Tag Archives: rentrée littéraire 2017

Écume, de Patrick K. Dewdney

1 Nov

Lu par…Philippe

4 moustaches en hameçon

 

 

 

 

Ahhhh, enfin !

Précédent finaliste avec Crocs, P.K. Dewdney mord à nouveau dans la finale du Virilo avec Écume, dont le résumé met à l’amende les ¾ de la rentrée littéraire : un pêcheur (appelé le père) prend la mer (got it ?) avec son fils (le fils, narrateur). Le père est mutique-chelou, puisqu’il ne dit rien (mais rrrrien). Le rafiot s’appelle la Gueuse. Il n’y a presque plus de poissons alors parfois, on convoie des migrants vers les rives anglaises – il faut bien acheter des appâts et du corned beef. Et puis un jour…

ENFIN !

Mais enfin quoi ! EN-FIN ! MERCI ! C’ÉTAIT SI DIFFICILE ?

Les livres francophones ne veulent plus arraisonner le réel. Ou si peu. On lit « un bon bouquin » comme on va à l’opéra : pour apprécier les échos chamarrés d’une langue que l’on ne parle plus, en connaisseur. Depuis 9 ans, chaque rentrée littéraire est le consternant spectacle d’un art en train de crever d’un lent étouffement, dans la douceur du quant-à-soi des beaux esprits sensibles.

Heureusement, quelques auteur.e.s viril.e.s relèvent encore le gant. En écriture, il est donc possible de ne pas rester enlisé dans l’ornière de son nombril.

ENFIIIIIIIIIN

Grâce en soi rendue notamment à P.K. Dewdney pour avoir allié avec intelligence les thèmes des migrants, de l’eau, de l’appauvrissement des ressources halieutiques, de la solitude, de l’exploitation commune, de la dérive, de la haine, de la nécessité, du fatalisme et de la folie en un court ouvrage ouvragé.

Évidemment, certains n’aimeront pas. L’écriture est très… écrite. Chaque terme se veut exact. Tu es marin ? Les taquets te manquent ? T’en auras. (En même temps, tout le monde a soi-disant kiffé Moby Dick, autrement plus ardu sur le vocable des baleiniers). Les images sont toutes originales, signifiantes, légèrement sur-écrites. Tant pis pour le confort du lecteur qui aux premières pages aura un peu la gerbe devant le style riche, fort, bref un peu chargé… heureusement jamais ampoulé.

En mer, c’est quand on a le mal de mer qu’il faut s’accrocher : pour peu que l’on retrouve son pied marin, que l’on accepte le sol truqueur de la mer – à la fois précis et se dérobant, en ce sens très à l’image du style de Dewdney – alors seulement pourra-t-on vivre sa petite odyssée formidable, et pourtant si commune, et pourtant si terrible.

Pour toutes ces raisons, un livre qui mérite amplement sa place en finale. « When the Virilo follows PK Dewdney, it is because it thinks littérature sardines will be thrown at the sea. »

https://www.youtube.com/watch?v=bTq6aApCBnA

 

Juré ayant retrouvé son pied marin passées les premières pages de vomi

Le jour d’avant, de Sorj Chalandon

25 Oct
Lu par…Charlotte

3 moustaches réalistes

 

Après Retour à Killybegs, Le quatrième mur et Profession du père, Sorj Chalandon creuse (wait for it) un nouvel univers : la mine de charbon (tadaaa !). A travers le destin tragique d’un homme qui perd tout un jour de grisou fatal, Chalandon nous entraîne dans des maisons de briques rouges au sein desquelles l’argent manque mais pas les larmes.

Si Le jour d’avant ne renversera pas Germinal – sans doute n’était-ce de toute façon pas le projet -, sa poésie et sa sobriété dévoilent un autre visage, plus moderne, d’un monde sacrifié. Et voilà qu’on éprouve un peu des douleurs de ces hommes durs à la peine à qui on demande pardon de les avoir trop vite oubliés.

 Lu aussi par…Philippe

4 moustaches charbonneuses

 

Sorj Chalandon, décidément, ça le fait à chaque fois.

J’ai failli mettre 5 moustaches parce que j’ai pleuré

Le seul vrai bon auteur de chez Grasset a le chic pour lancer son écriture à l’assaut de grands thèmes qu’il maîtrise bien (ici, le dernier accident de mine en France, 42 morts et avec lui, une description de la France prolétaire des années 70). Évidemment, Germinal 70ies, ça ne vend pas du rêve. Pourtant, la référence obligée à Zola fait long feu. Il s’agit plutôt d’une sorte de Crime et Châtiment version silicose. Ce qui ne vend pas beaucoup plus de joie, avouons-le.

Twist et charbon

Les deux premiers tiers du livre sont tout à cette description d’une région de crassiers, de corons, de familles dont une fraction meurt régulièrement sous la terre. Les allers-retours passé-présent évitent l’enlisement du lecteur. Certains trouveront ça un peu long. Est-ce parce que j’ai grandi à Saint-Etienne ? Pas moi. C’est un grand roman de deuil, qui fait vivre une époque et des gens sans les juger, avec un réel talent littéraire. Ça dénote dans la rentrée.

Au dernier tiers, toutes les petites lourdeurs et incohérences du roman sont magistralement expliquées par une sorte de twist. Comme un coup de grisou.

Ne soyons pas bégueule (-noire)

On pourra répondre que les ficelles sont un peu grosses, critiques formulées d’ailleurs pour les précédents romans de Chalandon. On pourra trouver vulgaire d’émouvoir aussi facilement. C’est
bien mal lire. C’est croire que sous prétexte qu’un effet est visible, il est mal mené. N’ayons pas ce snobisme de l’intelligence, qui méprise ce qu’elle comprend.

Il est très difficile de décrire sans être grotesque et indécent les misères que l’on n’a pas connues.

Bien des auteurs se prendraient méchamment les pieds dans le ch’terril. Il faut tout le talent de Chalandon (et toute la finesse de son écriture faussement simple) pour nous faire ressentir sans
sentiment d’impudeur la tristesse indicible de la perte. C’est un roman truqueur, certes, mais comme une malle de souvenirs dont on trouverait un double-fond : on ne va pas se plaindre d’un peu plus de profondeur, de ce basculement d’un panneau de bois dans les affres des souvenirs ; qui permet à Chalandon de dépasser le discours qu’imposait apriori son thème. Ce n’est pas très clair, mais en gros, j’ai beaucoup aimé.

Juré (à gauche) appréciant le récit de l’indicible perte.

Fief, de David Lopez

24 Oct

Lu par…David

Ta mère la moustache

 

 

 

 

Coup de mots dans ma gueule

En 250 pages, David Lopez nous transporte là où personne ne va jamais. Une sorte de terre inconnue à deux pas de chez nous. Dans les entrailles d’une toute petite ville de province, bien cachée entre une colline et une autoroute.  Là où les jeunes ados fument, boivent, rigolent, se charrient, traînent, font un peu de sport, essayent de choper et traînent encore. Comme partout certes, sauf que là ils poussent le bouchon un peu loin… Disons le tout net : à part un combat de boxe qui cogne sévère, il ne se passe pas grand chose dans Fief. Mais l’essentiel est ailleurs.

 L’adieu au langage (ta mère)

Le vrai coup de maître de David Lopez, c’est son coup de boule dans le langage. Et vas-y que je mélange récit et dialogue, que j’fous pas un seul tiret, que j’balance continuellement les mêmes répliques (bâtard, bien ou bien, ta mère la…)… Étonnamment, ça fonctionne. On y est. Il trouve le rythme, la bonne fréquence et le ton de ce qu’on dit quand on ne dit pas grand-chose.

 Mais attention. Ce n’est pas juste un jeu de mime. Il y a bien ici une ambition littéraire : celle de la réinvention. David Lopez n’esquive pas. Il ne tape pas dans le tas comme un bourrin et pour le plaisir de casser du (style de) bourgeois et du confort de lecteur. Il se bat sérieusement avec la langue pour que ça saigne un peu plus vrai.On sent même un peu la transpi (celle d’un auteur qui cherche ses mots et qui les trouve) sans trouver ça désagréable, comme une odeur de vestiaire qui serait bonne.

Il me semble qu’aucun homme de lettres de la capitale biberonné aux goncourts obligés n’aurait pu produire un tel roman.

Étonnamment ça sent bon

 Fief, c’est trop bref (TMTC)

Et ça continue, car à chaque tableau, David Lopez ne peut s’empêcher de nous balancer son jab. Des séries de petites volées amicales dans les côtes. Dit autrement : on s’marre bien. Les soirées fumette sentent le vécu (et pas que). Et puis j’ai connu un de mes rares fous rires littéraires : une scène de dictée hilarante.

Manque juste un petit coup de poing dans le coeur, le crochet final dans les dents. Forcément, c’est quand un livre est réussi que l’on veut partir à l’aventure avec lui. On attend qu’il nous emmène, avec un déclic, de l’imprévu, du twist bête et méchant. On attend une prise de conscience, un sursaut. Mais rien. Le gong nous rappelle à la réalité : dans la vie, il ne se passe jamais grand chose.

N’empêche, 2 round et demi parfaitement maîtrisés, c’est déjà très bien. Et ça mérite largement sa flopée de moustaches.

 

 

Taba-Taba, de Patrick Deville

23 Oct

Lu par…Bérénice

Taba-Taba n’aura pas lieu

 

 

 

 

J’avais acheté le Deville parce que j’avais bien aimé Peste et Choléra. Simple, travaillé, le roman qu’on offre à sa mère et dont on peut parler avec les copains, ça fonctionnait.

Dans Taba-Taba, on nous dit en 4e qu’un enfant aux hanches bretonnes, le narrateur, se balade dans un ancien lazaret. Mais, attention, ce que la 4e ne dit pas c’est que le narrateur n’est autre que…Patrick Deville ! Je vous dévoile un secret : ce livre n’est qu’un immense prétexte pour parler de lui.

D’abord, quand on est Patrick Deville et qu’on parle de l’histoire qui se mélange avec l’Histoire, on écrit tous les titres de ses chapitres comme un inventaire à la Prévert vu par un parolier français, mais sans majuscule car qui sommes-nous face au monde et au grand tout qui nous entoure ? une porte monumentale, à managua, un tapis magique, c’est touchant, on croirait lire la liste des titres de Bénabar.

On sent qu’au début l’auteur se retient un peu de trop parler de lui directement puis quand on arrive à des petites traces (il ne parle pas de ses caleçons), c’est un florilège. On s’ennuyait un peu et, bam !, l’agenda de Patrick Deville est soigneusement retracé sur plusieurs pages : en 2015 il était à l’hôtel Barcelo au Nicaragua, ensuite il est allé dans la Cordillère, puis au Finch Bay de Puerto Ayora, puis hôtel de la Rose à Fribourg, puis à Lyon, puis dans le Valais, puis à Chamonix, puis au Bauer à Venise (et ce n’est pas fini). Comme tout cela est très intéressant, ce spécial Fram voyages sur le thème Patrick Deville est parsemé de name dropping. On y apprend qu’il a parlé avec Edwin Madrid, puis avec Daniele del Guidice, puis d’autres. Ils sont sans doute sympas mais bon, on ne se connaît pas, et ça n’apporte rien à l’histoire. Subtilement, il parsème son histoire de références à « Yersin », une femme dont il est amoureux et dont il ne veut rien dire, ou alors juste un peu. Heureusement qu’il a choisi ce nom de code tout en mystère pour qui a lu Peste et Choléra, le bacille de la peste ayant été découvert par Alexandre Yersin. Le lecteur malin à peu de frais supputera que le grand chalet du Valais où il a fait des recherches lui a permis de trouver l’amour.

En outre, la prose est parsemé de ah-ben-dis-donc. Le sachiez-tu ? L’armée française contient énormément de contractuels. Ah et aussi il visite beaucoup de résidences diplomatiques. Il cite aussi toutes les îles appartenant aux DOM et DOM (y compris Tromelin) en expliquant que c’est une super ZEE, le tout au milieu d’une description d’une visite de l’ambassade au Mali. Patrick, le Mali n’est pas un département d’outre-mer.

Bref, Patrick Deville n’a pas un super bilan carbone et il sillonne la France en kès à la recherche des endroits où a vécu sa famille en parlant d’eux de manière très affectée. Il prétend chercher résoudre l’énigme des mots « Taba-Taba » répétés par le fou de l’ancien lazaret.

La lectrice, lassée peu après la page 85, ira directement à la fin du livre en survolant le reste (suffisamment pour se rendre compte que vers la page 415 il se compare à Jean Giraudoux) pour se rendre compte qu’il a tout de même osé émettre l’hypothèse qu’il puisse s’agir d’un hommage au lobby de la cigarette avant de l’abandonner aussitôt, sans doute dans un ultime sursaut de décence, pour se rabattre sur l’hypothèse vraiment totalement foireuse que ce serait un hymne à Madagascar. Sans doute bien introduit, Patrick Devillle a probablement voulu séduire le Président du jury, que l’on sait partial à cet île. Il a toutefois négligé que son livre tomberait des mains d’un lecteur moins acharné qu’un juré en quête de critique.

 

tabac-tabac ?

Le camp des autres, de Thomas Vinau

22 Oct
Lu par…Charlotte

Lichen poilu

 

Au début du XXe siècle, Gaspard (un enfant) s’enfuit dans la forêt avec son chien. Tous deux sont recueillis par un homme, sorcier ou ermite, avant de rencontrer une bande de voyous chapardeurs qui défraya la chronique dans les années 1900 et avec laquelle Gaspard va chercher l’aventure.
Avec cette histoire d’enfant à l’abandon et d’adultes marginaux, Vinau fait le plaidoyer de ceux qui ne rentrent pas dans les cases, des écorchés, des sans-famille, des laissés pour compte d’une société qui se préoccupe davantage de maintenir l’ordre que de lui donner du sens. Ces gens et la forêt qui les abrite, c’est « le camp des autres ».

La couv…ah non, mais presque.

L’écriture de Vinau est fouillée, précise mais pourrait être plus puissante encore si le soufflé provoqué par les élans poétiques ne retombait pas un peu vite. Vinau n’a sans doute pas de chance qu’on ait lu Une forêt profonde et bleue de Marc Graciano (l’histoire d’une enfant seule errant dans la forêt recueillie par un sorcier ermite) dont la violence – de l’histoire, de l’écriture – en fait un objet incroyable. Il n’empêche, ce roman de Vinau est une jolie surprise qui laisse penser qu’on se trouve peut-être sur le seuil de quelques chose de plus fort. A suivre.

Dans l’épaisseur de la chair, de Jean-Marie Blas de Roblès

18 Oct
Lu par…Gaël

4 moustaches très humides

 

 

Un homme, dont le blaze est Roblès, part pêcher avec le bateau de son père, de très bon matin la veille de noël. A la suite d’une fausse manœuvre, il tombe à l’eau. Menacé d’une mort lente par hypothermie, il revoit défiler, non pas sa vie, mais celle de son père, Manuel. Étrange mélange de kinétoscope et de divan.
Il y a beaucoup de choses sur la pêche en Méditerranée, la vie et les sentiments très intelligemment narrés d’un pied noir espagnol en Algérie, un tableau de la guerre à laquelle ce père a participé comme médecin qui assume que la guerre, c’est juste affreux et pas du tout romantique (le travers inverse étant malheureusement d’autant plus fréquent que les vraies guerres s’éloignent de notre connaissance directe). Une réflexion très intelligente sur ce qu’a été l’Algérie française, volée à un peuple et aimée par deux. Un beau tableau de ce que peut être une figure écrasante de père qui a été mêlé de près à l’Histoire, et qui jusque dans ses défauts recouvre la vie de son fils d’une ombre inatteignable.
C’est très bien, en résumé. D’autant mieux qu’écrit sans ironie ni pseudo détachement, avec une admiration sincère tenue sur 384 pages, ce qui est un exercice rare et difficile.
Un livre à emporter en bateau, donc.

Belle tenue pour guerre moche

Enfant-pluie, de Marc Graciano

11 Oct

Lu par… Bérénice

Mammouth laineux

 

 

 

 

Le Marc Graciano de l’année est merveilleux (chez Corti). Que ma passion pour sa plume ne vous laisse pas croire qu’au Prix Virilo, nous sommes partiaux à certains auteurs. C’est vrai mais nous les lisons avec une attention renouvelée (on était même un peu inquiets pour lui l’an dernier).

D’aucuns seront déçus (il n’y a pas de fromage de bite), mais un conte préhistorique, en voilà une vraie originalité depuis Jean-Jacques Annaud !

Enfant-pluie est un petit livre, un petit conte, de, oh!, peu de pages mais le monde y est caché.

Enfant-pluie est un enfant, il s’appelle ainsi car, au moment du passage en ce monde, la pluie faisait déborder les rivières, gronder le ciel et glisser la terre. Il est né aidé de deux mains, celles de Celle-qui-sait-les-herbes.

Un peuple s’interroge : que faisaient donc ceux d’avant de tout cet amas de pierres taillés ? Révéraient-ils leurs Dieu, quelles étaient leurs capacités intellectuelles, ces objets avaient-ils une utilité pratique, quelle grossièreté dans cette taille, enfin, disent tous. You know nothing, Johns Snows, répond Celle-qui-sait-les-herbes.

Et Celle-qui-sait-les-herbes emporte Enfant-pluie dans son voyage, apprentissage de la terre, du ciel, du vent et des ocres pigmentés.

C’est subliment illustré par Laurent Graciano.

L’écriture de Graciano s’est un peu modifiée, plus rapide que ses autres livres, il joue avec le passé et les anachronismes, les mots de notre époque et les rêves d’une autre (ou est-ce l’inverse), les gisements de pétrole et les grottes immaculées.

Encore.

Vitement entre deux pages, le désir.

Un élément perturbateur, d’Olivier Chantraine

10 Oct

Lu par…Charlotte

Panne de toner

 

 

 

Cette année, le jury du Virilo a décidé de se lancer dans des critiques courtes. Voilà qui exige de faire fi de ses agacements et sarcasmes, pas facile quand on a déboursé 20€ pour ajouter le dos d’un livre dans sa bibliothèque. Tentons.

Un élément perturbateur est le premier roman d’Olivier Chantraine, ancien cadre formé aux ateliers d’écriture de Philippe Djian à la NRF. Sur 278 pages (ce qui est beaucoup), Chantraine raconte l’histoire de Serge, un type de 43 ans qui vit avec sa sœur, a été pistonné par son ministre de frère pour bosser dans un cabinet de consulting et souffre par ailleurs d’hypocondrie.

L’intrigue est aussi croustillante que le personnage principal vend du rêve : Serge fait rater une affaire particulièrement stratégique à sa boîte – un dossier avec des Japonais, c’est dire s’il est important – or même protégé par son frère, l’affaire est tellement grave qu’il va devoir rattraper le coup. Pour l’aider dans cette tâche ardue, la présence de Laura ne sera pas de trop. Laura, c’est sa collègue aux dents longues et aux jambes infinies, ce qui ne gâche rien. L’éditeur annonce, c’est « une comédie enlevée au ton incisif, qui illustre le rapport totalement ambivalent de son héros à la réussite, à la famille, au couple, et à tous types de discours dominants. » Waouh, tout ça à la fois ?

Bon eh bien voilà, on y est. Il y a donc cette histoire avec les Japonais à démêler, parce qu’en fait – subtilité – il y a anguille sous roche, Serge ne fait pas tout foirer pour rien, peut-être même qu’il ne serait pas si looser que ça… D’ailleurs, Laura lui saute dessus sans ménagement dans le local de reprographie. Cette scène ayant provoqué pas mal d’émois au sein du jury, en voici un extrait :

10 000 photocopies de ce fichier, voilà pourquoi il faisait si chaud dans cette pièce.

 

« Cette photocopieuse dégage une chaleur infernale qui ne risque pas de calmer mon désir de faire l’amour avec elle sans attendre une seconde de plus. Miraculeusement, c’est exactement ce qui se passe, à son initiative. »

C’est tout de même une sacrée chance d’avoir été pistonné dans la seule boîte de l’hémisphère nord où la bombe-atomique- hyper-ambitieuse- et-un- peu-méchante-comme-dans- les-films en pince pour le looser officiel de l’étage. Enjoy, Serge (ce qu’il va faire dans un instant).

 

« De mon côté, je fais valser ses collants à ses pieds et arrache d’un coup sec sa petite culotte comme on écarte un dernier obstacle d’un revers de main. J’avais besoin de sentir sa peau sous mes doigts (….) Déjà ses mains se sont débarrassées de ma fermeture éclair pour se saisir de ma queue. »

Serge en train de calculer l’action du soir, parce qu’en plus de faire valser une petite culotte, il ferme la porte, la coince du pied avec un caisson et tripote les seins de Laura. Ça se prévoit au millimètre, on vous dit.

C’est beau comme le seul roman qui traîne dans un gîte de haute montagne un jour de tempête. Bien sûr, il y a d’autres personnages et épisodes : un entrepreneur passionné de bowling qui porte des santiags, deux boss mâles et officiellement hétéros qui se font surprendre en train de copuler dans les toilettes et le fameux frère ministre, qui trahit son parti pour prendre la course de la présidentielle parce que le président en place ne peut pas se représenter… Mais où diable Chantraine est-il allé chercher tout ça ?!

Un auteur consulté à propos du livre mais qui ne l’avait pas encore lu a dit : « Il paraît que c’est très Djian. » C’est sans doute plus sympa de dire ça que de continuer cette critique, une fois de plus trop longue.

L’homme qui s’envola, d’Antoine Bello

9 Oct

Lu par…Bérénice

Pas le temps de se laisser pousser la moustache

 

 

 

 

On savait qu’Antoine Bello était un fervent défenseur de l’entreprenariat et un peu je-m’en-foutiste. Ses tomes 2 et 3 de la trilogie du néanmoins très bon Les Falsificateurs nous avaient assez éclairé là-dessus.

Quid de l’homme qui s’envola ?

Il s’appelle Walker et il est très frustré, parce qu’il est riche (il a plus ou moins hérité de l’entreprise de beau-papa et l’a faite décoller), c’est un self-made et business man de génie (son entreprise fait de la livraison de colis et il sait décrocher un marché comme la petite vérole sait trouver le bas-clergé), il a une très belle femme, deux chouettes enfants, un entourage qui l’apprécie (mais ça on ne sait pas trop pourquoi), un petit avion qu’il pilote pour son plaisir et ses rendez-vous (ça se passe dans un futur pas trop lointain). Walker, donc, est frustré, parce qu’il voudrait du temps, et comme il est doué il fait tout très vite, mais comme il a une vie avec un travail, une famille et des amis, son agenda se remplit, et donc il n’a plus de temps.

Pourquoi veut-il du temps ? ON NE SAIT PAS. Pas pour passer du temps en famille dans sa maison sur la côte (il la déteste, le jour de la signature de la vente il a dit à sa femme qu’il n’en voulait pas puis il a signé, parce que depuis il faut réfléchir sur la couleur du crépi et ça lui fait perdre du temps, alors que, Walky, il suffisait de dire à ta femme veto sur le crépi, c’est immonde, gardons les pierres apparentes). Pas pour passer du temps avec ses enfants (il faut les écouter réciter des poésies ou pire, aller à leur spectacle de théâtre et leurs matches de football). Pas pour passer du temps avec se femme (elle parle de plein de trucs inutiles). Pas pour avoir une activité philanthropique dans la fondation créée par sa femme (il n’en a rien à foutre). Pas pour se projeter dans une vie confortable dans quelques années (il angoisse déjà à l’idée de tout le temps perdu au mariage de ses enfants et au baptême de ses petits-enfants). Pas pour développer de nouveaux marchés (comme il est trop fort il sait vraiment tout faire mais tout le monde se repose sur lui et après il va encore devoir faire un powerpoint) (et là, Walker, je te comprends).

C’EST TERRIBLE. Cet homme d’une vacuité intense décide donc de disparaître, car il n’est pas capable d’affronter cette vie. Il organise un crash dans une haute chaîne de montagne, se foire un peu sur l’atterrissage en parachute et boîte dans les bois. Ensuite il rejoint tout de même une ville et va à la pharmacie. C’est l’anti John Rambo, ce héros est d’un ridicule achevé.

Une assurance-vie sur sa tête au sein de sa boîte valant 30 M€, l’assurance qui engage un détective (on dit skip-tracker aux US parce que ça fait plus moderne). Le détective sent vite qu’il y a anguille sous roche et le découvre assez vite, parce que Walker a voulu fuir mais pas trop loin puisque seuls les Etats-Unis sont en mesure de lui apporter cette formidable sensation de liberté qu’il recherche.

Je vous la fais brève mais ensuite c’est l’histoire de il sait que je sais qu’il sait que je sais, et le détective se tape la femme de Walker et le laisse filer car un si grand souffle d’indépendance ne saurait être tari. A la fin, le détective et l’ex-femme de Walker le croisent dans un aéroport, il est pressé, on ne sait pas où il va mais il a l’air déterminé, ils se sourient, tout le monde est en paix.

Tout est ridicule dans ce livre, à commencer par la fascination de son auteur pour Ayn Rand, fascination qui sourd à chaque ligne. Walker est ridicule, on a envie de le secouer et de dire à sa meuf de le plaquer, l’histoire est ridicule (avec des dizaines de milliers de dollars à sa disposition, Walker échappe au détective mais ne fait tout de même rien de sa nouvelle vie puisqu’il passe son temps à prendre le bus pour changer de ville et à demander à des inconnus de payer en liquide une chambre dans des motels miteux), la chute est ridicule, le fait que la compagnie d’assurance ne se dise pas qu’il y a peut-être un problème à ce que le détective payé fort cher déclare Walky mort et s’installe avec madame est ridicule. Ne lisez pas ce livre, ne l’empruntez pas, il souillera votre âme, ne l’achetez pas, économisez 20 €.

 

Ce que je conseille de faire avec ce livre.

Des cœurs lents, de Tassadit Imache

8 Oct

Lu par…Bérénice

Son vrai prénom c’est Marceline

 

 

 

 

Dans une ville d’eau qu’on imagine être Annecy, François et Bianca, frère et sœur, se réunissent autour des souvenirs, des perruches et du corps de Tahir, le cadet de la fratrie.

Grandis tant bien que mal aux Sureaux, peu entourés puis abandonnés par Iris, une mère déjà absente avant son départ, les trois avaient un été échappé au béton pour passer quelque temps dans une grande maison peu accueillante, à se baigner tout la journée, là, dans cette ville où Tahir a fini sa très jeune vie.

Thésarde sérieuse, Bianca est éloignée de François, qui travaille dans le cinéma. François est taiseux, tous deux pensent beaucoup et ne disent pas ce qu’ils voudraient, Bianca est très en colère. Tahir a perdu a boule à l’adolescence, Iris qui ne s’appelle pas Iris était partie, les deux restant ont géré, comme ils pouvaient, assez mal.

La fratrie a éclaté, aucun ne sait vraiment aimer, le poids de leur histoire familiale les cloue au sol. Ils portent le nom de leur mère, de leur père on ne sait pas grand chose, et c’est au grand-père algérien, malvenu, mal accueilli, étranger dans la France de l’après-guerre que tout remonte. Tahir lui ressemblait. Les racines de cette famille sont douloureuses.

Il y a de beaux moments : ces enfants qui ne comprennent pas trop la rage d’Iris à la fin des années 80 lorsque la laïcité était malmenée, tellement en colère qu’elle s’est mise à porter le voile, la découverte du nom de famille sur la thèse de Bianca comme un flambeau. Pourtant, à la fin du livre encore, l’autrice n’a pas rendu ses personnages principaux attachants. On s’ennuie à les lire, on s’ennuie de la manie du secret de François, on s’ennuie de la dureté de Bianca qui finit par rencontrer l’amour et qui, comme les clichés le veulent, s’amollit et s’adoucit dans les bras de l’heureux homme.

Moi, je voulais mieux connaître Tahir et de lui il n’en est pas dit grand chose. C’est lui qui m’intéressait, lui et sa folie. Les survivants sont murés dans leur dureté et leurs combats, ils sont semblables à mille autres, ils peinent.

En plus, les perruches de Tahir finissent aussi par mourir (Katerine Pancol, pour le prochain titre c’est cadeau).

Ce ne sont même pas des panures à moustache.

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