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Capitaine, d’Adrien Bosc

22 Oct

Lu par… Gaël

Tombé des épaules des géants

 

 

 

 

Adrien Bosc s’empare d’une sorte de fait divers historique, et en fait un roman : le voyage du Capitaine-Paul-Lemerle, navire qui au début de 1941 quitta Marseille pour Fort-de-France, avec à son bord environ 250 personnes qui, pour une raison ou pour une autre, préféraient être sur le continent américain plutôt que dans la France de Vichy. Arrivés à la Martinique, on continue à en suivre un certain nombre jusqu’à leur destination finale. Le piquant de l’histoire, c’est que parmi ces passagers il y a quelques célébrités, actuelles ou en devenir : André Breton, Claude Lévi-Strauss, le peintre Lam, la photographe Germaine Krull, Ernest Kantorowicz, Victor Serge, Anna Seghers, j’en oublie peut-être un ou deux.

Une page de Capitaine

Cette manière de prendre un épisode  de l’histoire méconnu – et pour cause, il est minuscule et n’a changé le destin de personne – et d’en faire un roman est une mode actuelle, qui a d’ailleurs valu à Eric Vuillard le Goncourt 2017. Elle porte, me disent mes co(n)jurés, le nom de « Exo-fiction ». Et rien qu’au nom, on se dit que ça doit être comme les exo-squelettes dans Alien : quand ça fonctionne, c’est super badass. Quand ça ne marche pas, c’est juste un truc trop grand dans lequel on est empêtré de partout. En réalité ça a été nommé ainsi en référence à l’auto-fiction et, il faut le dire, c’est bien trouvé. On en retrouve certains travers, l’exo-nombrilisme n’étant qu’une variante de l’autokiff.
Venons rapidement à ce qui est respectable ou aimable dans ce livre : il y a un énorme travail de recherche bibliographique sur tout ce qui a bien pu se passer sur ce damné rafiot, et sans doute un réel amour de la période, de Breton, du surréalisme et de l’effervescence artistique de ces années-là. Sans doute, aussi, une authentique fascination pour cet épisode : pensez, Breton et Lévi-Strauss se sont trouvés enfermés ensemble sur un bateau pendant trois mois ! Aucun n’est tombé à l’eau mais qu’ont-ils bien pu se dire ? Il y a, aussi, un réel effort de style, appréciable dans un paysage où le sujet-verbe-complément a été anobli à la sauvette du titre d’écriture blanche.
Ceci est malheureusement compensé par de fâcheux points négatifs. D’abord ça ne raconte pas grand-chose. Breton qui s’emmerde sur un bateau, Lévi-Strauss qui fait passer le temps à la Martinique, ça n’est pas vraiment plus palpitant que si vous étiez à leur place ; ils ont d’ailleurs la lucidité de le reconnaître dans les extraits de leurs journaux ou correspondances qui émaillent le roman. Au demeurant, en réalité on ne sait pas trop ce qu’ils se sont dit sur ce bateau, et l’imaginer suffisamment fort pour que ça fasse palpiter nos petits coeurs de khâgneux nécessiterait d’avoir leur génie – Adrien Bosc ne s’y risque d’ailleurs pas. En fait, ils ont dû pas mal se dire : « Pfiou, fait chaud ! Tiens, passe-moi le jaja. » Découverte : les géants de l’esprit ont trop chaud, ont besoin de visas pour voyager, et n’aiment pas la promiscuité.  Ils vont aussi aux cabinets, mais ça c’est pour le prochain roman.

Écrivain confronté au syndrome de la plage blanche

Ensuite, l’auteur s’est un tout petit peu noyé sous sa documentation. Franchement, savoir que Joan Miro terminait une série de tableau dont il n’a plus jamais été, et ne sera plus jamais question, alors que le Capitaine passait au large de l’île où il avait élu résidence… c’est hors-sujet, vraiment. Il y a moult autres exemples de cette volonté de caser absolument tous les renseignements glanés pendant le long travail de préparation. L’un des plus magistraux, peut-être : quelques pages sur Simone Weil à Marseille. Pas sur ses idées, ou sur son courage, non : sur un itinéraire qu’elle a parcouru dans la ville. Et sur le fait qu’elle a aperçu le bateau ; elle portait un Loden, nous dit un extrait du journal de Victor Serge, donc ce dernier ne s’était sûrement pas dit qu’il serait un jour cité, en italique, comme s’il  semblait renfermer une perle de pensée. A force surgit un soupçon : et si tout ça n’était que du name dropping ? Une version chic et pseudo-intello de cet art consistant à citer nonchalamment, de retour en septembre aux terrasses parisiennes, l’ensemble des célébrités qu’on a vaguement saluées à St Trop pendant la journée qu’on y a passée au mois d’août ?
Mais surtout, c’est formidablement agaçant de prétention. Beaucoup, beaucoup, beaucoup de pose, dans ce Capitaine. Adrien Bosc appelle Lévi-Strauss « Claude ». Oui, comme Benoît Poelvorde dans Podium, sauf que là on ne parle pas de Claude François. Ce moment magique où la déférence affichée se transforme en complicité surjouée avec un Grand Homme mort – c’est pratique – et qui à ce titre ne contredira pas l’auteur. Adrien Bosc joue au grand écrivain, et malheureusement la gravitas soutenue par des considérations définitives sur la guerre sied mal au jeune trentenaire. Ca m’a rappelé un autre finaliste du Goncourt 2017, où François-Henry Désérable prenait des poses de Gary vieillissant, et ça ne fonctionne toujours pas. Ils partagent d’ailleurs le fait de citer Tintin, ce qui me semble une passion révélant, chez quelqu’un né dans les années 1980, un vieillissement précoce. La boursouflure traverse le roman, dans le style, dans les remerciements (Adrien Bosc connaît la femme de Lévi-Strauss – pardon, de Claude – et la fille de Breton, tac, et aussi Olivier Assayas, bim ; il se murmure d’ailleurs qu’il est bien introduit dans les milieux parisiens, et pourrait même recevoir le très convoité Accessit de l’entregent et de l’entrejambe), dans l’affectation d’être la conscience morale d’une époque subliminalement mais avec insistance comparée à la nôtre. N’étant pas avare en citation, il ouvre la première partie sur une phrase de Walter Benjamin : « Un souvenir tel qu’il brille à l’instant d’un péril ». L’enjeu est souligné avec légèreté : en notre époque pleine de troubles, remémorez-vous ces âges sombres que je vais vous donner à admirer dans leurs moindres détails ! Le pari étant qu’en les regardant par le petit bout de la lorgnette, ils en deviendront d’autant plus signifiants. Le problème c’est qu’Adrien Bosc n’est pas un des plus grands philosophes du siècle persécuté par le nazisme pour ses idées, pas un proche d’un des hommes qui ont révolutionné l’anthropologie, pas non plus le pape du surréalisme, ni encore un révolutionnaire proscrit par tous les régimes. Il admire sans doute tous ces gens – qui l’en blâmerait ? – mais il ne suffit pas de se jucher sur les épaules de géants pour voir plus loin qu’eux, même en les ayant au préalable conscienscieusement empilés les uns sur les autres. Parfois, les géants jouent juste au rami ou vomissent par-dessus le bastingage et, alors, la vue qu’on a est à la mesure de ces activités (en étant quelques centimètres plus haut, on doit toutefois s’apercevoir que Stefan Zweig triche aux cartes).

« Allo, c’est Claude ! Oui j’ai presque fini Tristes Tropiques! « 

J’ai donc envie de dire à Adrien (Adrien, je me permets de te tutoyer même si je ne connais pas ta femme) : la prochaine fois, parle-nous de ce que tu penses et vis. Fais-nous une bonne auto-fiction.

Vivre ensemble, d’Emilie Frèche

6 Sep

Lu par… Charlotte

Une moustache éssonienne

 

 

 

Je l’avoue avec une franchise teintée d’embarras, c’est par inclination pour les potins germanopratins que j’ai eu envie de lire Vivre ensemble, la dernière autofiction d’Emilie Frèche (si vous êtes passé(e) à côté du « scandale », vous pouvez vous rattraper grâce à cet article). Mais je n’avais jamais lu Emilie Frèche auparavant et n’avais donc pas d’a priori.

L’histoire de Vivre Ensemble est simple… quoi que. Déborah, divorcée, un enfant, est recasée depuis peu avec un homme séparé, un enfant, et elle s’interroge sur le vivre-ensemble. Une question légitime à la base, mais peut-être davantage encore pour Déborah qui cumule les clichés situations insolites. Voyez plutôt.

  • D’origine juive revendiquée, elle a été mariée 15 ans à un musulman avec qui elle a eu un fils, Léo (qu’ils ont failli s’appeler Oslo… oui, oui, en hommage aux accords de 1993). Pas facile.
  • Elle s’est retrouvée dans les attentats du 11 septembre 2001 à New York, du 13 novembre 2015 à Paris et a frôlé ceux de Nice le soir du 14 juillet 2016. Pas de chance.
  •  Son nouveau mec, juif, est avocat et bénévole dans la jungle de Calais auprès des migrants alors qu’il habite à Paris. Pas marrant.
  • Quand elle décide d’emménager avec lui parce qu’il faut vivre (leçon tirée des attentats de Paris), elle découvre que le fils de son amant, Salomon, est un enfant « différent » à tendance psychopathe. Décidément.

Il y aussi la mère de Salomon qui est hystérique, des phoques qui baisent sur la plage de Calais, une femme rabbin progressiste, une petite Beagle qui va mal finir. C’est dingue tout ce que certaines personnes vivent.

Sur le plan littéraire, bon bah ça se lit (très vite). L’adjectif « abyssal » est quand même cité deux fois dans les cinq premières pages et l’auteure semble avoir une prédilection pour les expressions toutes faites sans poésie (je ne les ai pas notées, j’aurais dû, je sais).

Sur le plan du récit, personnellement, je me suis (très vite) ennuyée. Outre la lourdeur des clichés situations, la narratrice a toujours le beau rôle et c’est relou. Son ex-mari est trop sain et cool et ouvert. Son fils est solaire et sympa. Le match est inégal : en face, le nouveau mec est un peu perdu professionnellement, il a un frère mort d’une overdose qui – évidemment – s’appelait Salomon et, on l’a dit, une ex tarée et un fils qui souffre d’une forme d’autisme. Le vivre-ensemble en prend un coup, forcément. Dernier point, quand on sait que c’est une autofiction assumée, tout ça met un peu mal à l’aise aussi. Certes, les cohabitations réussies ne sont pas légion, mais les vertus de l’autocritique et de l’imagination non plus, on dirait.

Puisqu’on vous dit qu’il n’y a aucun rapport !

Écoute, de Boris Razon

31 Août

Lu par… Bérénice

Halogénures d’argent

 

 

 

 

« Salut Boris, ça roule ?

– Super Michel ! Écoute, justement, j’ai plein d’idées pour mon nouveau livre.

– Vas-y voir ?

– Les attentats, les SMS, les marranes, Pessoa, les photographes, la quête de l’identité et sa perte, le metal, l’avenue des Gobelins, le Mexique… franchement, plein de trucs, je suis super content.

– ….

– T’es là, Michel ?

– Bon, Boris, ça se tente, je prends tout. Manuscrit dans 6 mois, stp. Au fait, t’avais dit quoi, tout au début ?

-… « super » ?

– non, autre chose, juste après

– euh… «plein d’idées » ? Écoute, je ne sais plus.

– Ah bah voilà, c’est ça, « écoute » ! Tu fais comme si ça avait un seul thème, et c’est ça le titre. »

Voici, telle qu’on se l’imagine, la conversation téléphonique qui a eu lieu entre Boris Razon et son éditeur lors de la Genèse de Écoute.

 

Ne soyez pas incrédules, ce livre parle bien de tout ça, et c’est trop.

Chouette, j’adore Italie 2 !

L’histoire : d’abord confiné dans l’enceinte de sa camionnette suréquipée, Vincent attend les attentats. Il surveille, il lit, il est droit et probe et sa vie personnelle est triste comme un jour sans pain. Un peu par hasard, il remarque un homme qui n’émet aucune onde : c’est louche, dans notre monde si connecté (lieu commun ? Mais noooon). En plus, l’homme sort d’une boutique de seconde main qui vend des appareils photos argentique. Doublement louche. C’est un homme portugais qui recherche désespérément une pellicule qui, il le croit, retrace sa vie, son être : tous les neuf ans, un portrait de lui a été pris par un photographe roumain, personnage sans trop de profondeur (d’ailleurs ça tombe bien, il est mort, l’auteur n’a pas à s’embêter). Qui diable est cet homme ? Des ados croient reconnaître en lui une figure mythique de la scène metal norvégienne, les forums entrent en ébullition, les fans affluent, tout cela est si louche que Vincent sort de la voiture. Et le Portugais, dans tout ça ? Eh bien il passe mille ans à regarder cet appareil photo, et sa vie se rappelle à lui, et quelle vie (pfff, c’est laborieux). D’un petit garçon assez insignifiant en passant par un passionné d’une facette très pointue de la vie de Pessoa, indifférent aux secousses qui ébranlent le Portugal, à un adulte qui, tous les neuf ans, fait peau neuve. Déroulera-t-il cette pellicule qu’il veut à tout prix effacer ? (oui)

 

Il y avait quelques bonnes idées : les attentats, en soi déjà un marronnier littéraire mais la toute-puissance de l’Etat policier qui place un ETP avenue des Gobelins pour mailler l’intégralité des informations transitant sur les ondes, oui. Les ados fan de metal qui croient reconnaître au beau milieu du XIIIe arrondissement le mythique Morse, apparition spectrale au cri terrifiant et glaçant, qui venait à son gré ornementer certains concerts, ancré dans la naissance du genre et dans la Norvège satanique, après des décennies de disparition, oui.

Et voilà, ça faisait déjà un livre.

Oh no

Du reste, on sent très nettement que l’auteur se perd. D’une première partie qui manque de souffle, émaillée par les multiples snaps, textos, appels du monde qui l’entoure et que le flic en planque voit à peine, on retient le superflu, le manque de style : la retranscription fidèle de ces bribes de monde réel, tristement inintéressants ; le côté « jeune » du dealeur du coin ; la langue pendante de Vincent, le flic, pour une paire de jambes, tout ça pousse à abandonner le livre assez vite. Razon c’est un peu…rasoir.

 

Le juré persévérant aura la bonne surprise de trouver une seconde partie plus enlevée mais, hélas, trois fois hélas, trop tard, et avec trop de choses dedans. Si on avait réussi à garder le fil, c’est cet afflux d’information qui fait basculer le propos. Tout cela manque de profondeur pour que la conclusion (on perd toujours la course-poursuite avec soi-même) soit autre chose qu’un peu mièvre. Cerise sur le gâteau trop lourd, une  conclusion à tiroirs, je vous le donne en mille : l’attentat redouté aura lieu ailleurs. O tempora, o mores !

Belle pilosité

Au commencement du septième jour, de Luc Lang

27 Oct

Lu par Alys

critique3

Bouquetin

 

Le roman démarre sur un grave accident de voiture. Camille, la femme de Thomas, s’est crashée avec sa Mini et tombe dans le coma. Thomas encaisse le choc et démarre une nouvelle vie : s’occuper des gosses, rendre visite à Camille, essayer de comprendre son accident. Où allait-elle à 3h du matin ? Comment a-t-elle pu terminer dans le fossé alors que la route était une ligne droite ? Il encaisse, il encaisse. Au boulot, on lui fait comprendre qu’il faut qu’il change son comportement. La menace d’être viré de son boulot d’ingénieur (il développe des systèmes qui permettent aux employés de pointer / à leurs employeurs de les fliquer). Et puis un jour, il est à la plage avec ses enfants et apprend que Camille s’est remise à parler.
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Çà c’est la partie 1.
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On enchaine ensuite avec la partie 2, quelques mois plus tard. Thomas est seul, en train de faire une randonnée de haute montagne dans les Pyrénées. Il manque d’y laisser sa peau, au commencement du 7e jour. Un peu plus tard, toujours dans les Pyrénées, c’est les vacances scolaires et Thomas est chez son frère berger avec ses enfants. Jean, le frère de Thomas, y habite toute l’année, comme feu leur père, qui un jour est tombé. Il est étrange, énervé. Pauline, leur soeur, est absente, partie en Afrique il y a longtemps. Un Noël, avec leur mère et son nouvel ami, achève de cristalliser une tension à l’origine inconnue. On apprend que Camille est morte.
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Et puis la partie 3. Thomas est parti rejoindre sa soeur Pauline en Afrique, qui fait de l’humanitaire. Thomas galère à la trouver, se perd, rencontre des gens, fait de la taule en Afrique. On apprend que Jean est mort. Il s’est suicidé en sautant d’une montagne. Quand il arrive enfin à retrouver Pauline, il obtient l’histoire qu’il était venu chercher.
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Un roman assez captivant, en mode thriller psychologique. L’histoire est bien ficelée et les personnages sont attachants. On peine cependant à tenir la longueur (500 pages) et les grands écarts entre chaque partie sont parfois un peu frustrants. Certains points restent sans réponses. Ça ferait quand même une bonne petite série Netflix.
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mountain

Viens, viens sur la montagne

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Fortune de Mer, de Jean-Luc Coatalem

28 Oct

Lu par Bérénice

Capitalement glabre

En fait la note est zéro moustaches, mais l’illustration n’existe pas.

S’il y avait vraiment quelque chose à en dire cela serait déjà une avancée mais malheureusement le scénario ne rattrape pas la langue, et vice versa.

En dépit d’une scène de viol dont on sent qu’il attendait beaucoup, l’auteur ne peut même pas prétendre au Trop Virilo.

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Tristesse et consternation à Douarnenez.

Les faibles et les forts, de Judith Perrignon

18 Oct
Black beard

Black beard

Lu par Claire

Éditions Stock

Un livre qui poke là où ça fait mal

Un livre qui poke là où ça fait mal

Ce n’est pas parce que le président des Etats-Unis est noir que les problèmes de racisme ont disparu dans ce pays.

C’est sur ce brave constat digne d’une discussion à la boulangerie un dimanche matin que Judith Perrignon s’est magistralement appropriée la culture et la façon de parler d’une famille noire-américaine, sévèrement chahutée par une population intrinsèquement méfiante, abolition de la ségrégation ou pas.

L’indigne vieille femme est celle qui s’exprime le plus à travers les lignes de l’auteur, et sa vision historico-ironico-réac de la société, sa propre famille en premier, ne se lit pas sans un certain plaisir. Mary Lee, qui en a vu plus d’une et a elle-même grandi sous le joug de la ségrégation,  regarde d’un mauvais œil ses petits-enfants entrer dans le jeu de ceux qui leur crachent dessus. Car Mary Lee habite avec sa fille Dana, mère célibataire d’une tripotée d’enfants sans pères. Des enfants, et une fille, qui prennent tour à tour la parole sous la plume habitée de swing de Judith Perrignon.

les-faibles-et-les-forts-de-judith-perrignon-948874754_MLDe flashbacks historiques en critiques poétiques, Mary Lee repense au temps de son enfance, lorsqu’il était interdit aux enfants noirs de se baigner. Cette barrière culturelle à l’apprentissage de la natation, qui marque la société américaine depuis l’époque de l’esclavage, marquera la famille bien plus fortement que tout ce que le racisme quotidien n’avait pas encore réussi à faire.

Sans misérabilisme et avec une justesse de ton et de description étonnante d’un monde auquel elle n’appartient vraisemblablement pas, Judith Perrignon signe ici une parenthèse rafraîchissante dans le paysage désolé d’une rentrée littéraire en cruel manque d’inspiration. Peut-être parce que ce roman est inspiré d’une histoire vraie. Et que cette histoire se passe à des milliers de kilomètres de Saint-Germain des Prés.

La Réparation, de Colombe Schneck

5 Oct

Toupet reprisée

Grasset

Lu par Anne

En ouvrant La Réparation, surprise, il ne s’agit pas d’un énième roman autofictionnel d’un auteur autocentré qui ne parviendrait à se relever des dégâts infligés par le Nouveau Roman (ouais, je sais, je vais pas me faire que des copains, va y avoir débat à la prochaine réu, les cocos).

Jamais sans ma fille. Ou presque…

Si Colombe se met en scène – on ne se refait pas –, c’est bien pour étaler ses névroses mais pour une fois, on aurait du mal à l’en blâmer. Récapitulons : un beau jour, Colombe qui ne s’entend pas très bien avec sa maman décide pourtant de l’écouter et de nommer sa fille Salomé, comme sa petite cousine disparue dans les camps de concentration. Cette décision surprenante, accompagnée de cauchemars angoissés, va pousser Colombe Schneck à s’interroger sur les circonstances qui ont conduit à la mort de cette petite fille. Au prix d’une pérégrination physique et intellectuelle laborieuse, elle finit par comprendre l’impensable, à dévoiler le non-dit : la mère de Salomé a sacrifié son enfant plutôt que sa propre vie.

Grasset, ou la non-édition

Mais pourquoi, Grasset ? pour – quoi ? 

Alors que les derniers survivants s’éteignent peu à peu, il est une absolue nécessité de conserver en masse tous les témoignages de première ou de seconde main, les analyses académiques autant que la matière brute des récits. Bon. Mais l’on peut s’interroger sur la nécessité sinon historique alors littéraire du texte de Colombe Schneck. En lieu et place de la vision de l’auteur, qui sur un sujet aussi délicat aurait dû faire œuvre comme Daniel Mendelsohn avant elle, on découvre au mieux une enquête journalistique modestement rédigée, qui échoue hélas à émouvoir, à informer, à donner à réfléchir, à fasciner par un style, etc. Que Colombe Schneck ait ressenti l’impérieuse nécessité de relater cette histoire, on peut le comprendre. Qu’un éditeur ait décidé de le publier dans une collection littéraire, nettement moins, et que plusieurs jurys l’aient choisi pour figurer dans leur sélection, franchement pas. Les passages réellement littéraires apparaissent au mieux quand l’auteur, apparemment peu sûre de sa propre matière, cite Jorge Semprun ou Annie Ernaux. Pour le reste, malheureusement, Colombe Schneck semble bien peu inspirée.

Une certaine fatigue, de Christian Authier

28 Août

Appendice facial fatigué

Éditions Stock

Lu par Claire

Je ressens une certaine fatigue au moment fatidique de rédiger cette critique. Oui, parler de fatigue fatigue, tout comme regarder les J.O donne des courbatures, voilà une vérité vraie. Vlan.

Proposition de bundle en librairie

Pour ceux qui auraient la flemme de lire la critique en entier, ci-joint un condensé express anti-fatigue : concept de base ok, début ok, développement et fin ko. Pratique, c’est symétrique.

En fait, une fatigue certaine

Patrick, la quarantaine bien tassée, architecte reconnu d’une ville de province, heureux mari et père de deux ados, se rend compte à la mort de son propre père que le temps passe. Alors qu’il commence à se poser quelques questions existentielles un tantinet gênantes, le médecin lui annonce qu’il est frappé d’une leucémie foudroyante et qu’il ne lui reste que peu de temps à vivre. Paradoxalement, Patrick s’attache à organiser sa mort avec un détachement et une application qui frisent à la maniaquerie, éprouvant même jusqu’à un plaisir coupable à faire le tri et le ménage dans sa vie. Alors le jour où le praticien ravi lui annonce qu’il y a eu une erreur de diagnostic et qu’il n’est pas près de sucrer les fraises, Patrick tombe dans ce qui ressemble à une dépression post-partum. Il abandonne maison, travail et famille et part s’installer à l’hôtel à cinq cents mètres de là. Non mais qu’est-ce que c’est que ces façons de lui voler sa mort ?

Jusqu’ici, le roman de Christian Authier tient la route : un concept original, un protagoniste attachant, une écriture fluide.

Seulement, les deux tiers restants du livre tombent dans la même phase dépressive que traverse Patrick, une élucubration nombriliste en manque flagrant de rythme. Il s’ennuie, on s’ennuie.

La fin – Patrick se rappelle soudain que sa chère femme lui manque et qu’il est temps de rentrer au bercail, oh !, ça tombe bien, elle l’a attendu presque un an sans moufeter – achève de nous dé-convaincre. Ça ne se dit pas ? Tant pis.

Le système Victoria, d’Eric Reinhardt

21 Sep

Stock

Lu par Gaël

Le Système Ribadier 2

Duvet systémique

Il y avait une chose qui me gênait dans Le système Victoria, et que je n’arrivais pas à identifier. L’unanimisme, le concert de louanges, pour un livre très construit mais qu’on aura oublié dans quelques années ? Pas seulement. Jusqu’à ce que je voie une photo d’Eric Reinhardt. Et alors j’ai compris : ce livre est profondément, univoquement, exclusivement branché. Il est l’équivalent du jean cigarettes – coiffure destructurée – veste en tweed noire vintage : fondamentalement travaillé, sophistiqué, pensé, auto-référencé, riche, dense et pourtant glissant au travers des doigts comme de l’époque.

L’histoire a été racontée cent fois et mieux qu’ici : un quarantenaire, tâcheron de la mondialisation – il dirige le chantier de la tour Uranus à La Défense et n’est payé que 4000 euros par mois – rencontre une femme incroyable, Victoria de Winter, DRH d’un grand groupe industriel autant que désincarné (on ne saura jamais ce qu’il fabrique, à part des chômeurs), ogresse du sexe et des stock options. Ensemble, ils vivent une folle histoire, d’amour, de cul, on ne sait pas vraiment. Ce qui est bien, c’est qu’on a tout le temps de se le demander avec le héros. A la fin elle meurt.

Cet homme est furieusement tendance, comme le tweed.

Evidemment il ne faut pas se fier à ce synopsis volontairement moqueur, car le livre a une certaine profondeur. Mais il a le même problème que la veste en tweed. Elle évoque à la fois la bohème, l’actualité, un certain luxe néanmoins, et par-dessus tout ça, la conscience d’envoyer un message. Le livre est pareil : le héros s’interroge, il s’analyse, il analyse Victoria, mais n’est pas Zweig qui veut (lui-même ne l’est pas toujours…). Le manque de mystère aboutit d’ailleurs au point que l’acmé du roman ne s’en situe pas au dénouement – on le connaît au bout de quelques pages – ni dans l’amour que se portent les héros – il culmine tellement dès leur première nuit qu’il ne saurait s’élever plus haut, Uranus ou pas – mais dans l’explication du titre, du système que tout le livre vise à exposer dans tous ses rouages, y compris certains qui ne nous intéressent guère.

La forme redouble ce travail sur soi, en un texte constamment éveillé à lui-même. Ainsi, tout est allégorique. : Victoria ? Elle gagne, bien sûr ; mais à la fin elle meurt parce qu’elle incarne l’hubris, et puis qu’elle s’appelle quand même de Winter.

Ainsi, les deux héros font-ils systématiquement l’amour pendant des heures – et le héros n’éjacule jamais, même s’il bande dru. A quoi sert ce fantasme adolescent, à part à se positionner pour le prix Trop virilo ? Il n’y avait vraiment aucun autre moyen de décrire l’excès amoureux ?

Ainsi, tel un hommage simplifié à Lacan, l’entreprise de Victoria se nomme Killofer, tout à la fois tueuse et métallique. Et la tour du héros s’intitule Uranus, qui prononcé à la Britannique évoque un des appas de l’héroïne (tant qu’à faire fi du mystère, autant se débarrasser de la pudeur).

Au final, c’est beau comme du Escher, ou comme du baroque qui n’aurait pas réussi à s’oublier. J’ai fini par penser que les lourdeurs faisaient pencher la balance.

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Lu par Xavier

Au départ, il voulait l'appeler "Le système Josseline"

Le système pileux

C’est un livre dont on connaît l’issue des les premières pages. Victoria, DRH d’une multinationale, femme fatale, objet de désirs du personnage principal, va mourir de manière dramatique. Ce dernier, a ruiné sa vie en l’espace d’une relation passionnelle d’un an à peine. On est fixé. Ce qui compte, c’est comment l’histoire en arrive là. Pour la dérouler, Eric Reinhardt n’est pas avare en précisions. Il prend son temps le long des 520 pages qui composent le livre. Et c’est tout à son honneur. Là où certains se noieraient dans des détails plombants, ou pire allégeraient leur narration au moyen d’ellipses téléphonées, l’auteur est toujours juste. Parlant à l’intelligence de ses lecteurs et remplissant leur attente d’en savoir toujours plus, il décrit avec précision l’état d’esprit de ses personnages. Pas d’autofiction, pas d’élucubrations fantasques, mais un roman ancré sur le réel. Et probablement l’un des meilleurs de cette rentrée. A mon avis.

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Lu par Anne

Duvet victorien

Il y a des livres qui vous révèlent à vous-même. En l’occurence, si Le Système Victoria ne m’a pas convaincue de plonger la tête la première dans les joies de l’adultère, il m’a permis de me découvrir une âme d’électrice du MoDem. Oui, ce roman a dévoilé la centriste qui sommeillait en moi. Car je rejoins Xavier pour dire qu’Eric Reinhardt y décrit avec brio et justesse les tourments passionels d’un quadra lambda sans jamais qu’on ne le soupçonne nullement de faire étal de ses médiocres expériences personnelles.

A l’inverse, je partage avec Gaël le sentiment que Reinhardt a laissé filer son roman. On a l’impression qu’il a écrit un premier jet qu’il a soigneusement découpé puis recollé façon puzzle, laissant passer des incohérences et des tiques à la longue agaçants. Je soupçonne au fond Eric Reinhardt de partager avec le Prix Virilo une qualité majeure : le poil dans la main.

Je concluerai donc en bonne nouvelle adepte de François Bayroux : Eric Reinhardt est un grand auteur qui se néglige. Il n’y a qu’à voir l’état désastreux de sa barbe. Le jour où Reinhardt se taillera une moustache en guidon de vélo du plus belle effet, la face de son écriture en sera certainement changée.

La ballade de Lila K., de Blandine Le Callet

16 Oct

Stock

Lu par Marine

Voilà un roman qu’il est sympathique. Je parie sur son inscription dans les listes de livres à lire au lycée  des professeurs de français d’ici quelques années. Sérieusement, le propos se tient de bout en bout, dans un univers de science-fiction genre « Banlieue 13 » (le truc produit par Luc Besson) mais en beaucoup mieux, cela va sans dire.

Très pédagogique à une époque où la caméra de surveillance devient un credo politique, où la sélection par le dépistage génétique pointe le bout de son nez, où l’autre devient l’ennemi (cf le merveilleux titre de l’Express de cette semaine : L’Occident face à l’Islam) et le clonage, un rêve de plus en plus avouable.

Ce qui est bien avec ce roman, c’est que tout n’est pas forcément bien qui finit tout bien, mais l’horizon y est meilleur qu’au début. Cela ne traumatisera donc pas des cohortes d’adolescents. J’attends même avec impatience la suite (j’ironise mais, je le jure, j’aimerais bien, je ne suis pas bégueule). Car ce roman a le mérite de ne pas se prendre pour plus qu’il n’est. Alors, certes, ce n’est pas un chef d’œuvre de la littérature contemporaine mais c’est honnête et il s’offre sans problème aux tantes, cousins ou copains (oubliez cependant votre boss qui pourrait y voir une critique de son management un peu trop serré…).

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