qui, post-veuvage, déménage pour pouvoir chaque soir être Iphigénie, puis ce souvenir de Nel, ravivé par la visite des souvenirs, de sa grand-mère refusant son champ à des campeurs allemands, par haine atavique.

Camouflet herculéen

Tout ceci aura peut-être mérité trois moustaches si Sylvain Prudhomme n’avait pas mis en exergue une citation du « Prométhée délivré » d’Eschyle. La Crau, c’est ce champ où Hercule put faire face à l’armée entière des Ligures grâce à l’intervention providentielle de Jupiter, c’est cet héritage de cailloux tombé du ciel à travers les siècles.

Ni Hercule ni Prométhée ici ne combattent, si ce n’est eux-même, personne n’est replacé dans le panthéon auquel il appartient de droit. Surtout, Eschyle avait d’Hésiode élimé les accessoires, les éléments inutiles et, dans sa troisième tragédie, fait d’Hercule son principal héros. Or, dans Légende, tout est fouillis, tout est anecdote et Hercule-Fabien, ou Hercule-Christian ne se battent pas contre une armée de Ligures, il se battent contre eux-même, le dragon des mythes herculéen pré-Eschyle, l’auteur qui transforme la Tarasque en armée ennemie pour la beauté du mythe.

Il n’y a d’ennemi qu’intérieur, Hercule est mort, Prométhée ne sera pas délivré. Légende est trop loin des légendes, ça ne fonctionne finalement pas.

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Héros antique, une allégorie

 

NB : Le Prix Virilo a beaucoup aimé l’article – élogieux – de Mediapart consacré à ce roman, dans lequel le protagoniste Fabien est constamment appelé « Damien ». Trop de fiches de lectures de stagiaires tuent la fiche de lecture.

 

Tardigrade, de Pierre Barrault

27 Sep

Lu par Bérénice

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Moustaches surréalistes

 

Tardigrade, de Pierre Barrault, est un tout petit livre : il se lit donc le temps d’un trajet de métro et peut se perdre facilement, un peu comme son personnage principal. Il est jaune, et donc beau, ce qui est un plus.

Qu’est-ce ?

Depuis l’avènement du gif, tout le monde connaît le tardigrade, également appelé « ourson d’eau »  pour une raison vraiment mystérieuse.

Tardigrade imberbe, fig. 1

Tardigrade imberbe, fig. 1

Taxon extrêmophile – c’est aussi comme ça que j’aime appeler Manuel  Valls –, le tardigrade est microscopique et quasi impossible à tuer. Pierre Barrault en fait le héros de son ouvrage, mi-animal mi-humain, angoissé par sa nature et évoluant dans une société qui ressemble beaucoup à la nôtre. Le tardigrade, dans ce livre qui s’égrène en douze parties, fait face à des accidents récurrents (ses amis tombent du balcon, ce qui aurait pu être évité s’ils n’avaient pas regardé à l’extérieur, par exemple) et doit fréquemment faire appel à l’assistance technique (qui n’a pas souhaité le faire en constatant que les bancs de sa rue étaient en panne, faute d’installation ?).

Manifeste fabulo-absurde

L’identité du narrateur, constant questionnement, ses relations à l’altérité, qu’il s’agisse de sa femme, son voisin, les passants ou même son appartement puisque les immeubles et les objets ne sont pas ici moins soumis à changement que les personnes, en font un carnet touchant. Peut-être se répète-t-il un pouième, tourne-t-il en rond légèrement, aurait-il mérité d’être un petit peu plus contestataire.

Le journal du tardigrade est un roman particulier, très au-delà de l’échelle de l’étrange (et se regardant peut-être un peu écrire). Revenant régulièrement aux premières définitions scientifiques que l’on peut trouver de cet animal singulier, le premier roman de Pierre Barrault se situe à mi-chemin entre les fables d’Esope,  les comédies d’Aristophane et le mouvement Dada.

 

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Il est avantageux d’avoir où aller, d’Emmanuel Carrère

26 Sep
Lu par Gaël
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D’autres poils que les miens

Comme chaque année, Emmanuel Carrère revient. Cette année, ce n’est pas un ouvrage original, mais un recueil de textes, des articles pour la plupart, parus dans Le Nouvel Observateur, La Règle du Jeu (le journal de BHL) ou XXI, entre autres, ainsi que, plus exotique, dans un magazine féminin italien.

C’est un balayage complet de 25 ans de carrèrisme. On en sort avec une sensation mitigée car l’oeuvre fictionnelle y tient une place quasiment nulle. En revanche, le motif de l’abandon de la fiction au profit de la « non-fiction » – catégorie importée du langage littéraire anglo-saxon, mais dont il faut bien avouer qu’elle est difficile à traduire – est très présent. C’est sans doute pour cela que le recueil s’ouvre avec des compte-rendus d’audience de 1990, époque à laquelle Emmanuel Carrère écrivait encore de la fiction.

Ce parti-pris correspond donc à un mouvement très réel de l’auteur et de ses centres d’intérêt. Il n’est pas certain qu’il soit à son avantage. Car il a été rendu célèbre par ses récits de fiction, tendus et exigeants, et on peut se demander depuis s’il ne se repose pas un peu sur ses lauriers. Le recueil tend à conforter cette sensation car qui a lu tous ses livres ou presque n’y découvrira, en 546 pages, pas grand-chose de nouveau. Les plus longs articles sont consacrés à Philip K. Dick, Limonov ou à Kotelnitch, certains textes plus courts reviennent sur d’autres épisodes d’Un roman russe et on trouve une préfiguration journalistique de L’Adversaire. On ne peut pas s’empêcher de penser que le dernier article, publié dans XXI et consacré à « L’homme Dé », aka Luke Rhinehart, constitue la matrice de son prochain ouvrage (Le livre de Rhineart a d’ailleurs été republié en français en cette fin d’année, témoignant de l’immense talent de Carrère pour le surf sur la bonne vague éditoriale).

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Limonov avait en son temps défrisé les jurés

 

On se dit, un peu déçu, qu’en fait Carrère publie, ou recycle, chez P.O.L tout ce qu’il écrit. Ses derniers livres m’avaient donné une sensation de facilité, d’inachèvement. A la fin de Limonov, je m’étais dit que le livre l’avait hanté, qu’il en avait marre, qu’il l’avait superficiellement relu pour pouvoir vite s’en débarrasser. Après Il est avantageux d’avoir où aller, je me demande s’il ne serait pas en fait un peu feignant. Il est difficile de lui jeter la pierre, parce que sa vie est très enviable et qu’il n’en fait pas mystère : un grand appartement dans le 10ème arrondissement, une femme séduisante, des amis connectés, beaucoup de temps pour lire et se renseigner sur l’ex-URSS. A sa place, on serait certainement tentés d’exploiter le filon. Reste qu’on aimerait le trouver plus habité, plus fidèle à ce que sa plume révèle parfois de capacité de pénétration de l’âme humaine, et plus conscient qu’en éditant ce genre d’ouvrage il se moque un peu de ses lecteurs-acheteurs.

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