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Ils désertent, de Thierry Beinstingel

14 Sep

Toupet salarial

Éditions Fayard Roman

Lu par Claire

Je déserte, tu désertes, ils désertent, île déserte, Thierry Beinstingel s’attaque une nouvelle fois à un monde du travail et à une société contemporaine qui ne brillent pas par leurs valeurs humaines. Quand on sait qu’il travaille comme chargé de recrutement chez France Télécom, voilà qui donne envie de s’accrocher à Pôle Emploi.

Elle est une jeune commerciale qui en veut, promue chef des ventes de cette société de papier peint qui décide de l’innovation du siècle : vendre des canapés pour accompagner les nouveaux murs. Elle achète à crédit un appartement vide et neuf dans une résidence vide et neuve où l’humanité est réduite à une vieille voisine à fleurs et à des vandales.

Lui, dit l’ancêtre, sillonne la France depuis quarante ans pour vendre les papiers peints de ladite entreprise, la clope au bec au volant de son break, désespérément seul dans ses miteux hôtels de passage si ce n’est sa passion incongrue pour Rimbaud, née lorsqu’il a découvert que le célèbre poète avait été comme lui un commis voyageur. Saint Rimbaud des VRP.

Elle et lui vont finir par claquer la porte aux papiers peints dans un dernier sursaut d’énergie, réfractaires à un monde moderne qui fait d’eux des machines solitaires.

Glauque et ironique, l’écriture de Thierry Beinstingel emploie ici le « vous » pour parler de lui, le « tu » pour elle, alternance de chapitres « elle » suivis de « lui », un parti pris étrange qui crée une atmosphère tout à la fois distanciée et intimiste, un drôle de paradoxe qui déstabilise avant de convaincre. Une jolie fable pessimiste sur le monde d’aujourd’hui que l’on aurait mieux appréciée si l’on n’en ressortait pas avec un léger mal de cœur.

« Ils désertent, dit le pompiste et vous comprenez « île déserte » peut-être à cause du flot ininterrompu de voitures qui passent lentement devant la petite station-service isolée au milieu de la mer de bitume. »

« Elle dit : Ils désertent. Et toi tu comprends « île déserte . C’est seulement quand tu t’attardes sur la silhouette de la femme appuyée d’un air las sur la carrosserie du vieux break, indifférente aux enfants pourtant en plein soleil dans l’habitacle, scrutant l’immeuble bardé de pancartes « à vendre » ou « à louer », c’est seulement à ce moment précis que tu comprends le véritable sens. »

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