Dernier round en compagnie de Pierre Jourde, où sont enfin abordés les sujets qui fâchent : la moustache, l’art de la glande et la sauce gribiche.
(Lire : Round 1 – Survol du paysage littéraire contemporain)
(Lire : Round 2 – Œuvres crépusculaires, nuit de l’autofiction, aurore de Chevillard)
Castagne, glande et écriture
PV : Hemingway, John Irving, vous : pas mal d’écrivains mettent en avant leur sport de combat. Est-ce que vous vous trouvez une filiation ?
PJ : Non. Pas du tout pour Hemingway et pas tellement pour John Irving. Mais la boxe, ce n’est pas étranger à l’écriture. Quand j’écris, j’ai une espèce de dépense d’énergie, d’agressivité, même contre moi, un peu comme en salle de boxe. La boxe, c’est d’ailleurs la réponse qui me vient quand un étudiant me pose l’éternelle question tandis qu’on décortique un texte : est-ce que l’auteur a vraiment voulu ça ? Je réponds que ça ne se pose pas comme ça. Est-ce que le boxeur a vraiment voulu poser son pied là, comme ça, pour mettre ensuite son poing dans la gueule ici ? Oui et non. Il en est arrivé au point d’entraînement où son intention est fondue dans l’ensemble de la gestuelle. Aucun geste n’est séparément intentionnel. Mais la totalité de la gestuelle fait partie d’une intentionnalité.
La boxe me sert aussi de compensation. Quand on écrit, on peut se demander si on n’est pas dans l’irréalité totale parfois. Tout à coup aller prendre des pains, c’est aller se confronter à la pureté de la réalité.
PV : Quelle est votre méthode d’écriture au quotidien ?
PJ : Je me lève et je me dis qu’il faut que j’écrive toute la journée. Et ça m’accable. Alors je fais un petit jeu sur ordinateur, je prends un café… Avec énormément de culpabilité, je prends tous les trucs possibles pour ne pas me confronter au texte. Puis je finis par y aller.
PV : C’est quand même extrêmement rassurant d’entendre ça !
PJ : Ah oui c’est vrai ?! J’écris par petits créneaux, après je me déconcentre un peu, puis j’y reviens…
PV : Vous êtes connectés à internet quand vous écrivez ? N’est-ce pas extrêmement gênant ?
PJ : Si ! On se dit, tiens, j’ai un message, tiens, si j’avançais ma cité sur ce petit jeu, c’est redoutable… Je suis moins concentré qu’il y a 10 ans pour écrire, je ne sais pas si c’est en rapport avec ça, mais c’est vrai qu’on n’est plus jamais vraiment isolé maintenant.
PV : Si vous aviez un « accessit virilo » méchant que vous pourriez vous faire, lequel vous enverriez-vous dans les dents ?
PJ : C’est une bonne question… Camille Laurens l’a fait, elle s’est payé ma tronche. Sans doute une tendance stylistique à en faire un peu trop… J’ai aussi tendance à trop écrire, je n’ai pas du tout la peur de la feuille blanche, j’écris tout le temps, je suis une sorte de polygraphe fou. Du coup, je me pose souvent la question de la nécessité de ce que je suis en train d’écrire. Pourquoi ça plutôt qu’autre chose ? Ce qui est très difficile dans le roman, c’est de maintenir le sentiment de la nécessité. Je me surprends à bavarder.
PV : Vous élaguez ?
PJ : Naulleau (ndlr : son ancien éditeur) me forçait à élaguer pas mal. Il m’a fait retirer une soixantaine de pages de Festin secret. Il avait raison d’ailleurs. Là je suis en train d’écrire un roman de 800 pages, je sens que je pourrais en écrire 1500.
PV : Vous concevez d’abord l’histoire de façon très détaillée ?
PJ : Oui. Il y a toujours un plan, mais qui se modifie à mesure que l’histoire s’écrit, il reste en chantier aussi longtemps que le livre dure.
Internet, un minitel peuplé souvent d’imbéciles et parfois de gens très fins
PV : Internet ne permet-il pas de mettre de la littérature ailleurs que dans les livres ?
PJ : Si, je suis à fond pour ça. Eric Chevillard a créé sur internet une forme qui ne pouvait pas exister ailleurs (son blog l’autofictif, ndlr). Certains s’en servent comme d’un papier, mais lui par exemple a vraiment trouvé quelque chose.
Je trouve d’ailleurs que le blog, c’est mieux que l’article, parce qu’il y a des réactions immédiates, certes souvent d’imbéciles, mais parfois de gens très fins. Sur mon blog, il y a des interventions régulières d’un type qui s’appelle Pierre V., je crois que c’est Pierre Vinclair, un romancier. C’est vachement bien, il dit toujours le contraire de ce que j’avance, mais c’est quand même très bien… Par exemple, quand j’ai fait un truc sur les clichés journalistiques, il m’a répondu, ce qui tombe sous le sens, que depuis Homère, toute la littérature fonctionne sur des topiques. Quelle est la différence entre une topique littéraire et un cliché journalistique ?
Couilles de sanglier, tête de veau et moustache
PV : Passons maintenant aux choses sérieuses. L’andouille de Guémené n’a pas perdu sa note AAAAA. Pensez-vous que les tripoux ou les plats virils soient une valeur refuge pour la finance mondiale ?
PJ : …
PV : Vous avez trois minutes.
PJ : Personnellement je souhaite vivement que l’on investisse dans la tête de veau. Dans la tête de veau et la langue d’agneau.
PV : Vous êtes un chiraquien…
PJ : De ce point de vue là oui. Simplement il ne faudrait pas que l’on demande des dividendes excessifs, parce que je ne sais pas si la production pourrait suivre. Il faudrait que les actionnaires comptent sur du 5, 6%, pas plus. Il risque d’y avoir une crise de la gribiche aussi.
PV : Ç’est ça. Ca risque de devenir un aliment de luxe.
PJ : Le problème de la tête de veau, c’est que c’est du canaille qui devient du luxe. Maintenant on paye ça cher dans les restaurants parisiens… Je pense quand même être un amateur d’un des plats les plus virils qui soient. Je m’en flatte. J’ai mangé des testicules de sanglier en Auvergne. Et ça…
PV : Et ça, ça change un homme ?
PJ : Ça fait pousser les poils. Mais c’est pas très bon.
PV : Marine, une question ?
PJ : Je ne réponds pas aux questions des femmes.
PV : Tiens Marine, prends la moustache.
PJ : Ah oui comme ça je peux répondre.
PV : C’est étrangement sexy et donc dérangeant.
PJ : (en riant) Ah oui c’est dérangeant…
PV : Puisqu’on parle de moustache, vous, vous n’avez pas de moustache : pourquoi ?
PJ : La moustache seule, ça fait un peu tafiole quand même. Faut pas que je dise ça à Jean-Marie Laclavetine, qui la porte… Non, mais avec la moustache seule, j’ai vraiment une sale gueule.
PV : Ça peut aussi faire paysan berrichon si elle est bien fournie…
PJ : Avec la gitane maïs alors. Mais je crois que je n’ai pas envie de faire paysan berrichon. Tout est là !
PV : On a remarqué que la moustache revenait à la mode…
PJ : Vous croyez ? Je ne crois pas. En revanche ce qui revient à la mode, ce sont les attributs pileux des méchants de bande dessinée. Le méchant avait toujours une sorte de bouc, maintenant tout le monde met ça, parce que les gens veulent avoir l’air méchant…
PV : Quel est selon vous le plus grand auteur à moustache de toute l’histoire de la littérature ?
PJ : Marguerite Yourcenar ?
PV : Bonne réponse.
PJ : Alors, j’aurai le Prix Virilo ?
PV : Ça peut se négocier, mais faudra payer. Cher.
(Bruit nerveux de billets que l’on défroisse, fin de l’enregistrement)
Nous remercions Pierre Jourde pour ces belles paroles, pour son temps… Et pour avoir payé le café.
Vous pouvez également retrouver Pierre Jourde ici et dans son dernier livre « La Présence », éditions Les Allusifs.
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Les poilus parlent aux poilus