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Helena, de Jérémy Fel

1 Sep

Lu par… Camille

Minigolf à un trou

 

 

 

 

Où finit l’hommage et où commence l’imitation plate, sans souffle ni inspiration ? Réponse : à la page 11 du roman de Jérémy Fel lorsqu’il décrit le tueur psychopathe passant son doigt avec délectation sur la lame affûtée d’un couteau, dans une langue si pauvre que l’on croirait une mauvaise traduction de l’Américain. Le vide de mots, le poids des clichés.

 

Helena est donc l’histoire dudit tueur psychopathe qui a les coudées franches dans l’Amérique raciste et viriliste de Donald Trump. Tommy est un adolescent à problèmes dans une ville rurale. Ça va si mal pour lui qu’il se croit hanté par un monstre qui le pousse à toutes les turpitudes, la moindre d’entre elles étant finalement de se masturber sur des cadavres d’animaux.

Ça se corse pour sa pomme quand sa route croise celle de Hayley, forcément jeune, riche et solaire parce qu’il a tout de suite envie de se masturber sur son corps mort ou vif et qu’elle appartient à une espèce qu’on n’a pas le droit de torturer impunément.

 

La passion d’Hayley, c’est le golf. Elle n’est pas contente parce que : 1. Son petit ami l’a trompée alors qu’elle lui réservait sa virginité, ce qui n’est pas très sympa, la moindre des choses aurait été d’annuler la réservation ; 2. Sa maman est morte. Mais elle fait bonne figure. Pour montrer son détachement, elle jette son portable dans la piscine de sa copine Lindsay et file s’entraîner chez sa tante. Et quand elle croise le petit cousin de son ex, « sous le coup de l’énervement, elle [est] prise par l’envie de lui courir après, mais il était déjà trop loin et elle se content[e] de le regarder tourner sur la droite et disparaître derrière une rangée d’ormes. » Elle est comme ça, Hayley, elle est sympa mais faut pas la chauffer.

Il existe probablement un enfer réservé aux écrivains/scénaristes qui recourent à la facilité éculée du portable balancé dans de l’eau (ça pollue putain !)

Par contre, on lui a fourgué une bagnole de merde et elle tombe en panne au milieu de la pampa, à quelques kilomètres de chez Norma qui elle n’a qu’une obsession : que sa fille Cindy remporte un concours de mini-miss. Ce qui prouve les carences de son éducation, c’est que pendant qu’elle se focalise sur sa gamine, elle néglige totalement son aîné, le fameux Tommy, qui en profite pour faire des choses que Brigitte Bardot désapprouverait.

 

Avec un suspens digne d’une messe dominicale, Tommy va s’en prendre à Hayley, mais c’est pas sa faute, il a pas eu une enfance facile, ça lui a fait tourner la disquette. Et en plus, on s’en fout parce que de toute façon l’histoire n’a aucun intérêt.

En ça, elle n’a d’égal que l’écriture du roman qui se signale par une absence totale de style. Absence totale comme dans « vide intergalactique », pas comme dans « j’ai fait un effort mais j’ai raté ». Un phrasé agaçant, un vocabulaire pauvre, une montagne de détails sans intérêt, des dialogues insipides pour servir une vision débile du pays alimentée exclusivement par les séries télés et les émissions de téléréalité. Exemple pris totalement au hasard : « Quelques années auparavant, Norma avait pris l’habitude de se rendre avec Magda et d’autres amies dans un salon de thé situé sur Commercial Street, sa propriétaire l’ayant depuis vendu pour laisser place à un snack. Elles profitaient de cette réunion hebdomadaire pour parler de leurs vies respectives autour d’un thé, et parfois de cinéma, des livres qu’elles avaient au programme de leur club de lecture. Un moment privilégié que Norma avait toujours attendu avec impatience, et où elle pouvait parler sans honte de tout ce qui lui passait par la tête… Au fil du temps, ces rendez-vous s’étaient faits de plus en plus rares. Elles se disaient souvent qu’il faudrait organiser cela à nouveau quand elles se croisaient ou s’appelaient. »

 

Et c’est comme ça sur 699 pages ! Comme le 9 est un 6 à l’envers, on pense immédiatement à une conspiration sataniste. Il y a sûrement une formule cachée entre les lignes pour voler l’âme de l’innocent lecteur qui, par erreur ou désœuvrement, tiendrait jusqu’à la fin du roman.  Peut-être que si 6 666 lecteurs terminent le livre en même temps, le démon qui poursuit Tommy va se matérialiser POUR DE VRAI ET TRUMP VA ENVAHIR LE MONDE !!!

 

Ce qui est réellement problématique, c’est qu’un magazine aussi prescripteur que Télérama fait partie du complot, lui qui a accordé deux « étoiles » (ou quel que soit le nom qu’ils donnent à leurs moustaches) à ce livre. DEUX. Dans l’article qui lui est consacré, on peut lire : « Bourré de clichés réjouissants et de personnages caricaturaux,  Helena est pourtant un livre-piège, qui parle de souffrance familiale et d’amour filial. » A l’heure où cette critique est mise en ligne, une prise d’otage visant la machine à café de l’hebdomadaire est en cours afin de faire supprimer séance tenante l’adjectif « réjouissants » et l’adverbe « pourtant ». Et de rétablir l’ordre moral et divin.

On avait dit « pas les mamans, pas les vêtements », « pas le physique et pas les noms », mais la conclusion s’impose, implacablement : Jérémy Epic Fel.

1 Moustache qui a failli sombrer du côté obscur mais hahaha, on ne me la fait pas, à moi ! J’ai su déjouer les pièges de Satan ! J’ai dessiné un pentacle dans le bon sens sous mon lit, je suis inattaquable.

Manuel de survie chez les jurés

 

La correction, d’Elodie Llorca

27 Oct

Lu par… Bérénice

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Approximation pileuse

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Oh là là. Oh là là.

Le pitch : en dépit du titre et du mot « dominatrice » dans la 4e, le héros, correcteur professionnel, ne passe pas ses week-ends à la Fistinière ou autre lieu de plaisir. Il ne s’adonne pas à des parties fines en compagnie de sa femme ou de sa patronne. La revue n’est pas érotique mais elle possède un nom très snob (Revue du Tellière).

Le narrateur, sans grande ambition et à la joie de vivre limitée, fait son petit nid dans une revue littéraire apparemment sans grande qualité et aux multiples fautes à corriger. Il y trouve de plus en plus souvent des coquilles, qui le font s’interroger sur le sens de la vie, sa relation avec la taulière et son mariage (raté et mutique). Sortant de la cage de son bureau, il trouve un oiseau blessé. Il le cache la plupart du temps dans le placard de sa salle de bain, en amoureux des animaux, et vit mal la mort de sa mère. A la fin, il est libéré de ses angoisses et surgit une belle plume.

.Je n’exagère même pas, telle est la métaphore filée tout du long. Vous aussi vous trouvez qu’on vous prend un petit peu pour un abruti ?

.Certes, l’histoire est médiocre. Pire, elle est liée à un style franchement hasardeux. Le choix du passé simple + imparfait donne de très mauvais mélanges. Dans La correction, quand s’enchaînent « elle me demanda », « me répondit », « me vint » avec un « pressentais-je », on est sur le fil de la grammaire tandis qu’on bascule tout à fait dans l’agacement.

.On trouverait ça un peu drôle s’il était imprimé en 34 × 44 cm, mais même pas. Et en plus il y a des italiques à foison. Si ce n’était si mal écrit, ce serait juste un mauvais livre. Là, c’est un livre inutile.

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Retour aux traditions

Le Grand Jeu, de Céline Minard

7 Oct

Lu par Bérénice

 

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Moustache abîmée

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Je suis de celles qui ont adoré Faillir être flingué (prix Virilo 2013). Précédé par une immense réussite et possédant un titre historico-kiplingesque parfait, je me suis jetée sur Le Grand Jeu sitôt aperçu en librairie.

L’histoire tient en peu de mots : la narratrice, à la recherche d’elle-même et du dépassement, s’enferme dans la solitude la plus hostile et s’exerce au monde (après avoir tout de même acheté un gros morceau de montagne, fait hélitreuiller son nouvel habitat et acquis le nec plus ultra du matos, plus un violoncelle – sans doute un Stradivarius mais qu’importe, croyons-la lorsqu’elle précise que l’argent n’a aucune importance pour elle).

Sur ces hauteurs vertigineuses qu’elle parcourt avec l’agilité de l’écureuil, mais toujours finalement sur le même sentier, elle n’avait pas prévu la confrontation, au lieu du rien sinon elle, avec un être humain, improbable résident des mêmes hauteurs, occupant petit à petit son espace, ses sentes, ses pitons, ses refuges. La suite en trois mouvements :

Jalousie.

Rencontre ?

Jeu de la vie, jeu de la mort !

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Fig. 1 :  Juré portant un regard inquiet sur la rentrée littéraire 2016

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C’est très beau, mais c’est décevant. En étant plus introspectif, c’est moins abouti, trop écrit (exercice de style, je crie ton nom), presque auto-fictif (impression laissée sans doute à tort) et en tout cas oubliable.

Céline Minard fait preuve d’une maitrise ciselée de la langue dans ses descriptions, qu’il s’agisse de l’escalade (elle qui aime tutoyer les sommets mais a, de manière incompréhensible, expressément refusé le Prix Virilo), à laquelle je ne connais rien -mais j’ai transpiré quand même-, d’un intermède potager tout plein de noms précieux et d’une efficacité contestable, ou même du violoncelle, duquel je suis plus familière (et là non plus elle n’épargne pas sa narratrice : dix minutes de Pression de Lachenmann me semblent au moins aussi épuisantes physiquement que l’ascension de son 2 871 mètres fétiche).

Fig. 2 : juré méditant à la recherche d'un accessit

Fig. 2 : juré méditant à la recherche d’un accessit

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Pourtant, pourtant… on s’y ennuie. Le grand jeu de la mystérieuse nonne et de l’ermite suréquipée est-il autre chose qu’un manifeste capitalo-survivaliste?

Mary, d’Emily Barnett

27 Oct

Lu par Bérénice

Moustache imaginaire

Moustache imaginaire

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L’auteure est également journaliste aux Inrocks.

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