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Dernières nouvelles du futur, de Patrice Franceschi

12 Sep

Lu par… Philippe

Dernières staches du turfu

 

 

 

No (nouvelles du) future

Je divulgache de suite. La grande nouvelle c’est que dans le futur, le futur craint.

C’est tout ? Non : il y des caméras partout, chez nous et au dehors. On ne peut littéralement plus pisser tranquille : la moindre hésitation dans notre beauty routine matinale est aussitôt mesurée et transmise aux algorithmes des assureurs, qui calculent le risque de sédition, d’absentéisme ou de maladie. CNIL, que n’es-tu là. Et ce n’est pas tout : coté transhumanisme, Google a enfin créé ses surhommes augmentés, d’où émeutes car vie éternelle trop chère, d’où tirage au sort parmi les pauvres. Que sont mes Comités Consultatifs d’Éthique devenus. Et ce n’est pas tout : le complexe scientifico-industriel continue de s’intéresser au vide interstellaire au détriment de la planète bleue. Si Nicolas Hulot aussi nous délaisse, c’est que tout est bien perdu et que sic transit…

Gare au futur

Et Il en va ainsi pendant 15 nouvelles.  La formule s’installe vite : un nouveau chapitre, une nouvelle nouvelle, un nouveau grand thème pioché dans le dernier Usbek et Rica, la nuance de l’analyse en moins. Le tout est relié par un mince fil conducteur, tenu par un mystérieux un mouvement dissident qui fait des happenings à chaque chapitre, genre anonymous, mais  géré par des khâgneux ne sachant pas coder. D’ailleurs, il s’appelle le réseau Sénèque. Un nom bien maladroit quand on sait que le philosophe aura formé Néron, refusé de participer à un complot contre son élève avant d’être poussé au suicide par ce dernier, mais passons…

Big Brother, Big Data, Big Narcisse d’écrivain

 

Passons, car c’est une belle et courageuse idée que celle de Patrice Franceschi : faire des nouvelles (genre sous-évalué en France) pour raconter un futur dystopique (procédé peu exploré dans la littérature française) dans lequel la technique a abolit les libertés sous couvert de progrès (sujets brûlants mais presque inexistants des 3 dernières rentrées littéraires). En plus certaines idées de chapitres sont vraiment bonnes.

 

Mais 4 défauts rendent cette lecture très dispensable :

 

1)      Les enjeux sont soulignés avec tant de stabilo que la feuille gondole. Le projet (soit disant simplicité de fable et brièveté de nouvelle, nous y reviendrons) n’excusent pas le manque de subtilité. Le trait est grossier, à l’image de ce long dialogue entre un méchant juge qui s’insurge face à la calme gravitas d’un guide de haute-montagne. Évidemment, ce dernier énumère les leçons de vie dignes d’un dialogue de Platon en fin de Banquet :

« – Il est des libertés oubliées, Votre honneur.
– De quoi voulez-vous parler ?
– Je pose seulement la question suivante : à quoi bon vivre longtemps si ce n’est pas pour vivre pleinement ?
 »

Tout est ainsi : lourdaud, didactique. Autre exemple : un héros va commettre « un attentat » préparé pendant 15 pages, à l’abri d’un angle mort de caméras de rue. Que va-t-il faire ? Un pochoir de Banksy ? Enfin pisser en public sans être filmé ? Non : « Il plongea la main dans sa sacoche et en sorti (…) la bombe (…): un recueil complet des Poèmes saturniens de Verlaine.» Et ouais. Il lit, mec ! Le lecteur se fait ainsi constamment bourrer les côtes par les coudes de l’auteur-voyageur-granThumain qui lui hurle ses clins d’œil entre les lignes : « CH’TE L’AVAIS BIEN DIT, NOUS ON A RAISON »

2)      En conséquence de quoi, le livre est imbibé de cette fameuse Grasset touch, marque de fabrique de la vénérable maison d’édition : la fière (et parfois malicieuse) connivence de vieux cons. Tout écrivain-aventurier-baroudeur qu’il soit, Patrice Franceschi semble écrire avec la même intention qu’un chef de famille du XIXe siècle pérorant dans son fauteuil-crapaud, tournant son verre de cognac en creux de paume pour donner des leçons de vie à son gendre.

3)      Le livre est une suite de saynètes disparates. Normal pour un recueil de nouvelles ; moins pour un recueil de nouvelles qui ne s’assume pas, puisqu’en préface l’auteur nous enjoint à les lire dans l’ordre et sans sauter de chapitres. Comme un roman, mais avec des chapitres étrangers les uns des autres, quoi. Les « nouvelles », dessinées à gros traits, sont donc surtout une licence au manque de subtilité et de souffle (cf. point 1) ou un cache-synopsis de scènes de films.

4)      Sur les mêmes sujets prospectifs, et plus encore, la série Black Mirror fait mieux, plus profond, en plus bref et en plus agréable. Même le meilleur des mondes, pourtant publié en 1932, semble plus actuel sur la longueur.

 

Vous savez donc quoi lire ou regarder de mieux et pour moins cher.

Sénèque un au-revoir

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