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La plus précieuse des marchandises – un conte, de Jean-Claude Grumberg

12 Oct

Lu par…Philippe

Trois

 

 

 

 

Résumé

Il était une fois un pauvre paysan et une pauvre paysanne qui n’avaient pas d’enfant. Ils vivaient à l’orée d’un bois. Il faisait froid, il faisait faim, c’était la guerre.

Il était une fois un convoi de wagons à bestiaux qui transportait des gens. Parmi ces gens, un couple et deux nourrissons.

Ces débuts de contes vont se rencontrer : à un ralentissement de voies, un châle est lâché du wagon par une main désespérée. La pauvre paysanne accourt. Emmitouflé dans le châle, un des nourrissons. Elle ramasse « la plus précieuse des marchandises ». Vous en êtes à la page 26 sur 103.

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la littérature de camps

Pourquoi existe-t-il une littérature de camps ? Un des paradoxes du devoir de mémoire est qu’il doit lutter sans cesse contre l’habitude né du ressassement du récit, qui implique une perte de son pouvoir évocateur. Pour que la mémoire reste vive, le récit doit « innover », malgré des faits historiques figés voire sacrés. Il lui faudrait donc faire œuvre de littérature, ce qui est à la fois ardu et gênant, car « comment faire de la fiction sans insulter les morts ? » (marronnier à retrouver ici ou ici ou encore et même dans des caméo). « Faire vivre » le récit de la Shoah par le renouvellement des formes devient donc, avec le temps et l’habitude, une ambition acceptée, parfois louable mais toujours casse-gueule.
Littérature enfantine, BD, manga, roman fantastique, vaudeville, voire récit érotisant (cf notre accessit 2017 « camp de la petite mort »)… vous pouvez y aller ! Si un genre existe, il a déjà traité des camps de la mort, et pas toujours avec réussite. C’est une sorte de Règle 34 de la littérature.

Et pourquoi passe-t-elle ici par un conte sur la shoah ? Par souci d’efficacité (un peu pompier). Car en l’occurrence, avec La plus précieuse des marchandises, c’est le retour d’une variation late-90ies du récit de camps : le double effet Kiss Cool né du décalage entre réalité sordide et description naïve, tendre ou loufoque, empruntant tantôt au genre de la fable, du conte ou de l’histoire vue à hauteur d’enfant façon Jeux Interdits) – cf. La Vie Est Belle ou Train de Vie et ses 10 dernières secondes typiques.

Le train de vie pour Pau

Fidèle au genre qu’il s’impose, Jean-Claude Grumberg tient donc à ce que ce soit bien clair dès la première page : ce récit est « UN CONTE ». Donc en gros c’est « POUR DE FAUX mais pour de vrai dans le fond mais POUR DE FAUX mais le faux n’est-il pas plus vrai que le vrai ? ». L’auteur n’arrive cependant pas à faire l’économie d’un épilogue page 101 commençant par « Voilà, vous savez-tout. Encore une question ? Vous voulez savoir si c’est une histoire vraie ? », étrangement renforcé par un froid épilogue d’épilogue, intitulé « Appendice pour amateurs d’histoires vraies », dans lequel il répond de manière vénère-préventive à ses possibles détracteurs. Ce bref « Appendice » n’est
d’ailleurs pas inutile car, comme dans l’épilogue de Train de Vie, il mène au bout le projet de ce récit : faire un détour par la fiction pour redonner de la vitalité à la mémoire.

En ce sens, ce conte atteint son objectif après quelques très belles pages, malgré des maladresses : des tics agaçants « pour faire récit oral* » et une écriture inégale, tantôt très fine** tantôt bien lourde***. On notera aussi l’hésitation de Grumberg à rester dans le style « naïf » des premières pages, ce qui est pour le meilleur tant l’auteur assume mal la poétique propre au conte****. On lui pardonne : il est toujours bon de se rappeler avec force qu’il existe un combat entre l’ombre et la lumière, et que nos actes nous font chaque jour choisir un camp. La littérature sert aussi à ça.

Citations

*et ***et **** « Dans ce grand bois régnait grande faim et grand froid. Surtout en hiver. En été une chaleur accablante chassait le grand froid. La faim, elle, par contre, était constante, surtout en ces temps où sévissaient, autour de ce bois, la guerre mondiale. La guerre mondiale, oui oui oui oui oui. »

** « La mort ne vint pas et la délivrance se présenta à lui sous la forme d’un soldat étoilé de rouge et dont les yeux exorbités témoignaient de l’horreur qu’il venait de découvrir. Après avoir constaté que le cadavre qui le dévisageait vivait encore, le jeune soldat lui glissa le goulot de sa gourde dans la bouche et quelques biscuits dans les mains, puis il le prit dans ses bras, l’arrachant au tas de mourants, et le déposa devant la baraque, sur un bout de terrain sans cadavres, sous le soleil du printemps renaissant. »

Jurés essayant de libérer la littérature de camp de ses propres limites.

Le syndrome du varan, de Justine Niogret

10 Oct

Lu par… Bérénice

Smaug giganteus

 

 

 

 

Boum, boum, bam, boum, bam, crrrrc, ploum. Vous l’entendez, le bruit des autres livres de 2018 qui tombent de l’étagère pour faire place à celui de Justine Niogret ?

Roman à la première personne, Le syndrome du varan est magistral. La narratrice, une femme de 37 ans, livre tout à la fois son enfance, dans un cocon de parentalité destructrice et abusive, et sa lutte pour la construction et la reconstruction. Le varan, c’est cet animal antédiluvien dans lequel se dissout l’enfant, un animal dont l’inhumanité sauve, paradoxalement, son humanité à elle.

Loin du « je » facile de 90 % des romans de la rentrée littéraire, le « je » du roman de Justine Niogret est éminemment politique.

Entre une mère perverse, bête et folle, et un père pédophile, la survie physique et mentale de la narratrice, que l’on connaît pourtant puisque l’on sait que c’est une femme adulte qui écrit, une femme « qui va bien », devient un enjeu à chaque page, à chaque mot.

Pendant et après la lecture, on se sent mal, ça colle à la peau comme une gangue de boue et aux yeux comme une antique souillure. Devant cette petite fille, et toutes les autres, et tous les enfants, qui sommes-nous en tant que victime, lorsque nous l’avons été d’une façon ou d’une autre ? Et comment agissons-nous ensuite, en tant que membre d’une société dans laquelle ces enfants   ?

D’une précision brutale, fignolée avec les tripes, Justine Niogret parvient à raconter comment dans un monde pourtant déjà faussé de bout en bout, tout peut encore basculer, pour le pire, et comme, aussi, on en revient.

Cette société patriarcale qui est la nôtre est torpillée de haine, à juste titre, pour l’indifférence dans laquelle elle place ces enfants au milieu d’hommes qui n’ont pour référentiel qu’eux, leur bite et leur bon droit. Cette société qui, en parallèle, fait du pardon un devoir et un passage obligé, ne peut être celle dans laquelle on veut vivre ; ce cri là est celui du Syndrome du varan.

Pour le dire simplement, ce livre m’a donné l’envie d’être l’amie d’une autrice qui sait écrire tout cela, qui sait accompagner le talent littéraire d’un propos, fort et construit, et d’écrire avec humour aussi. Mention spéciale au Bas les masques de 1995 et à Mireille Dumas qui ont marqué, sans forcément avec autant de stupidité que la mère de la narratrice, une génération de rôlistes et de GNistes.

NDLR : un.e rôliste est une personne qui joue aux jeux de rôle (l’interprétation d’un ou plusieurs personnages dans un univers donné et aux clefs définies, fréquemment autour d’une table) et un.e GNiste est une personne qui s’adonne au jeu de rôle grandeur nature, soit la même chose mais de manière extrêmement immersive, puisqu’il s’agit du jeu de personnages qui interagissent physiquement, dans un monde fictif. C’est super.

L’homme derrière le varan, pour les passionnés de Komodo.

Par les écrans du monde, de Fanny Taillandier

14 Sep

Lu par… Gaëëëël

Heureuses de ces retrouvailles

 

 

 

Thématique de la rentrée : les attentats perpétrés par des islamistes. Nous sommes donc le 11 septembre 2001. Lucy, qui vit à New York et travaille au World Trade Center, et William, responsable de la sécurité de l’aéroport Logan à Boston, sont frère et sœur. Leur père vient de leur téléphoner pour leur annoncer qu’il va mourir mais, très rapidement, ce souci est effacé par quelques autres plus pressants, liés aux failles de la sécurité aérienne. Lucy, encore dans les sous-sols au moment de l’effondrement des tours, est piégée. William est aux premières loges de l’enquête immédiatement déclenchée par les services de renseignement.

Ces deux personnages sont bientôt rejoints par un troisième : Mohammed Atta, le coordonnateur des attentats. « Rejoints » de manière très métaphorique car l’unité de temps est respectée : tout se déroule le 11 septembre, les trois ne se croisent évidemment que par l’effort d’abstraction conduisant à envisager les attentats comme un tout, et nous n’accédons au passé de ces personnages que par les longues méditations qu’ils conduisent sur eux-mêmes, à l’occasion de cette journée pleine d’angoisse mais surtout de vide. La vie de Mohammed Atta, quant à elle, fit l’objet d’une enquête extrêmement fouillée des mêmes services de renseignement et c’est par le biais d’un anonyme Agent spécial qu’elle est retracée. Ces trois trajectoires sont tendues vers le même but : se sauver soi-même. Pour le meilleur et bien-sûr pour le pire.

Pilote

Juré embarqué dans la rentrée littéraire en train de se crasher

Et le cœur du livre, c’est ça : pas tant les attentats, le pourquoi du comment ils se sont déroulés et ces trois personnages y ont été mêlés, ni même un abstrait « pouvoir des images » que suggèrent le titre et la quatrième de couverture, mais la longue méditation de ces trois intériorités, des blessés de la vie, qui partagent d’ailleurs leurs souffrances avec les mondes qu’ils ont traversés. Car Fanny Taillandier est une géographe et elle en a la sensibilité : les espaces et les territoires vivent, d’une vie propre qui n’est que symbiotique et jamais confondue avec celle des humains.

Les vies des personnages, retracées avec une très subtile sensibilité – Atta lui-même n’est pas décrit comme un monstre, ni comme un paumé qui n’aurait pas compris ; car Fanny Taillandier a compris que chercher à comprendre, c’est tout sauf excuser – sont ainsi entremêlées de subtils motifs de réflexion, sur la carte, l’image, le statut des ruines et d’un monde où tout peut être recomposé, sur les statistiques et le risque. D’exercices de style parodiques aussi, et on se délectera de la parodie de diatribe talibane autour des télévisions, comme on s’était délecté des exercices de style qui faisaient Les Etats et empires du lotissement Grand Siècle (Prix Virilo 2016). C’est subtil, c’est très intelligent, un peu trop khâgneux parfois – une bibliographie, Fanny ? – mais qui sommes-nous pour juger ? Plus profond et beaucoup plus humain que Les Etats et empires… , moins amusant aussi évidemment, parfois un peu tiré par les cheveux quand le motif ne sait plus où se tourner pour se renouveler, mais en tout cas très original et conforme à ce qu’on attend de la littérature : déplier le monde, même lorsqu’il paraît simple comme un discours de George W. Bush.

Fief, de David Lopez

24 Oct

Lu par…David

Ta mère la moustache

 

 

 

 

Coup de mots dans ma gueule

En 250 pages, David Lopez nous transporte là où personne ne va jamais. Une sorte de terre inconnue à deux pas de chez nous. Dans les entrailles d’une toute petite ville de province, bien cachée entre une colline et une autoroute.  Là où les jeunes ados fument, boivent, rigolent, se charrient, traînent, font un peu de sport, essayent de choper et traînent encore. Comme partout certes, sauf que là ils poussent le bouchon un peu loin… Disons le tout net : à part un combat de boxe qui cogne sévère, il ne se passe pas grand chose dans Fief. Mais l’essentiel est ailleurs.

 L’adieu au langage (ta mère)

Le vrai coup de maître de David Lopez, c’est son coup de boule dans le langage. Et vas-y que je mélange récit et dialogue, que j’fous pas un seul tiret, que j’balance continuellement les mêmes répliques (bâtard, bien ou bien, ta mère la…)… Étonnamment, ça fonctionne. On y est. Il trouve le rythme, la bonne fréquence et le ton de ce qu’on dit quand on ne dit pas grand-chose.

 Mais attention. Ce n’est pas juste un jeu de mime. Il y a bien ici une ambition littéraire : celle de la réinvention. David Lopez n’esquive pas. Il ne tape pas dans le tas comme un bourrin et pour le plaisir de casser du (style de) bourgeois et du confort de lecteur. Il se bat sérieusement avec la langue pour que ça saigne un peu plus vrai.On sent même un peu la transpi (celle d’un auteur qui cherche ses mots et qui les trouve) sans trouver ça désagréable, comme une odeur de vestiaire qui serait bonne.

Il me semble qu’aucun homme de lettres de la capitale biberonné aux goncourts obligés n’aurait pu produire un tel roman.

Étonnamment ça sent bon

 Fief, c’est trop bref (TMTC)

Et ça continue, car à chaque tableau, David Lopez ne peut s’empêcher de nous balancer son jab. Des séries de petites volées amicales dans les côtes. Dit autrement : on s’marre bien. Les soirées fumette sentent le vécu (et pas que). Et puis j’ai connu un de mes rares fous rires littéraires : une scène de dictée hilarante.

Manque juste un petit coup de poing dans le coeur, le crochet final dans les dents. Forcément, c’est quand un livre est réussi que l’on veut partir à l’aventure avec lui. On attend qu’il nous emmène, avec un déclic, de l’imprévu, du twist bête et méchant. On attend une prise de conscience, un sursaut. Mais rien. Le gong nous rappelle à la réalité : dans la vie, il ne se passe jamais grand chose.

N’empêche, 2 round et demi parfaitement maîtrisés, c’est déjà très bien. Et ça mérite largement sa flopée de moustaches.

 

 

Taba-Taba, de Patrick Deville

23 Oct

Lu par…Bérénice

Taba-Taba n’aura pas lieu

 

 

 

 

J’avais acheté le Deville parce que j’avais bien aimé Peste et Choléra. Simple, travaillé, le roman qu’on offre à sa mère et dont on peut parler avec les copains, ça fonctionnait.

Dans Taba-Taba, on nous dit en 4e qu’un enfant aux hanches bretonnes, le narrateur, se balade dans un ancien lazaret. Mais, attention, ce que la 4e ne dit pas c’est que le narrateur n’est autre que…Patrick Deville ! Je vous dévoile un secret : ce livre n’est qu’un immense prétexte pour parler de lui.

D’abord, quand on est Patrick Deville et qu’on parle de l’histoire qui se mélange avec l’Histoire, on écrit tous les titres de ses chapitres comme un inventaire à la Prévert vu par un parolier français, mais sans majuscule car qui sommes-nous face au monde et au grand tout qui nous entoure ? une porte monumentale, à managua, un tapis magique, c’est touchant, on croirait lire la liste des titres de Bénabar.

On sent qu’au début l’auteur se retient un peu de trop parler de lui directement puis quand on arrive à des petites traces (il ne parle pas de ses caleçons), c’est un florilège. On s’ennuyait un peu et, bam !, l’agenda de Patrick Deville est soigneusement retracé sur plusieurs pages : en 2015 il était à l’hôtel Barcelo au Nicaragua, ensuite il est allé dans la Cordillère, puis au Finch Bay de Puerto Ayora, puis hôtel de la Rose à Fribourg, puis à Lyon, puis dans le Valais, puis à Chamonix, puis au Bauer à Venise (et ce n’est pas fini). Comme tout cela est très intéressant, ce spécial Fram voyages sur le thème Patrick Deville est parsemé de name dropping. On y apprend qu’il a parlé avec Edwin Madrid, puis avec Daniele del Guidice, puis d’autres. Ils sont sans doute sympas mais bon, on ne se connaît pas, et ça n’apporte rien à l’histoire. Subtilement, il parsème son histoire de références à « Yersin », une femme dont il est amoureux et dont il ne veut rien dire, ou alors juste un peu. Heureusement qu’il a choisi ce nom de code tout en mystère pour qui a lu Peste et Choléra, le bacille de la peste ayant été découvert par Alexandre Yersin. Le lecteur malin à peu de frais supputera que le grand chalet du Valais où il a fait des recherches lui a permis de trouver l’amour.

En outre, la prose est parsemé de ah-ben-dis-donc. Le sachiez-tu ? L’armée française contient énormément de contractuels. Ah et aussi il visite beaucoup de résidences diplomatiques. Il cite aussi toutes les îles appartenant aux DOM et DOM (y compris Tromelin) en expliquant que c’est une super ZEE, le tout au milieu d’une description d’une visite de l’ambassade au Mali. Patrick, le Mali n’est pas un département d’outre-mer.

Bref, Patrick Deville n’a pas un super bilan carbone et il sillonne la France en kès à la recherche des endroits où a vécu sa famille en parlant d’eux de manière très affectée. Il prétend chercher résoudre l’énigme des mots « Taba-Taba » répétés par le fou de l’ancien lazaret.

La lectrice, lassée peu après la page 85, ira directement à la fin du livre en survolant le reste (suffisamment pour se rendre compte que vers la page 415 il se compare à Jean Giraudoux) pour se rendre compte qu’il a tout de même osé émettre l’hypothèse qu’il puisse s’agir d’un hommage au lobby de la cigarette avant de l’abandonner aussitôt, sans doute dans un ultime sursaut de décence, pour se rabattre sur l’hypothèse vraiment totalement foireuse que ce serait un hymne à Madagascar. Sans doute bien introduit, Patrick Devillle a probablement voulu séduire le Président du jury, que l’on sait partial à cet île. Il a toutefois négligé que son livre tomberait des mains d’un lecteur moins acharné qu’un juré en quête de critique.

 

tabac-tabac ?

Cannibales, de Régis Jauffret

22 Oct

Lu par… Alys

critique3

Femmes à poil

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Sous la forme d’un échange épistolaire entre Noémie, jeune peintre de 24 ans, et Jeanne, son ex-belle mère, deux femmes discutent de choses et d’autres, en commençant par s’envoyer quelques vacheries du type :

« Cette lettre ne vous est pas vraiment destinée. Son écriture fut pour moi une simple excursion dans la haine de vous, une occasion de purger ma vésicule d’un peu de sa bile. »
Et puis peu à peu, elles s’attachent, notamment autour du projet de dévorer l’homme qui les relie (ex-petit ami de la première, fils de la seconde).

Même s’il est parfois un peu longuet (il ne se passe pas grand chose), c’est un livre assez drôle qui se distingue par une langue maîtrisée et des métaphores soignées :

« L’odeur pique le nez comme si les trains en partance éructaient à la manière d’une file de Provençaux après l’aïoli. »

Au final, un ouvrage qui tient plus de l’exercice de style (réussi, certes) que du roman.  En tout cas, on rigole bien, et on casse un peu les mecs, même si comme en conclut Jeanne : « Avoir un fils est un malheur, enfanter une femelle doit être une catastrophe ».

 

beardedlady

Des cannibales qui ont failli plaire aux jurés

 

À la fin le silence, de Laurence Tardieu

4 Oct

Lu par Philippe

 

critique1

Endive cuite

 

Ce très beau titre est une promesse.

Et on n’est pas déçu : la dernière page tournée, enfin, le silence.

Le pitch : la narratrice connaît trois bouleversements dans sa vie d’écrivain.

1-     Sa maison d’enfance va être revendue par papa, ce qui est super douloureux parce que madeleines de Proust. Porte qui grince, fraîcheur du grenier, <placez ici votre cliché sur l’odeur du chez-soi>. Faisons un livre dessus.

2-     Oh mais WAIT ! Alerte attentat Charlie Hebdo ! Comment dès lors trouver les mots pour… ? Et comment décrire le … ? Sannessarètradoncjamè !? <rajoutez ici votre réaction hystérique>. Faisons un livre dessus.

3-     Pendant tout le livre, TRUC DE OUF, la narratrice est enceinte. Et donc don de vie. Résilience par l’enfant qui dort – qu’il est beau quand il dort. Le sait-il, lui, que ce monde est fou. Mais n’est-il pas déjà le monde ? Ensemble c’est tout. Rester vivant. C’est l’histoiiiiiire de la viiiie. Le cycle éterneee-eeeelFaisons un livre dessus. 

 

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Vue de coupe.

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Cette fois encore, l’autofiction a frappé dans ce qu’elle fait de pire : la mise en livre d’un journal intime.

La vente de la maison est une foire aux clichés. La vague d’attentats, idem, sauf que c’est encore plus gênant. Je ne parle même pas de la grossesse, c’est pire qu’un mauvais texte de Phil Barney. La juxtaposition des trois « bouleversements » est totalement bancale, ne sert à rien.

Ce serait drôle si ce n’était pas aussi chiant.

Le lecteur a l’impression d’être coincé à une table de mariage à côté d’une amie-d’ami qui sort trop peu et raconte toute sa life en détails, sans se rendre compte que les confuses pépites de pensées extraites de sa sensibilité sont des évidences que l’on a tous eues, vues, lues ailleurs, en mieux, et que depuis, ben on en a fait quelque chose. Aucune banalité fadasse n’est épargnée au lecteur, pas même celles du style, comme les obligatoires trois pages sans ponctuation en mode « j’écris comme je ressens dans ma tête les pensées se bousculent respire ma chérie respire parce que les attentats tu comprends les attentats ».

Pourquoi, mon dieu, pourquoi ?

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Certainement l’accessit « endive cuite » de cette année : la mollesse du propos est sublimée par la fadeur du style.

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Vue de 3/4 face

Villa des Femmes, de Charif Majdalani

26 Oct

Lu par Bérénice

Moustache méditerranéenne

En pleine guerre civile au Liban, une maisonnée se désemplit des hommes pour y laisser ses femmes.

L’ensemble est prenant mais manque parfois de souffle : il est difficile de faire dire quelque chose de nouveau à une saga inter-générationnelle.

Une collection très particulière, de Bernard Quiriny

18 Sep

Moustache particulière

Editions du Seuil

Lu par Philippe

Et si on disait que…

Et si demain, le poil devient über-chic ?

Ne vous en faites pas. Ce sous-titre n’est pas le prochain roman de Marc Lévy, mais le petit jeu auquel vous convie Bernard Quiriny. Dans ce recueil de nouvelles, l’auteur s’amuse à imaginer des choses étranges… Des livres qui se corrigent tout seul, d’autres ayant tué leur auteur ou encore des recueils de recettes impossibles à réaliser. De même pour les villes que l’on visite : Ici une cité symétrique, jusqu’aux destinées de ses habitants, là-bas une bourgade où toutes les rues, placettes, boulevards sont nommés en l’honneur d’un même notable… Inconnu de tous.

Et ce n’est pas fini. Plus intéressant encore, l’auteur propose des changements drastiques et leurs conséquences dans nos vies, nos organisations : Que se passe-t-il demain si -paf- c’est la résurrection des morts, pour de vrai ? A peine Quiriny nous a dépeint avec drôlerie l’enfer vécu par les notaires, nous passons au chapitre suivant : et si demain nous échangions nos corps avec l’autre partenaire à chaque fois que nous faisions l’amour ? Tu parles d’une fusion…

Eric Chevillard pour les nuls

A chaque idée son chapitre, court juste ce qu’il faut, léger avec brio, écrit avec finesse. La simplicité de l’élégance. On pense donc aux grands novélistes italiens en déplorant cependant un certain manque de romanesque, mais plus de malice. On pense également (beaucoup) à Eric Chevillard, aux inventions de Dino Egger, aux utopies des précédents romans… On dirait des ébauches de livres que l’auteur ne voudrait traiter au delà du plaisir de l’idée première, de la fulgurance. L’entêtement narratif de Chevillard, qui rebute beaucoup de lecteurs, est ici évacué. On y perd malheureusement ce qui change une idée en oeuvre : à déambuler dans ce cabinet de curiosité, nos yeux se plaisent mais ne se fixent. Nous ne louchons plus jusqu’au non-sens, nous ne perdons plus nos repères. Certes, ça fait moins mal aux yeux mais ça va moins loin.

En somme voilà un livre de fumoir, élitiste et spirituel, où l’on discuterait avec brio et légèreté, un verre de cognac à la main, en sautant de sujet en sujet pour rester toujours plaisant. C’est déjà pas mal.

Peste et Choléra, de Patrick Deville

11 Sep

Bouc bactériologique

Éditions Seuil

Lu par Claire

La science, Les poules et les moustaches

Un titre dont la sonorité rappelle celui d’un certain Gabriel Garcia Marquez métissé d’épidémies moyenâgeuses que les hypocondriaques et autres hygiénistes préfèrent oublier. Peste soit du bubon.

Ce Peste et Choléra là s’attache à retracer le parcours fantasque et génial d’un savant fou injustement oublié, Yersin, collaborateur de Louis Pasteur lui-même et heureux découvreur du bacille de la peste.

Patrick Deville, après Kampuchéa, s’amuse à détailler avec la minutie et l’humour d’un joli style bien à lui -enchevêtrement quasi poétique de phrases courtes pour ne pas dire lapidaires- la vie et l’œuvre de ce barbu aux yeux bleus qui traverse les siècles de 1863 à 1943. Amis des plus grands et misanthrope sympathique, Yersin le visionnaire sans ambition a choisi une baie perdue du Vietnam pour des recherches éclectiques allant de la reproduction des poules à la production de pneus.

Coqueluche et littérature

« Parce qu’il aime les oeufs, parce qu’il aime sa sœur, Yersin voudrait savoir comment avec du jaune et du blanc d’œuf on obtient un bec, des plumes, des pattes, bientôt dans l’assiette l’aile ou la cuisse et parfois des frites. » En science, il n’y a pas de mauvaise question.

Patrick Deville parvient à produire un roman de vulgarisation scientifique mêlée de légende d’explorateurs d’un autre temps dont l’écriture et l’érudition font mouche. Un roman presque trop intelligent, d’ailleurs, dont la densité à force de détails finit par tiédir l’enthousiasme, ratant de justesse les mythiques cinq moustaches que peu osent encore fantasmer.

« Yersin est trop vieux dans un monde qui n’est plus le sien. Le dernier collaborateur de Pasteur encore en vie. Il n’écrira pas ses mémoires. Ce livre ne lui plairait pas. De quoi je me mêle. »

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