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L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante

30 Mai

Lu par…Bérénice

Zéro moustache, j’ai le droit, c’est du roman étranger et hors charte Virilo

 

Les jurés du Prix Virilo, hardis et courageux, s’aventurent hors romans français passé novembre, et ce jusqu’au 25 août environ. Ne nous leurrons pas, c’est le plus souvent un soulagement.

Ils taisent ces incursions et prétendent passer l’année à surveiller les publications NRF comme le lait sur le feu. Heureusement, Mediapart fait très bien le boulot pour eux. Oui, cet article était en brouillon depuis plus d’un an.

Hors des frontières de la francophonie (des jurés sont allés en vacances au Québec récemment), on lit généralement de très bons livres. Généralement ils sont publiés chez Gallmeister. Hélas, trois fois hélas, le juré cède parfois aux sirènes de la notoriété et lit du Gallimard étranger. Impossible de passer à côté, si vos parents ne l’ont pas lue, vos ami.e.s l’ont fait, ou alors vos collègues. On vous a dit que c’était génial, envoûtant, incroyable, bref on vous a mis de force L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante entre le mains. Pire, vous avez fait confiance aux rumeurs.

Elena Ferrante, donc. Les lecteurs qui ont acheté cet article ont également acheté Au-revoir là-haut, de Pierre Lemaître, La vérité sur l’Affaire Harry Québert, de Joël Dicker et Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une, de Raphaëlle Giordano. Un panthéon serré dont on comprend qu’Elena sorte par le haut.
Grâce à L’amie prodigieuse, on ressort armé pour la vie. Par exemple « Toute la vie, on aime des gens qu’on ne connaît jamais vraiment ». Uppercut.

Qui ?

Elena/Lena/Lenù et Lina/Lila/Raffaella (20 pages superflues relatives aux différentes appellations des protagonistes réussissent à n’ajouter aucune profondeur de caractère aux héroïnes) sont deux amies qui auraient grand besoin de quelques rendez-vous chez le psy. Tout au long des quatre tomes on essaye vainement de leur trouver quelque qualité mais elles sont désagréables de bout en bout.

Lena est très généreuse et ne ment jamais, mais elle a un caractère difficile. Lina n’en fait qu’à sa tête et n’obéit qu’à son instinct. Elle refuse de se comporter comme devrait le faire une fille et proclame son égalité avec les deux garçons du groupe.

(J’avais un peu la flemme donc j’ai copié une partie de la description de Wikipédia pour le Club des 5.)

Où ?

Dans un style émouvant et sensible, les angoisses et les tribulations d’un enfant. À travers une vaste galerie de personnages, il fait revivre une multitude de petits événements de la vie de quartier, les rires, les larmes, les joies et les peines, les petites galères, les coups de colère, les réconciliations. C’est tout un monde qu’explore ce livre, celui de l’enfance en général, de celle de l’auteur en particulier, mais aussi celui du petit Naples des années 50.

(J’avais un peu la flemme donc j’ai copié la description de Wikipédia pour Les allumettes suédoises et j’ai remplacé Montmartre par Naples et 30 par 50.)

Argument ? (le point d’interrogation n’est pas une typo)

L’amie prodigieuse est une suite romanesque en quatre volumes sur un fond de luttes sociales et morales. Le personnage principal est Raphaëlla Cerullo (Lina/ Lila), qui est une petite fille au début du roman. Il s’agit d’une famille modeste et honnête, et de ses relations avec un voisinage pas toujours aussi responsable ni exigeant moralement.

(J’avais un peu la flemme donc j’ai copié la description de Wikipédia pour Le pain noir et j’ai remplacé Catherine Charron par notre héroïne et enlevé « scrupuleuse » après honnêteté parce que c’est Naples, pas le Limousin.)

Comment ?

Elena Ferrante réussit à être aussi insipide que possible sur plus de 2 000 pages (écrit gros mais quand même), à commencer son roman un peu n’importe comment et à le finir de même, lorsqu’elle s’est dit « oh flûte, j’avais écrit ça » et que son éditrice lui a dit « Lélé, tu déconnes, tu ne peux quand même pas prendre tes lecteurs pour des jambons ». Finalement c’est passé crème.

Des citations ?

Devenir. « Ce verbe m’avait toujours obsédée… Je voulais devenir sans même savoir quoi. Et j’étais devenue, ça c’était certain, mais sans objet déterminé, sans vraie passion, sans ambition précise. » Quelle vision. Elena est a-Deleuze, chez elle le devenir est le processus de l’aboulie intellectuelle.

Telerama écrivait en 2017 d’Elena Ferrante que « sa littérature se lit à toute allure ». Pour être plus précise, elle se lit à toute allure, dans le noir, après une grande bouteille de vin, et de préférence le livre fermé.
Comme le dit Lena, « Ce n’était pas de la haine […] Mais je ne supportais pas le vide de sa dérobade. »
Exactement ce que je pense de L’amie prodigieuse, comme quoi Elena Ferrante est perspicace.

Aussi subtil qu’une calzone frite. Le jambon ET la crème.

La théorie de l’information, de Aurélien Bellanger

15 Sep

3 Go de poils

Editions Gallimard

Lu par Claire

Certains chapitres ne seront appréciés que par ceux passant le test

C’est foutu. Je n’ai toujours pas compris ce qu’était un protocole TCP/IP, j’ai sauté l’explication des théories de Shannon, Brown, Kepler et leurs petits copains. J’ai préféré les passages qui parlaient de sex shop, de minitel rose et de rupture amoureuse à ceux qui abordaient la fabrication – pourtant géniale – d’un modem. C’est foutu. Je me sens blonde, futile et encore plus inculte qu’avant. Moi, pourtant brune, aimant les romans russes et fière diplômée d’un parcours académique honorable.

Rendons à Aurélien ce qui est à Aurélien (il n’y a pas eu que des César parmi les empereurs romains), son roman parvient à retracer avec une objectivité qualifiée de wikipédienne (on dit wikipédoise ?) des années d’évolution technologique du 3915 ULLA à Google translate. Le lecteur néophyte, homo sapiens 2.0 perdu dès qu’il s’éloigne de facebook ou de gmail, se découvre, tout étonné, suivre avec intérêt cette grande marche du progrès.

Et d’un, le Pascal Ertanger avatar romancé de Xavier Niel suscite une sympathie inattendue. Et de deux, la lecture d’un roman de la rentrée littéraire équivaut pour la première fois à un master professionnel de six mois type « entreprenariat et nouvelles technologies de l’information et de la communication » que l’on aurait payé 3000 euros au lieu de 22,50.

Et pourtant, pourtant, si on reconnaît bien volontiers que ce premier roman représente un pur produit de sa génération, novateur et ironico- encyclopédique, on ne comprend pas bien où il veut en venir. Après 450 pages de faits plus ou moins réels sagement documentés, Aurélien Bellanger nous catapulte une fin de science-fiction dont le message messianique, s’il y en a un, brouille définitivement l’esprit d’un lecteur qui tente depuis des heures de comprendre des théories scientifiques qu’il oubliera tout aussi vite. Erreur 404.

« Les milliardaires furent les prolétaires de la posthumanité. Objets de curiosité et de haine vivant reclus dans des capsules de survie étanches, ils virent l’humanité s’éloigner d’eux sans réparation possible. (…) Google fut en réalité sur le point de simuler la totalité des protocoles humains, et aurait pu devenir l’équivalent d’un dieu si Pascal Ertanger, un autre enfant prodige de la révolution informatique, n’avait pas écrit à son tour un chapitre crucial de l’histoire posthumaine. »

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Lu par Gaël

Duvet 56K

Roman balzacien, ou produit d’un épigone houellebecqien ? La polémique fait rage entre les critiques officiels mais elle paraît douteuse. Il y a bien sûr des deux : récit d’une irrépressible ascension, prétexte à dépeindre les travers d’une époque, le livre l’est. Délire techno-métaphysique aux accents apocalyptiques, il l’est également. Dire cela, c’est à peu près ne rien dire. Rien de poilu, en tout cas.

Le bonheur est dans le C++

La théorie de l’information raconte, entremêlées, trois histoires : la première, celle de Pascal Ertanger, geek ultime dont le nom fleure bon l’anagramme vaseux, qui devient un PDG star des nouvelles technologies (une sorte de Xavier Niel, le patron de Free, beaucoup plus lunatique et qui aurait fait fortune dans le minitel rose). La seconde, celle, technique mais finalement très éclairante, de l’irrésistible poussée d’Internet, sur les décombres du minitel. La troisième , enfin, celle d’une époque : les années 1970 à 1990, temps d’effondrement moral et de foi technophile dans l’avenir.

J’ai beaucoup aimé ce livre, qui souffre pourtant d’évidents défauts. Le personnage principal est un ectoplasme, un prétexte à la traversée des deux autres histoires, que l’auteur a manifestement beaucoup plus envie de raconter. Il ne pense rien, n’a pas d’objectif, va de découverte de l’amour en crise techno-mystique sans qu’à aucun moment on ne le comprenne un tant soit peu, ni d’ailleurs qu’Aurélien Bellanger ne se donne la peine de chercher à nous y aider. Ensuite l’auteur est peut-être un peu débordé par sa matière : il a beaucoup lu et appris, sur l’histoire des sciences et des techniques, sur la théorie de l’information qui donne son titre à l’ouvrage et dont la description et les spéculations auxquelles elle a donnée lieu constituent un fil conducteur, d’abord froidement technique, puis de plus en plus vertigineux. Mais il tente de tout restituer, avec sans doute un défaut de point de vue unificateur. Enfin, sa langue, riche et précise, est pour autant relativement plate. Cette froideur, qui pour le coup sent son Houellebecq, est sans doute volontaire mais sur 450 pages, elle finit par rebuter.

Technologie en 2070. Les prospectives de Bellanger en matière de moustache sont audacieuses

Le livre est pour autant profondément attachant. Un premier aspect très intéressant du roman est la description précise de la matérialité d’Internet : câbles, fermes de serveurs, combat pour la maîtrise physique de la fibre optique. Techniquement, on apprend. Narrativement, c’est efficace bien que cela puisse paraître surprenant : le capitalisme est toujours plus impressionnant quand il déploie ses usines, ses centrales, ses réseaux de communication, que quand il se confine à l’image virtuelle et aseptisée que voudraient en donner ses prophètes contemporains. Mais le caractère vraiment plaisant vient du portrait qu’il fait de la France des années 1970 et 1980 : époque pleine de contrastes, où le minitel rose était défendu par le ministère de l’industrie, époque d’aventures pour les adolescents et d’égarements pour leurs parents. L’évocation est fine, pleine de détails véridiques, attentive sans être nostalgique et les 250 premières pages sont à cet égard un vrai plaisir.

La suite est malheureusement plus poussive, quand il faut commencer à substituer l’histoire du personnage à l’histoire et à la sociologie des techniques, et la conclusion donne l’impression que l’auteur s’est creusé la cervelle pour trouver une chute, sans être totalement convaincu lui-même. Elle a toutefois le mérite de jeter un regard ironique sur son personnage principal et ses semblables, prophètes hallucinés du capitalisme dématérialisé pris à leurs propres pièges intellectuels : Internet, ce n’est jamais que des câbles, des programmes, et de l’argent, pas l’invention d’un homme nouveau ou d’un dieu enfin incarné.

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